Et, plus loin :
« On m’a dit que vous étiez malade, pauvre amie, et qu’une fluxion gâtait votre belle mine. Je la bécote nonobstant en ma qualité d’idéaliste. Votre état de permanente souffrance m’embête, « m’êluge », m’afflige. Le moral y est pour beaucoup, j’en suis sûr ; vous êtes trop triste, trop seule. On ne vous aime pas assez. Mais rien n’est bien dans ce monde. Sale invention que la vie, décidément, nous sommes tous dans un désert, personne ne comprend personne. »
Voici encore
« Votre ami continue à n’être pas gai. Pourquoi ? Tous les amis disparus, la bêtise publique, la cinquantaine, la solitude et quelques soucis. Voilà les causes sans doute. Je lis des choses très dures ; je regarde la pluie tomber et je fais la conversation avec mon chien ; puis, le lendemain, c’est la même chose, et le surlendemain encore. » Si vous voulez savoir des nouvelles de mon intérieur, vous apprendrez que mon larbin Émile est père d’un fils. Sa joie quand sa femme lui a fait ce cadeau, était curieuse à voir. Autrefois je ne l’aurais pas comprise. Maintenant c’est différent. J’étais né avec un tas de vertus et de vices auxquels je n’ai pas donné cours, et je le regrette. […]
Êtes-vous heureuse à Rome ? Quel pays ! Je l’ai presque oublié. Ah ! Si je pouvais y passer un an, comme ça me retremperait. N’oubliez pas de vous promener dans la campagne de Rome, le plus que vous pourrez, et d’aller jusqu’à Ostie.
Ne sentez-vous pas, ô Latine, que les mânes des Consuls ont envie de vous baiser quand vous errez le long de leurs murs ? Ils reconnaissent en vous une fille de leur race. Vous étiez faite pour porter la stole patricienne, marcher pieds nus dans des sandales à rubans de pourpre et avoir sur le front toutes les pierreries de la Bactriane...
Quand revenez-vous ? Voilà ce que j’ai cherché dans votre épître ; mais vous ne parlez pas de retour. Il aura lieu, sans doute, après Pâques ? Bien qu’il m’ennuie de vous, profitez du bon temps, ne passez rien ! Un voyage raté laisse des regrets infinis, et on voit mal ce que l’on voit vite.
Allons, adieu, portez-vous bien. Amusez-vous bien : ouvrez de toutes vos forces vos grands quinquets et pensez à votre vieux.
G. F.
Qui vous aime, malgré la littérature.
Pauvres ouvriers que nous sommes ! Pourquoi nous refuse-t-on ce qu’on accorde gratuitement au moindre bourgeois ? Ils ont du cœur, eux ! Mais nous autres, allons donc, jamais de la vie ! Quant à moi, je vous répète une fois de plus que je suis une âme incomprise, la dernière des grisettes, le seul survivant de la vieille race des Troubadours ! — Mais vous ne voulez pas me croire. »
Et partout, en d’autres lettres, on rencontre des phrases comme celles-ci :
« Quant à moi, que voulez-vous que je vous dise, ma chère amie ? Je suis un homme de la décadence, ni chrétien, ni stoïque, et nullement fait pour les luttes de l’existence...
Que ne suis-je insouciant, égoïste, léger ! Le fardeau de l’existence serait moins lourd. »
Et sa « haine contre la Bêtise » reparaît à chaque ligne : il cite des passages qu’il vient de lire, s’indigne, s’exaspère, ou, plus rarement, s’en égaye :
« On a joué trois fois la Damnation de Faust, qui n’a eu, du vivant de mon ami Berlioz, aucun succès, et maintenant le public, l’éternel, l’éternel imbécile nommé ou reconnaît, proclame, braille que c’est un homme de génie. »
Les cadeaux
(Le Gaulois, 7 janvier 1881)
La semaine des cadeaux vient de finir, et les étagères des jolies femmes sont couvertes de bibelots. Le cadeau qu’on donne à une jolie femme est toujours la voix d’un désir ; aussi rien n’est-il plus intéressant à visiter que les salons coquets dans la saison des étrennes.
J’ai fait ce voyage autour des boudoirs que j’aime, et je me suis arrêté longtemps devant des physionomies d’objets qui me révélaient bien des mystères. Souvent même je devinais : « C’est M. X... qui vous a donné cela, madame ? – Oui... Comment le savez-vous ? – Ah ! Voilà, c’est mon secret. »
Le peuple menu des choses gracieuses règne en cette saison de l’année, occupe toutes nos pensées, tient notre attention, agite nos cœurs.
Un petit bijou mignon, rare et simple, est un éloquent plaidoyer, mais un plaidoyer des sens. Pourquoi ? Direz-vous. Je ne sais trop. Mais le bijou me semble brutal. C’est de l’or, des diamants, des perles, de l’argent sous une forme palpable, appréciable du premier venu. On dit, au simple coup d’œil : « Cela vaut tant. » Eh bien, le « cela vaut tant » me paraît indiquer aussi une affection qui vaut tant. Offrir un bijou, c’est presque ouvrir son porte-monnaie et mettre la somme en la main.
Ne vous fâchez point, mesdames ; je sais que, presque toutes, vous préférez les bijoux aujourd’hui. Cela vous sied si bien, n’est-ce pas ? Faisons une exception pour les bijoux anciens ; leur valeur, plus conventionnelle, leur prête quelque chose de plus discret et de plus enveloppé.
Les fleurs, généralement, sont les messagères des sentiments platoniques ; et les bonbons ne sont qu’un prétexte pour offrir la bonbonnière.
Or, la bonbonnière achetée chez le bonbonnier indique la simple politesse, quelle que soit d’ailleurs la valeur de l’objet. Cela veut dire : « J’ai dîné souvent chez vous, je vous dois un cadeau sérieux ; tout le monde sait que cette boîte à la mode, achetée chez le confiseur en vogue, coûte vingt-cinq louis ; voilà. C’est un devoir que j’accomplis, nous sommes quittes. »
La coupe de Chine, pleine de marrons ; la porcelaine japonaise, pleine de billes de chocolat ; la boîte en laque, pleine de fondants, expriment une intention plus raffinée. Elles disent : « j’ai voulu vous être agréable ; j’ai cherché ce que je pourrais vous offrir ; j’ai couru les magasins ; je me suis, enfin, donné du mal. » Ce sont des présents un peu communs toutefois ; et les seules porcelaines où les doigts mignons doivent puiser les douces sucreries sont celles qui portent les marques anciennes des deux L ou des deux épées : Sèvres ou Saxe, ces sanctuaires du goût exquis.
Que peut-on donner de plus délicieux qu’un bibelot de Sèvres, du vieux sèvres, bien entendu, de cette inimitable pâte tendre, dont le secret est oublié ? à moins d’offrir un vieux saxe, une de ces petites boîtes carrées ou rondes qui portent sur leur couvercle des paysages aux tons violets, si fins, si délicats, ces merveilles de couleur unie où des arbres déliés abritent les fluettes maisons, dont le toit lance une imperceptible fumée grise sur un ciel couleur de lait.
Oui, le sèvres au fond bleu pâle, ce bleu qui ne change pas aux lampes, ce sèvres plein d’oiseaux variés comme des fleurs, au milieu de buissons de toutes nuances, le sèvres aux bergères couchées à côté des bergers, et caressant un mouton rose dans une campagne à la Watteau, n’a qu’un rival, c’est le saxe, plus austère, mais peut-être plus parfait encore.