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La beauté est en tout, mais il faut savoir l’en faire sortir ; le poète véritablement original ira toujours la chercher dans les choses où elle est le plus cachée, plutôt qu’en celles où elle apparaît au-dehors et où chacun peut la cueillir. Il n’y a pas de choses poétiques, comme il n’y a pas de choses qui ne le soient point : car la poésie n’existe en réalité que dans le cerveau de celui qui la voit. Qu’on lise, pour s’en convaincre, la merveilleuse « Charogne » de Baudelaire.

Peut-être notre jugement a-t-il paru bien sévère pour le Parnasse du XVIe siècle.

Voici quelle sera notre excuse.

L’Italie, déjà veuve du Dante, avait le Tasse et l’Arioste ; l’Espagne, Lope de Vega ; l’Angleterre, le géant des poètes, l’immense, le merveilleux Shakespeare.

Au milieu de cet épanouissement de génies, de cette éclosion de chefs-d’œuvre, à côté de la magnificence des littératures voisines, combien pâles apparaissent les gentillesses printanières, les bouquets galants, les spirituels fabliaux de nos ingénieux tourneurs de vers.

Heureusement pour l’honneur des lettres françaises qu’un homme aussi grand que le Dante, le Tasse ou l’Arioste, profond comme Cervantes et créateur comme Shakespeare s’était levé sur notre pays. En lui le génie national s’incarna pour jusqu’à la fin des siècles : en lui, selon l’expression de Chateaubriand, devait puiser toute notre littérature à venir. Il dressa des héros énormes comme ceux d’Homère et d’une originalité surprenante. Il répandit sur eux, avec un incomparable style, l’esprit le plus prodigieux, une attendrissante simplicité, un savoir universel et toute la sagesse des philosophies.

Comme un vieux colosse inébranlable, il domine toujours notre littérature, et sa renommée grandit encore à mesure que vieillit son œuvre.

Il illumina tout son siècle ; et la terre qui enfanta maître François Rabelais n’avait plus rien à envier aux gloires des nations ses rivales.

Chroniques. Année 1880

Les Soirées de Médan

(Le Gaulois, 17 avril 1880)

A M. le Directeur du Gaulois.

COMMENT CE LIVRE A ÉTÉ FAIT

Votre journal fut le premier à annoncer les Soirées de Médan, et vous me demandez aujourd’hui quelques détails particuliers sur les origines de ce volume. Il vous paraîtrait intéressant de savoir ce que nous avons prétendu faire, si nous avons voulu affirmer une idée d’école et lancer un manifeste.

Je réponds à ces quelques questions.

Nous n’avons pas la prétention d’être une école. Nous sommes simplement quelques amis, qu’une admiration commune a fait se rencontrer chez Zola, et qu’ensuite une affinité de tempéraments, des sentiments très semblables sur toutes choses, une même tendance philosophique ont liés de plus en plus.

Quant à moi, qui ne suis encore rien comme littérateur, comment pourrais-je avoir la prétention d’appartenir à une école ? J’admire indistinctement tout ce qui me parait supérieur, à tous les siècles et dans tous les genres.

Cependant, il s’est fait évidemment en nous une réaction inconsciente, fatale, contre l’esprit romantique, par cette seule raison que les générations littéraires se suivent et ne se ressemblent pas.

Mais, du reste, ce qui nous choque dans le romantisme, d’où sont sorties d’impérissables œuvres d’art, c’est uniquement son résultat philosophique. Nous nous plaignons de ce que l’œuvre de Hugo ait détruit en partie l’œuvre de Voltaire et de Diderot. Par la sentimentalité ronflante des romantiques, par leur méconnaissance dogmatique du droit et de la logique, le vieux bon sens, la vieille sagesse de Montaigne et de Rabelais ont presque disparu de notre pays. Ils ont substitué l’idée de pardon à l’idée de justice, semant chez nous une sensiblerie miséricordieuse et sentimentale qui a remplacé la raison.

C’est grâce à eux que les salles de théâtre, pleines de messieurs véreux et de filles, ne peuvent tolérer sur la scène un simple fripon. C’est la morale romantique des foules qui force souvent les tribunaux à acquitter des particuliers et des drôlesses attendrissants, mais sans excuse.

J’ai pour les grands maîtres de cette école (puisqu’il s’agit d’école) une admiration sans limites, jointe souvent à une révolte de ma raison ; car je trouve que Schopenhauer et Herbert Spencer ont sur la vie beaucoup d’idées plus droites que l’illustre auteur des Misérables. – Voilà la seule critique que j’oserais faire, et il ne s’agit pas ici de littérature. – Littérairement, ce qui nous paraît haïssable, ce sont les vieilles orgues de Barbarie larmoyantes, dont Jean-Jacques Rousseau a inventé le mécanisme et dont une suite de romanciers, arrêtée, je l’espère, à M. Feuillet, s’est obstinée à tourner la manivelle, répétant invariablement les mêmes airs langoureux et faux.

Quant aux querelles sur les mots : réalisme et idéalisme, je ne les comprends pas.

Une loi philosophique inflexible nous apprend que nous ne pouvons rien imaginer en dehors de ce qui tombe sous nos sens ; et la preuve de cette impuissance, c’est la stupidité des conceptions dites idéales, des paradis inventés par toutes les religions. Nous avons donc ce seul objectif : l’Être et la Vie, qu’il faut savoir comprendre et interpréter en artiste. Si on n’en donne pas l’expression à la fois exacte et artistiquement supérieure, c’est qu’on n’a pas assez de talent.

Quand un monsieur, qualifié de réaliste, a le souci d’écrire le mieux possible, est sans cesse poursuivi par des préoccupations d’art, c’est, à mon sens, un idéaliste. Quant à celui qui affiche la prétention de faire la vie plus belle que nature, comme si on pouvait l’imaginer autre qu’elle n’est, de mettre du ciel dans ses livres, et qui écrit en « romancier pour les dames », ce n’est, à mon avis du moins, qu’un charlatan ou un imbécile. J’adore les contes de fées et j’ajoute que ces sortes de conceptions doivent être plus vraisemblables, dans leur domaine particulier, que n’importe quel roman de mœurs de la vie contemporaine.

Voici maintenant quelques notes sur notre volume.

Nous nous trouvions réunis, l’été, chez Zola, dans sa propriété de Médan.

Pendant les longues digestions des longs repas (car nous sommes tous gourmands et gourmets, et Zola mange à lui seul comme trois romanciers ordinaires), nous causions. Il nous racontait ses futurs romans, ses idées littéraires, ses opinions sur toutes choses. Quelquefois il prenait un fusil, qu’il manœuvrait en myope, et tout en parlant, il tirait sur des touffes d’herbes que nous lui affirmions être des oiseaux, s’étonnant considérablement quand il ne retrouvait aucun cadavre.