Выбрать главу

Nous admirons, sans enthousiasme, le verbiage gracieux de Mme de Sévigné. Quant à Mme Sand, une exception unique, il ne faudrait pas une étude bien longue de son œuvre pour prouver que les qualités très remarquables de cet écrivain ne sont cependant pas d’un ordre absolument supérieur.

Les femmes, par millions, étudient la musique et la peinture, sans avoir jamais pu produire une œuvre complète et originale, parce qu’il leur manque justement cette objectivité de l’esprit, qui est indispensable dans tous les travaux intellectuels.

Tout cela me semble irréfutable. On pourrait amasser, dans ce sens des montagnes d’arguments, aussi inutiles, puisqu’on ne fait que déplacer la question, et, par conséquent, raisonner dans le faux, à mon avis du moins.

C’est que nous demandons à la femme des qualités que la nature ne lui a point accordées, et que nous ne tenons pas compte de celles qui lui sont propres.

Herbert Spencer me paraît dans le vrai quand il dit qu’on ne peut exiger des hommes de porter et d’allaiter l’enfant, de même qu’on ne peut exiger de la femme les labeurs intellectuels.

Demandons-lui bien plutôt d’être le charme et le luxe de l’existence.

Puisque la femme revendique ses droits, ne lui en reconnaissons qu’un seul : le droit de plaire.

L’Antiquité la jetait à l’écart, contestant même sa beauté.

Mais le christianisme est apparu ; et, grâce à lui, la femme au Moyen Age est devenue une espèce de fleur mystique, d’abstraction, de nuage à poésies. Elle a été une religion. Et sa puissance a commencé !

Que dis-je, sa puissance ? Son règne omnipotent ! C’est alors seulement qu’elle a compris sa vraie force, exercé ses véritables facultés, cultivé son vrai domaine : l’Amour ! L’homme avait l’intelligence et la vigueur brutale ; elle a fait de l’homme son esclave, sa chose, son jouet. Elle s’est faite l’inspiratrice de ses actions, l’espoir de son cœur, l’idéal toujours présent de son rêve.

L’amour, cette fonction bestiale de la bête, ce piège de la nature, est devenu entre ses mains une arme de domination terrible : tout son génie particulier s’est exercé à faire de ce que les anciens considéraient comme une chose insignifiante la plus belle, la plus noble, la plus désirable récompense accordée à l’effort de l’homme. Maîtresse de nos cœurs, elle a été maîtresse de nos corps. Et nous l’apercevons chez tous les peuples. Reine des rois et des conquérants, elle a fait commettre tous les crimes, fait massacrer des nations, affolé des papes ; et si la civilisation moderne est si différente des civilisations anciennes et des civilisations orientales, dédaigneuses de l’amour qu’on appelle idéal ou poétique, c’est au génie particulier de la femme, à sa domination occulte et souveraine, que nous le devons assurément.

Aujourd’hui qu’elle est la maîtresse du monde, elle réclame ses droits !

Alors, nous, qu’elle a endormis, asservis, domptés par l’amour et pour l’amour, au lieu de la considérer seulement comme la fleur qui parfume la vie, nous allons la juger froidement avec notre raison et notre bon sens. Notre souveraine va devenir notre égale. Tant pis pour elle !

Schopenhauer avait-il tort ? Puisque les femmes réclament des droits égaux aux nôtres, voyons quelles sont leurs déléguées, les grandes citoyennes qui portent la parole au nom de toutes, la Lysistrata moderne.

Jugeons le savoir, la raison et les œuvres de cette femme. Ses œuvres ? Je trouve d’abord une petite pièce de vers que je considère comme authentique, puisqu’elle a été reproduite par tous les journaux. La voici :

« Il est temps que le champ clos s’ouvre ; Comme on a brûlé le vieux Louvre, Nous mettrons Versailles en feu ; Versailles cité d’infamie, C’est la flamme de l’incendie Qui doit purifier ce lieu. »

Je n’ai jamais d’indignation contre les idées. Le souhait platonique exprimé par cette poésie me laisse donc indifférent. Les vers sont fort mauvais. Qu’importe ? La femme poète n’est pas encore trouvée, et voilà tout. Mais ce qui est grave là-dedans, c’est l’enfantillage de la pensée.

Revoilà donc ce Moyen Age, la religiosité retournée : le champ clos ! La cité d’infamie ! Et le feu qui purifie !

L’inquisition démocratique ! Voilà bien toute la futilité féminine ! Nous combattons, nous, avec des idées, la seule arme des gens de progrès et de science, la seule qui ait jamais imposé, fait triompher la vérité. Elles, qui n’ont point cette arme, réclament leurs droits pour combattre avec l’incendie, et parlent de purification, de villes souillées, etc. ; toute la vieille rengaine biblique appliquée à la démagogie et toute la férocité des siècles anciens.

Enfin n’attachons point d’importance à cette élucubration, qui n’est que ridicule, et arrivons à la perle des candidatures mortes.

Ça y est-il bien, cette fois, ô mon maître Schopenhauer ?

Je ne sais quels cris d’animaux imiter, quelles contorsions de singe, quelle gymnastique de fou exécuter, pour exprimer l’inénarrable joie, la prodigieuse envie de rire qui m’a tordu pendant deux heures, en songeant à cette adorable idée d’un conseil de citoyens trépassés !

Hein ? La tâtons-nous là dans toute son incapacité, dans toute sa bêtise originelle et triomphante, dans toute sa grandiose niaiserie l’intelligence des citoyennes libre-penseuses.

Est-ce beau ? Surprenant ? Stupéfiant ? Plus on y pense, moins on s’en lasse ! Plus on creuse, plus on réfléchit, plus on imagine les conséquences, plus on demeure abasourdi et délirant de gaieté !

Voilà ! Oh ! Oui votez. – Oh ! Oui, nommez-nous des représentants. – Oh oui ! Soyez indépendantes, citoyennes, – car nous rirons, nous rirons, nous rirons– en dussions-nous mourir ; ce qui serait, du reste, la seule vengeance dont vous puissiez vous enorgueillir.

Allons, levez vos boucliers, guerrières : ça ne sera jamais qu’une levée de jupes !

Quant à vous, mesdames, qui ne cherchez qu’à être belles et séduisantes, vous dont la main pressée nous donne des frissons, et dont l’œil voilé nous verse du rêve, vous dont nous vient tout bonheur et tout plaisir, toute espérance et toute consolation, je vous demande à deux genoux, pardon si j’ai écrit, dans cet article, des choses sévères pour votre race ; et je baise avec amour le bout rosé de vos doigts.

Chroniques. Année 1881

Gustave Flaubert dans sa vie intime

(La Nouvelle Revue, 1er janvier 1881)

Aussitôt qu’un homme arrive à la célébrité, sa vie est fouillée, racontée, commentée par tous les journaux du monde ; et il semble que le public prend un plaisir spécial à connaître l’heure de ses repas, la forme de son mobilier, ses goûts particuliers et ses habitudes de chaque jour. Les hommes célèbres se prêtent d’ailleurs volontiers à cette curiosité qui augmente leur gloire : ils ouvrent aux reporters la porte de leur maison et le fond de leur cœur à tout le monde.