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Oh ! Les pauvres diables, quelle tête piteuse ils doivent faire le jour où le peuple souverain leur dit plaisamment, dans un moment de caprice et de gaieté : « Va t’asseoir ! »

Ils ont travaillé avec conscience, étudié, pioché : ils sentent vraiment battre leur cœur en prononçant ce mot « la République » ; car ils ont collaboré à sa naissance et à son élevage ; et voilà que ce grand Manitou de suffrage universel leur crie au nez : « Va t’asseoir. »

Et ils vont s’asseoir au milieu de leurs familles abasourdies. Ils rentrent dans leurs foyers à la façon des troupiers réformés pour infirmité quelconque.

Oh ! Le misérable député que les électeurs viennent d’envoyer s’asseoir ! Il a l’aspect aplati et navrant d’un ballon crevé, tombé du ciel.

Il lui reste, pour toute consolation, la faculté de faire imprimer sur ses cartes de visite : « M. X..., ex-représentant du peuple. » – Mais il est devenu celui dont on dit avec un sourire : « Vous savez bien, c’est ce pauvre X..., l’ancien député. – Ah oui ! Va t’asseoir. »

Et il me semble les voir, en ce moment, assis par tous les départements de France, ces lamentables Refusés, qui regardent d’un air piteux partir pour Paris leurs rivaux, avec un chapeau neuf et des papiers sous le bras.

Voici un exemple remarquable : M. Gambetta. On peut l’aimer ou ne point l’aimer, mais il me semble impossible de contester qu’il possède plus que tout autre, aujourd’hui, la science et l’instinct politiques. Je ne nie pas qu’il puisse être une graine de despote, et qu’il ait montré en bien des occasions des tendances fort autoritaires. Je ne nie pas qu’il semble, à un moment donné, avoir rêvé le rôle dangereux de sauveur, et projeté, au milieu d’une sorte d’enivrement de puissance, d’acquérir aussi la gloire militaire en nous restituant les provinces perdues.

Aucun homme n’est infaillible. En est-il moins vrai qu’il a rendu au parti républicain d’immenses services ; qu’il a écrasé ses adversaires politiques en sachant rallier autour de lui les combattants inquiets dans les moments difficiles ; qu’il a été habile, rusé, audacieux quand il le fallait, et toujours clairvoyant ? On lui devait au moins beaucoup de respectueuse reconnaissance. Mais voilà ! En sa conscience d’homme politique, il a cru devoir marcher dans une voie déterminée. Il a cessé de crier uniquement : « Vive l’peupe quand même ! » et son peuple (couche Charonne-Belleville) vient de lui dire, tout bas, il est vrai : « Va t’asseoir, mon vieux, et ne te le fais pas répéter ! » C’est une sorte d’avertissement sans frais. A bon entendeur, salut !

Et lui, tout surpris, reste là, se demandant si c’est pour rire ou pour de vrai, s’il doit s’asseoir ou demeurer debout. – « C’est pour DE VRAI, monsieur ; le peuple souverain ne rit pas. Choisissez-en bien vite une autre couche ou résignez-vous à vous asseoir. »

M. Vallès me semble plus malin. Ce romancier d’un grand talent et d’un grand esprit a choisi pour électeurs des gens qu’on a envoyés eux-mêmes s’asseoir d’une façon définitive, les fusillés de la Commune. L’idée est drôle et peut être prise par les deux bouts, côté comique ou côté sérieux, à volonté. Je soupçonne M. Vallès d’être au fond un grand sceptique, un pince-sans-rire communardo-farceur.

Je ne puis songer à lui sans me rappeler le mot d’un ex-membre de la Commune, à qui je montrais dernièrement, de loin, la Chambre des députés, en lui disant :

— Eh bien, pétroleur, quand donc entrez-vous là ?

Il me répondit en riant :

— Je n’y entrerai jamais que pour flanquer des coups de pied... à ceux qui y sont ou y seront.

En voilà encore un qui n’ira point s’asseoir.

J’ai dit que M. Vallès me paraissait être un grand sceptique. J’en prends pour preuve son très remarquable livre publié au printemps : Le Bachelier. Personne n’ignore que l’écrivain a raconté sa propre histoire. Lisez-la. Vous verrez comment monte le dégoût des choses politiques ; comment les formules consacrées, les principes stupides et immortels, la bêtise, l’intolérance, l’aveuglement, l’étroitesse d’esprit des doctrinaires de tous les partis, finissent par tuer la confiance, l’espérance, le courage et l’enthousiasme des cœurs exaltés.

M. Vallès est assurément resté fidèle à son amour pour la justice théorique, pour la révolution intègre et vengeresse ; mais comme il la rêve autre qu’elle ne peut être, et comme on le sent, lui, à jamais déçu dans sa foi, à jamais dégoûté de la sottise de ses compagnons de lutte, écœuré des phrases ronflantes, des rengaines et des traditions révolutionnaires !

Aujourd’hui il en est arrivé à n’avoir plus confiance que dans la COUCHE des fusillés ; et ceux-là aussi étaient sans doute des utopistes, des croyants sincères, puisqu’ils sont morts pour leur cause.

C’est que M. Vallès est un maître écrivain et, chez lui, l’homme politique découragé se confesse au romancier qui, à son tour, malgré tout, parle, avoue les misères profondes de sa foi, parce que la passion de l’art est devenue plus puissante que la passion politique, parce que M. Vallès est avant tout un artiste.

Sapons les immortels principes.

Les monarchies sont trépassées ; elles avaient vécu leur temps. Des hommes nouveaux et hardis sont venus qui ont SAPÉ le principe équilibriste du droit divin avec ce simple raisonnement que, pour gouverner tous les hommes, il faudrait qu’un homme pût avoir à lui seul autant d’intelligence, d’esprit, de savoir, d’aptitudes diverses, etc., que tous les autres réunis.

Ces révolutionnaires avaient raison ; ils ont triomphé. Mais, à la place du principe abattu, ils en ont élevé d’autres, qualifiés immortels, et qui sont aussi fantaisistes, aussi faux, aussi inacceptables que le premier. Sapons-les donc à notre tour.

Le gouvernement s’appuie aujourd’hui sur cette idée que tout citoyen doit avoir la même part d’autorité dans l’administration des affaires de la patrie ; et que la voix du plus remarquable des hommes ne vaut pas plus que la voix du plus bête.

Cela s’appelle : l’égalité ! Oh ! La bonne farce !

Puisque les hommes ne sont égaux ni dans la vie ni dans l’état, pourquoi concourraient-ils d’une manière égale au fonctionnement de la vie commune : l’État ?

Existe-t-elle dans la nature, cette égalité rêvée ? Montrez-moi donc seulement deux êtres que la création ait fait semblables, ayant exactement la même intelligence, le même esprit, les mêmes aptitudes, la même fortune et le même ventre. Mais Les frères Lionnet, le plus légendaire phénomène de ressemblance connu, ne sont point en tout pareils ! Il y en a un qui chante mieux que l’autre. L’égalité ! Cela n’existe nulle part, pas même dans les étoiles, ce monde des rêves, puisqu’elles n’ont jamais une égale grosseur. Donc, la LOI de la nature est la loi de proportion ; et vous allez asseoir un gouvernement sur une loi d’égalité contraire à toute règle, à toute logique, à tout bon sens, à tout fait observé.

Sapons les immortels principes.

Que devrait être, en réalité, ce suffrage de tous ? La représentation exacte de toutes les forces vives, effectives, agissantes, d’un pays, proportionnellement à la puissance de ces forces.