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Bien que la politique me soit tout à fait étrangère, ce combat est trop intéressant pour n’y point assister, et j’entre à la préfecture avec le flot montant des conseillers généraux. Un homme charmant, M. Folacci, représentant un des plus beaux cantons de Corse, Bastelica, me fait ouvrir le sanctuaire.

Ils sont là cinquante-huit, occupant deux longues tables couvertes de tapis verts. Des crânes luisent comme lorsqu’on regarde de haut la Chambre des députés. Ving-huit sont assis à droite, trente à gauche. Les républicains vont être victorieux.

Un personnage galonné, qui représente le gouvernement avec un air arrogant, est assis à la droite du président d’âge, M. le docteur Gaudin.

— Introduisez le public !

Le public entre par une porte réservée. Mystère !

M. de Pitti-Ferrandi, agrégé, professeur de droit, se lève et demande la parole pour réclamer l’expulsion de M. Emmanuel Arène.

Qui n’a pas vu une de ces séances de la Chambre, une de ces séances orageuses où les députés gesticulent comme des fous et jurent comme des charretiers, une de ces séances qui vous emplissent de colère et de mépris pour la politique et pour tous ceux qui la pratiquent ?

Eh bien, la première séance du Conseil général a failli prendre cette allure, mais MM. les représentants de la Corse sont gens de meilleur monde apparemment, car ils se sont arrêtés sur la pente.

Tous étaient debout, tous parlaient en même temps ; de petites voix grêles montaient ; des voix de taureau beuglaient des discours dont pas un mot n’était entendu. Qui avait raison ? ... Qui avait tort ? ... Le gouvernement déclara péremptoirement que, toute discussion sur ce sujet était illégale, il se verrait obligé de quitter la salle si l’on passait outre. Cependant le Conseil général ayant décidé, sur la proposition de la gauche, de voter sur la discussion, le susdit gouvernement, espérant sans doute une victoire pour les siens, assista au vote aussi illégal apparemment que la discussion qui devait suivre ; puis, comme la droite était victorieuse, il se retira, se voyant battu, et toute la gauche le suivit...

Quand donc fera-t-on de la politique de bonne foi au lieu de faire uniquement de la politique de parti ? Jamais, sans doute, car le seul mot « politique » semble être devenu le synonyme de « mauvaise foi arbitraire, perfidie, ruse et délation ».

Cependant la ville d’Ajaccio, si jolie au bord de son golfe bleu, entourée d’oliviers, d’eucalyptus, de figuiers et d’orangers, attend les travaux indispensables qui feront d’elle la plus charmante station d’hiver de toute la Méditerranée.

Il faut organiser des plaisirs qui attirent les continentaux, étudier les projets, voter les fonds, et les habitants inquiets regardent depuis huit jours déjà si la seconde moitié du Conseil général consent à remonter dans la salle où l’attend la première moitié en nombre insuffisant pour délibérer.

Mais les grands sommets montrent au-dessus des collines leurs pointes de granit rose ou gris ; l’odeur du maquis vient chaque soir, chassée par le vent des montagnes ; il y a là-bas des défilés, des torrents, des pics, plus beaux à voir que des crânes d’hommes politiques, et je pense tout à coup à un aimable prédicateur, le P. Didon, que je rencontrai l’an dernier dans la maison du pauvre Flaubert.

Si j’allais voir le P. Didon ?

Le monastère de Corbara

(Le Gaulois, 5 octobre 1880)

UNE VISITE AU P. DIDON.

Les Alpes ont plus de grandeur que les montagnes de la Corse ; leurs sommets sont toujours blancs, leurs passages presque impraticables, leurs abîmes effrayants où l’on entend, sans les voir, rouler des torrents, en font une sorte de domaine du terrible et de l’Escarpé. Les montagnes de Corse, moins hautes, ont un caractère tout différent.

Elles sont plus familières, faciles d’accès, et, même dans leurs parties les plus sauvages, n’ont point cet aspect de désolation sinistre qu’on trouve partout dans les Alpes. Puis, sur elles flambe sans cesse un éclatant soleil. La lumière ruisselle comme de l’eau le long de leurs flancs, tantôt vêtus d’arbres immenses, qui de loin semblent une mousse, tantôt sont nus, montrant au ciel leur corps de granit.

Même sous l’abri des forêts de châtaigniers, des flèches de lumière aiguë percent le feuillage, vous brûlent la peau, rendent l’ombre chaude et toujours gaie.

Pour aller d’Ajaccio au monastère de Corbara, on peut suivre deux chemins, l’un à travers les montagnes et l’autre au bord de la mer.

Le premier serpente sans fin à mi-côte au milieu d’impénétrables maquis, longe des précipices où l’on ne tombe jamais, domine des fleuves presque sans eau à cette saison, traverse des villages de cinq maisons accrochés comme des nids aux saillies du roc, passe devant des sources minces, où boivent les voyageurs éreintés, et devant des croix nombreuses annonçant qu’en cet endroit un homme est mort : et c’est d’une balle qui les a tués presque toujours, ces pauvres diables couchés au bord de la route.

Voulant aller à Corbara serrer la main du P. Didon, j’ai choisi, pour m’y rendre, le chemin des montagnes. Là, point d’hôtels, points d’auberges, pas même de cafés, où l’on peut à la rigueur coucher. On demande l’hospitalité, comme autrefois, et la maison des Corses est toujours ouverte aux étrangers.

Arrivés dans un adorable village, Létia, d’où l’on aperçoit un magnifique horizon de sommets et de vallées, je ne pouvais plus même partir, retenu sans fin par les instances des familles Paoli et Arrighi, qui organisaient chaque jour parties de chasse ou excursions pour me faire rester plus longtemps.

Après avoir traversé les immenses forêts d’Aïtone et de Valdoniello, le val du Niolo, la plus belle chose que j’aie vue au monde après le mont Saint-Michel et une partie de la Balagne, le pays des oliviers, j’ai retrouvé la mer auprès de Corbara.

Le paysage est grandiose et mélancolique. Une plage immense s’étend en demi-cercle, fermée à gauche par un petit port presque abandonné des habitants (car la fièvre ici dépeuple toutes les plaines), et terminée à droite par un village en amphithéâtre, Corbara, élevé sur un promontoire.

Le chemin qui me conduit au monastère est à mi-côte et passe au pied d’un mont élevé que couronne un paquet de maisons jetées dans le ciel bleu si haut qu’on pense avec tristesse à l’essoufflement des habitants contraints de remonter chez eux. Ce hameau s’appelle Santo-Antonino. On découvre, à droite de la route, une petite église du treizième siècle, de style pur, chose rare en ce pays sans monuments et sans aucun art national. Cet édifice a été élevé par les Pisans, me dit-on. Plus loin, dans un repli de montagne, au pied d’un pic élancé en forme de pain de sucre, un grand bâtiment gris et blanc domine l’horizon, les campagnes inclinées, la plaine, la mer : c’est le Couvent des Dominicains.

Un frère italien m’introduit, ne comprend pas ce que je lui dis, et me parle inutilement. Je tire ma carte où j’écris : "Pour le R. P. Didon", et je la lui donne. Il part alors, après m’avoir indiqué une porte de la maison. C’est le parloir, et j’attends.