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« D’autres qui ont vécu dans l’intimité de sa vie, diront l’existence quotidienne de ce maître laborieux, soucieux de la dignité littéraire, ennemi du charlatanisme, détestant les réclames du reportage, ne voulant livrer au public que ses livres, – son œuvre et non sa personne. Ceux-là raconteront les délicatesses, les tendresses de cœur de l’ami, du fils, cachant, sous une affectation d’indifférence et de dégoût les sentiments les plus exquis.

« Pour nous, qui l’avons peu connu, mais admiré autant que personne, nous voulons rendre un suprême hommage à ce maître écrivain qui laisse des chefs-d’œuvre... »

Ces lignes suffiraient pour m’enlever toute hésitation, quand même je n’aurais pas le souvenir toujours vivant des paroles que m’a dites M. Claretie derrière le cercueil de Flaubert, paroles émues, venues du cœur, qui ont contribué pour beaucoup à la sympathie que j’ai gardée depuis pour l’auteur de Monsieur le Ministre.

Les femmes

(Gil Blas, 29 octobre 1881)

L’an dernier, une nouvelle désolante nous arrivait de l’Est : « L’écrevisse disparaît. » Ce fut une panique. L’écrevisse, cette perle des fontaines claires, cette petite bête exquise, montante, chaude au palais, ce rien du tout délicieux, cet idéal du gourmand ! Idéal, car il n’y a rien dans cette carapace, rien ou presque rien ; ce n’est pas une nourriture, c’est une saveur ; et cette chair introuvable du frêle animal, vous emplit la bouche d’une sensation plus forte que la viande capiteuse des gibiers.

La Meuse, disait-on, se dépeuplait, tous les ruisselets étaient vides ! On chercha la cause du désastre. D’après les uns, les fabriques nombreuses empoisonnaient les eaux. D’après les autres, il fallait attribuer la raison de cette calamité à la forme du gouvernement. Et cependant cet hiver, on mange encore des écrevisses. Il en restait donc quelques-unes ; elles se sont multipliées, que sais-je ? Enfin l’écrevisse n’est point disparue.

Mais voilà qu’une nouvelle autrement affreuse nous arrive aujourd’hui d’Angleterre : « La Française n’est plus. » Une grave revue, une revue à raisonnements, a jeté ce cri qui fait frémir les peuples.

Elle dit d’abord, cette revue, ce qu’était la femme de France, sa prédominance dans le monde, son charme, sa séduction particulière ; puis elle constate que les salons parisiens sont aujourd’hui presque vides de femmes. Et elle se lamente, elle se désole, au nom de l’Europe entière. Cette oraison funèbre de la Femme française est longue, très longue, assez vraie parfois, parfois grotesque. Avant d’y répondre, je voudrais connaître seulement l’âge de cet écrivain désespéré. Non, assurément, il n’y a plus de femmes en France pour bien des hommes... Il en existe encore pour nous.

Le publiciste anglais adjure ensuite la République de faire tous ses efforts pour rendre à l’Europe ce bijou perdu – la Parisienne. Par-là même il semble accuser le gouvernement d’avoir arrêté la fabrication de cet article spécial. A-t-il tort ? A-t-il raison ? Cherchons. Cependant je ne suis pas trop inquiet. On mange encore des écrevisses.

La Parisienne ! Qu’est-ce ? Elle n’est pas belle, elle est à peine jolie. Son corps n’a rien de sculptural, ce petit corps souvent maigrelet, souvent corrigé par l’industrie, une femme en TOC, enfin, rien d’une Grecque. Mais tout son être est un langage qui parle aux raffinés mieux que la grande beauté plastique. Ses yeux disent ce que tait sa bouche. Son geste, son sourire, un éclair de ses quenottes, un mouvement de ses menottes, une ondulation de sa robe quand elle se lève ou s’assied, ce qu’elle sait faire entendre, son babil charmant, méchant, perfide, sa grâce artificielle et grisante, tout ce qu’elle peut être par sa fine intelligence de sensitive, vous enveloppent d’une séduction irrésistible, d’une atmosphère féminine délicieuse, pénétrante, adorable. Détaillez-la, ce n’est rien ou presque rien : c’est une saveur, un charme. Ses vraies beautés restent presque introuvables, mais elle vous emplit le cœur d’une sensation plus troublante que les grandes statues parfaites en chair vivante.

Certes la Parisienne d’aujourd’hui n’est plus tout à fait la Parisienne d’autrefois ; il y a décadence, mais non disparition. Est-ce la faute de la République ? C’est discutable. Il y a confusion, je crois, en ce sens que le gouvernement est toujours un résultat de la société, tandis que la femme est aussi un reflet de cette société. Le monde me semble donc être le vrai coupable.

Avez-vous lu le livre de MM. Edmond et Jules de Goncourt : La Femme au dix-huitième siècle ? C’est le plus admirable ouvrage que je connaisse où il soit traité de l’art d’être femme. J’y trouve ceci :

« Façons, physionomie, son de voix, regard des yeux, élégance de l’air, affectations, négligences, recherches, sa beauté, sa tournure, la femme doit tout acquérir et tout recevoir du monde. »

Comme elle est vraie, cette parole du grand romancier ! La femme se forme et se modifie à l’image de la société où elle vit. A quelle époque, en France, a-t-elle atteint sa perfection ? C’est justement pendant ce XVIIIe siècle, le siècle féminin par excellence, dont nous parle si subtilement l’écrivain. C’est alors qu’apparurent dans Paris ces êtres adorables dont on croit encore respirer le passage, ces radieuses figures, étoiles d’amour dont l’éblouissement nous est resté. Elles se sont formées dans l’air parfumé de cette époque qui fit éclore toutes les élégances ; et elles étaient bien, ces femmes, les fruits de ce XVIIIe siècle où toutes les fines qualités de notre race ont atteint leur complet épanouissement, où la grâce semble née, où l’esprit semble inventé, où tous paraissent fous d’art et de raffinements infinis. C’est le siècle de Watteau et de Boucher, le siècle de Voltaire, le siècle aussi de Diderot, le siècle de l’incroyance, de la galanterie et de l’amour, le siècle qui grise, même de loin, le siècle français, le seul grand, le seul admirable siècle où notre pays reste sans rival, le siècle enchanteur et poudré !

Autres temps, autres femmes. Elles ont cette singulière et précieuse qualité d’être ce qu’elles doivent être dans le milieu où elles se trouvent. Douées d’un tact infiniment subtil, tout instinctif, d’une pénétration aiguë, vibrantes, impressionnables, faciles aux influences, avec des aptitudes surprenantes pour deviner, dominer, serpenter, ruser, séduire, les femmes prennent le ton d’une époque et ne le donnent pas. Elles sont cependant un peu dépaysées aujourd’hui dans ce monde d’hommes à peu près élevés, qui sentent le tabac, passent au fumoir après le dîner et au cercle après le fumoir, fréquentent la Bourse et non les salons, ne lisent rien de ce qui fait charmante la vie, ignorent l’art de jeter un compliment, de baiser une main, ne savent même plus préférer parfois la soubrette à la maîtresse, soupent entre mâles et payent l’amour !