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Le corps impérial resta en l’état dans un cercueil approprié durant cent jours. La musique, les mariages et toutes les cérémonies religieuses furent interdits pendant ce temps-là, et tous les temples du pays durent faire sonner leurs cloches trente mille fois.

Pour les funérailles, Bold se joignit aux dix mille hommes de l’escorte.

La tombe de l’empereur, au nord-ouest de Beijing. Soixante lis à pied, trois jours à zigzaguer Pour semer les esprits malins, qui voyagent en ligne droite Le complexe funéraire se trouve loin sous terre, Empli des plus beaux atours et des biens les plus précieux de l’empereur,
Au bout d’une galerie longue de trois lis, Bordée de serviteurs de pierre à ses ordres. Combien de vies humaines leur faudra-t-il attendre ? Seize de ses concubines ont été pendues, Et enterrées autour de son cercueil.

Le jour où le Premier Héritier s’assit sur le Trône du Dragon, son premier édit fut lu partout à haute voix, dans le Grand Intérieur comme dans le Grand Vide. Vers la fin de l’édit, celui qui en donnait lecture proclama pour tous ceux qui se trouvaient assemblés devant la salle de l’Harmonie Suprême :

— Tous les voyages de la Flotte des trésors sont suspendus. Tous les bateaux mouillant à Hangzhou doivent rentrer à Nanjing, et toutes les marchandises se trouvant à bord de ces bateaux devront être envoyées au Département des Affaires Internes où elles seront stockées. Les officiels en voyage à l’étranger doivent rentrer à la capitale sur-le-champ ; et ceux qui avaient l’intention de partir à l’étranger doivent rester chez eux. La construction et la réparation des navires de la Flotte des trésors sont suspendues. Il n’y aura plus d’autorisations officielles pour partir à l’étranger, et ceux qui sont à l’étranger pour commercer doivent rentrer à la capitale.

Quand le lecteur eut fini son travail, le nouvel empereur, qui venait à l’instant de se nommer l’empereur Hongxi, s’adressa en personne à la foule :

— Nous avons fait trop de dépenses extravagantes. La capitale reviendra à Nanjing, et Beijing sera sa capitale auxiliaire. Les ressources impériales ne seront plus gâchées. Le peuple souffre. Le sortir de la misère doit être considéré comme une tâche aussi importante que sauver les gens du feu, ou de la noyade. Il n’y a pas à hésiter.

Bold vit le visage de Kyu de l’autre côté de la grande cour, petite figure noire aux yeux brillants. Le nouvel empereur se tourna vers les gens de la suite de son père, dont la plupart étaient des eunuques.

— Pendant des années, vous, les eunuques, n’avez pensé qu’à vous-mêmes, aux dépens de la Chine. L’empereur Yongle croyait que vous étiez avec lui. Mais ce n’était pas le cas. Vous avez trahi la Chine tout entière.

Kyu parla avant que ses compagnons ne puissent l’interrompre :

— Votre Grandeur, ce sont les fonctionnaires qui trahissent la Chine ! Ils essayent de vous imposer leur pouvoir, et de vous réduire à l’état d’empereur enfant pour toujours !

Avec un rugissement, un groupe de courtisans se précipita sur Kyu et quelques-uns des autres eunuques, sortant une arme de leur manche tout en courant. Les eunuques se battirent ou s’enfuirent, mais la plupart furent taillés en pièces sur place. Quant à Kyu, ils le poignardèrent plus d’un millier de fois.

L’empereur Hongxi s’approcha pour regarder, silencieux et immobile. Quand tout fut terminé, il dit :

— Prenez leurs corps et pendez-les dehors, à la Porte du Méridien. Que tous les eunuques sachent, et me craignent.

Plus tard, dans les écuries, Bold s’assit, la gravure du tigre dans les mains. Il avait bien cru qu’on le tuerait lui aussi, et avait honte de la façon dont cette idée l’avait occupé alors même qu’on massacrait Kyu sous ses yeux. Mais personne ne lui avait prêté la moindre attention. Il était fort possible que personne ne se souvienne qu’il connaissait Kyu.

Il savait qu’il s’en irait, mais il ne savait pas où. S’il allait à Nanjing, et aidait à brûler la Flotte des trésors, ainsi que les quais et les entrepôts, il contribuerait certainement à la réalisation des projets de son jeune ami. Mais de toute façon, cela disparaîtrait.

Bold se rappela leur dernière conversation. Il était peut-être temps de rentrer chez lui, de commencer une nouvelle vie.

C’est alors que des gardes apparurent à la porte. Nous savons ce qui se passa ensuite, et vous allez le savoir aussi. Alors, poursuivons.

8

Dans le bardo, Bold explique à Kyu la véritable nature de la réalité ; ayant retrouvé leur jati, ils sont renvoyés dans le monde

Au moment de mourir, Kyu vit une lumière blanche, aveuglante. Elle était là, partout, baignant le vide proprement dit, et il en faisait partie, et la chantait dans le vide.

Une éternité plus tard, il se dit : C’est pour ça qu’on se bat.

Et c’est ainsi qu’il en ressortit, reprenant conscience de lui-même. Ses pensées roulaient une orgie de monologues incessants, même après la mort. Incroyable mais vrai. Peut-être n’était-il pas encore mort. Mais son corps était là, réduit en morceaux, sur le sable de la Cité Interdite.

Il entendait la voix de Bold, dans ses pensées, qui disait une prière.

Kyu, mon garçon, mon beau garçon, Le moment est venu pour toi de chercher le chemin. Cette vie est terminée. Tu es maintenant Face à face avec la lumière éclatante.

J’ai dépassé ce stade, se disait Kyu. Et après ? Mais Bold ne pouvait pas savoir où il irait cette fois. Les prières pour les morts n’étaient d’aucune utilité pour ça.

Tu es sur le point de faire l’expérience de la réalité Dans toute sa pureté. Toute chose est le vide. Tu seras comme un ciel clair, Vide et pur. Ton esprit nommé Sera comme l’eau calme et claire.

J’ai dépassé ce stade. À la prochaine étape !

— Utilise l’esprit pour interroger l’esprit. Ne dors pas à ce moment crucial. Ton âme doit quitter ton corps éveillé, et sortir par le trou de Brahma.

Les morts ne dorment pas, songea Kyu, agacé. Et mon âme a déjà quitté mon corps.

Son guide était loin derrière lui. Mais ça avait toujours été comme ça, avec Bold. Kyu devrait trouver sa propre voie. Le vide environnait toujours l’unique fil de ses pensées. Certains des rêves qu’il avait faits pendant sa vie venaient de cet endroit.

Il cligna de l’œil, ou dormit, et puis il se retrouva dans un vaste tribunal. L’estrade du juge était sur un large pont, un plateau dans une mer de nuages. Le juge était une énorme divinité au visage noir, assise, le ventre rond, sur l’estrade. Ses cheveux étaient de feu, et brûlaient ardemment sur sa tête. Derrière lui, un homme à la peau noire tenait un toit de pagode qui aurait pu venir tout droit du palais de Beijing. Au-dessus du toit flottait un petit Bouddha assis, d’un calme rayonnant. À sa gauche et à sa droite se trouvaient des divinités paisibles, assises, des présents dans leurs bras ; mais elles étaient toutes très loin, et pas pour lui. Les morts vertueux gravissaient de longues routes qui montaient dans le vide vers ces dieux. Sur le pont qui entourait l’estrade, les morts moins bien lotis étaient hachés menus par des démons aussi noirs que le Seigneur de la Mort, mais plus petits et plus agiles. Sous le pont, d’autres démons torturaient d’autres âmes. C’était une scène très tourmentée, et Kyu était ennuyé. C’est mon jugement, et on se croirait dans un abattoir au petit matin ! Comment veut-on que je me concentre ?