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Après une escale dans un port sec et brun appelé Massawa, l’une des haltes sur le chemin du pèlerinage, ils mirent la voile vers la mer Rouge, à l’est, bordèrent le cap rouge, bas sur l’horizon, qui marquait la fin de l’Arabie, et descendirent vers Aden. C’était une grande oasis en bord de mer, en fait le plus grand port que Bold ait jamais vu, une ville extrêmement riche, pleine de citronniers, de palmiers qui dansaient au-dessus des toits de céramique et d’innombrables minarets. Zeyk ne débarqua ni ses marchandises ni ses esclaves, et, après avoir passé la journée à terre, revint l’air soucieux.

— Mombasa, dit-il au capitaine du navire.

Il lui redonna quelques pièces, et ils remirent le cap vers le sud, empruntèrent le détroit, contournèrent la corne de l’Afrique, laissèrent Ras Hafun derrière eux, et longèrent la côte de Zanj. Bold n’était jamais descendu si loin au sud. Dans le ciel sans nuages, le soleil brillait du matin au soir, les cuisant cruellement le midi, quand il était au zénith. L’air était brûlant comme dans un four. La côte passait sans transition d’un brun terne à un vert vibrant. Ils s’arrêtèrent à Mogadiscio, Lamu, Malindi, autant de prospères ports de commerce arabes, mais Zeyk ne s’y attarda pas.

En arrivant à Mombasa, le plus grand port où ils avaient fait escale depuis leur départ, ils virent une flotte de navires gigantesques, d’une taille inimaginable pour Bold. Chacun d’eux était aussi grand qu’une petite ville, avec une longue rangée de mâts au milieu. Une vingtaine de bateaux plus petits avaient mouillé l’ancre au milieu d’une dizaine de ces puissantes nefs.

— Fort bien, dit Zeyk au capitaine et propriétaire du sambouk. Les Chinois sont là.

Les Chinois ! Bold n’aurait jamais imaginé qu’ils puissent avoir une flotte pareille. D’un autre côté, ce n’était pas étonnant. Leurs pagodes, leur muraille : ils aimaient construire grand.

La flotte ressemblait à un archipel. Tous à bord du sambouk regardaient, stupéfaits, intimidés, les navires extraordinaires, comme s’ils avaient contemplé des dieux marins. Les immenses navires chinois étaient aussi longs qu’une douzaine de boutres, et Bold compta neuf mâts sur l’un d’eux. Zeyk surprit son regard et dit, avec un mouvement du menton :

— Observe-les bien. L’un d’eux sera bientôt ta nouvelle demeure, si Dieu le veut.

Le propriétaire du sambouk profita de la brise qui soufflait du large pour les amener à terre. Le port était entièrement occupé par les chaloupes qui débarquaient les arrivants et, après quelques discussions avec Zeyk, le propriétaire du sambouk décida d’accoster juste au sud du front de mer. Zeyk et son associé relevèrent le bas de leur robe et s’avancèrent dans l’eau, pour aider la longue file d’esclaves à gagner la terre. L’eau verte était aussi chaude que du sang, plus chaude même.

Bold reconnut quelques Chinois vêtus, malgré la chaleur, de leur épais manteau de feutre rouge. Ils parcoururent le marché, touchant les marchandises sur les éventaires et jacassant, marchandant à l’aide d’un traducteur que Zeyk connaissait. Zeyk s’approcha de lui et le salua avec effusion, demandant à traiter directement avec les Chinois. Le traducteur le présenta à quelques-uns des Chinois, qui se montrèrent polis, voire affables, à leur manière. Bold se mit à trembler légèrement, peut-être de chaleur et de faim, peut-être de voir ces Chinois, après toutes ces années, à l’autre bout du monde, commerçant comme toujours. Comme si de rien n’était.

Zeyk et son assistant menèrent les esclaves à travers le marché. C’était une effusion d’odeurs, de couleurs et de sons. Des gens noirs comme la poix, leurs dents blanches ou jaunes contrastant fortement avec leur peau, vantant leurs produits et marchandant joyeusement. Bold suivit les autres à travers des

Montagnes de fruits jaunes et verts, De riz, de café, de poissons séchés et d’encornets, De balles de coton et de tissus multicolores, À pois ou à rayures, bleues et blanches. À perte de vue, tout n’était que Coupons de soie chinoise, tapis de prière, Grosses noisettes brunes, casseroles de cuivre Pleines de perles ou de joyaux colorés, Boulettes d’opium à l’odeur douceâtre, Nacre, cuivre, cornaline, vif-argent. Dagues et épées, turbans et châles, Défenses d’éléphants et cornes de rhinocéros, Bois de santal et ambre gris, Lingots et pièces, d’or et d’argent, Toile blanche, brocart rouge et porcelaine… Tout ce qu’offre le monde, éclaboussé de soleil.

Le marché aux esclaves était une enclave située non loin du marché principal, avec son podium central, si semblable à l’estrade des écoles de lamas.

Les autochtones étaient massés sur l’un des côtés pour une vente de gré à gré. La plupart étaient arabes, souvent vêtus de robes bleues et de babouches de cuir rouge. Derrière le marché, une mosquée et un minaret se dressaient au-dessus de bâtiments à trois, parfois quatre étages. La rumeur était forte, mais en étudiant la scène Zeyk hocha la tête et dit :

— Nous attendrons d’être reçus en privé.

Il donna des gâteaux d’orge aux esclaves et les conduisit vers l’un des grands bâtiments situés près de la mosquée. Quelques Chinois les rejoignirent, accompagnés de leur traducteur, et tous se rendirent dans une cour intérieure ombragée par des plantes à larges feuilles entourant une fontaine murmurante. Sur cette cour s’ouvrait une pièce aux murs garnis d’étagères où étaient harmonieusement disposés des bols et des statuettes. Bold reconnut des poteries de Samarkand, des figurines de Perse et des bols de porcelaine bleu de Chine, avec des motifs cuivrés et des incrustations de feuille d’or.

— Très joli, dit Zeyk.

Puis les discussions commencèrent. Les Chinois examinèrent les longues rangées d’esclaves que Zeyk avait amenées. Ils disaient quelque chose au traducteur, qui se tournait vers Zeyk. Lui parlant à l’oreille, hochant fréquemment la tête, Zeyk lui soufflait alors quelques mots. Bold se mit à transpirer bien qu’il fut transi de froid. On était en train de les vendre aux Chinois en un seul lot.

L’un des Chinois passa la rangée d’esclaves en revue et s’arrêta devant Bold.

— Comment t’es-tu retrouvé ici ? lui demanda-t-il en chinois.

Bold déglutit, fit un geste vers le nord.

— J’étais marchand, répondit-il dans un chinois un peu rouillé. La Horde d’Or m’a capturé et amené en Anatolie, puis à Alexandrie, et enfin ici.

Le Chinois hocha la tête et s’éloigna. Peu après, les esclaves furent reconduits vers le front de mer par des marins chinois en pantalons et maillots courts. Là, de nombreuses autres rangées d’esclaves attendaient. On les déshabilla, on les lava des pieds à la tête, à l’eau douce, fraîche. On leur donna des tuniques de coton écru, puis on les conduisit en barque vers l’un des gigantesques navires. Bold grimpa les quarante et une marches d’un escalier posé sur le flanc du navire, derrière un jeune et maigre esclave noir. On les fit descendre sous le pont principal, et on les mena vers une chambre, à l’arrière du navire. Ce qui se passa ensuite, nous ne vous le dirons pas ici, mais l’histoire n’aurait pas de sens si nous ne le faisions pas. Nous le verrons donc au chapitre suivant. Ces choses arrivèrent.