Il chercha un communicateur public sur sa table, en trouva un fixé sur le côté gauche. Le clavier était minuscule, ses doigts paraissaient gros comme des troncs d’arbre et, quand il essaya de se remémorer le code d’appel de la chambre de Davidov, cinquante mille numéros à huit chiffres lui remontèrent à la mémoire en un cinquante millième de seconde.
Du calme. Du calme. Il fit le tri dans le dédale de numéros, retrouva le bon et le composa sur le clavier.
Pas de réponse.
Pas de transfert d’appel non plus.
Carpenter enfonça la touche « aide » et demanda à l’appareil de lui trouver Davidov, où qu’il soit sur le satellite. Il ne comprenait pas pourquoi cela n’avait pas été fait automatiquement ; un instant plus tard, l’appareil afficha un code invalide pour la personne demandée.
Où était passé Davidov ?
Il essaya le numéro de la chambre que partageaient Enron et Jolanda. Personne.
C’était très inquiétant. Où étaient-ils donc tous passés ? Et le mécanisme des bombes était réglé pour l’explosion.
Il inspira longuement, composa ce qu’il espérait être le code des renseignements et indiqua au communicateur qu’il désirait parler au colonel Olmo, de la Guardia Civil. L’appareil le mit en communication avec la salle des transmissions.
— Le colonel Olmo, je vous prie.
— De la part de qui ?
— Je m’appelle Paul Carpenter. Je travaille pour…
Il faillit dire Samurai Industries et se retint au dernier moment.
— Kyocera-Merck, Ltd. Je suis un associé de Victor Farkas. Donnez-lui ce nom : Victor Farkas.
Il avait toutes les peines du monde à articuler correctement.
— Un moment, s’il vous plaît.
Carpenter attendit. Il se demanda ce qu’il fallait dire à Olmo, s’il devait lui déballer toute la vérité sur la conspiration. Ce n’est pas lui qui avait été chargé de transmettre l’ultimatum. Il n’était qu’un larbin dans cette affaire. Par ailleurs, c’est lui qui avait éliminé Farkas et, cela, personne ne le savait. Lui incombait-il maintenant de reprendre le rôle de l’aveugle dans le déroulement de l’action ?
— Quelle est la nature de votre appel ? demanda une voix.
Seigneur ! Seigneur !
— C’est une affaire confidentielle. Je ne puis m’en entretenir qu’avec le colonel Olmo.
— Le colonel Olmo n’est pas libre. Désirez-vous parler à l’officier de permanence, le capitaine Lopez Aguirre ?
— Olmo et personne d’autre. Je vous en prie. C’est très urgent.
— Le capitaine Lopez Aguirre va prendre votre appel dans un instant.
— Olmo, répéta Carpenter, contenant une envie de pleurer.
— Lopez Aguirre à l’appareil, fit une nouvelle voix, brusque, agacée. Quel est l’objet de votre appel, je vous prie ?
Carpenter considéra la baguette dans sa main comme si elle venait de se transformer en serpent.
— J’essaie de joindre le colonel Olmo, dit-il en s’efforçant de parler intelligiblement. C’est une question de vie ou de mort.
— Le colonel Olmo n’est pas libre.
— On me l’a déjà dit. Vous devez me le passer quand même. C’est de la part de Victor Farkas.
— Qui ?
— Farkas. Farkas. Kyocera-Merck.
— Qui est à l’appareil ?
Carpenter déclina de nouveau ses nom et prénom, puis il ajouta, luttant toujours contre l’hyperdex qui le faisait bafouiller :
— Peu importe qui je suis. Ce qui compte, c’est que M. Farkas a des renseignements très importants à communiquer au colonel Olmo, et…
— Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Vous êtes ivre, c’est ça ? Vous croyez que j’ai du temps à perdre avec des ivrognes ?
Lopez Aguirre paraissait vraiment très irrité. Carpenter comprit que le capitaine n’allait pas tarder à envoyer quelqu’un à El Mirador pour appréhender et questionner un individu suspect, qui troublait l’ordre public. On le mettrait au frais et on le cuisinerait après déjeuner. Ou le lendemain.
Il coupa la communication et commença à traverser la place, s’attendant à voir un homme de la Guardia Civil jaillir de derrière un palmier et lui passer une paire d’aimants avant qu’il ne soit arrivé de l’autre côté. Mais personne ne se jeta sur lui. Il allait d’une démarche saccadée, au pas redoublé, encore un peu speedé. L’effet de l’hyperdex ne se dissiperait pas totalement avant plusieurs heures.
Il prit l’élévateur. Descente vers le moyeu, le terminal des navettes. C’est très probablement là qu’ils se trouvaient tous, Enron, Jolanda, Davidov et ses compagnons. Prêts à prendre la navette de 12 h 15, si Olmo se révélait incapable de déloger le Generalissimo Callaghan de son trône.
Par la paroi vitrée du tube de l’élévateur, Carpenter aperçut une pendule. Il était midi moins le quart. À moins que Davidov n’eût prévu un plan de remplacement, l’ultimatum arriverait à expiration sans que le colonel Olmo en eût seulement été informé. Ce qui n’était pas un gros problème. Le seul véritable problème était qu’au terme du délai de grâce de quatre-vingt-dix minutes, si Olmo n’avait pas donné de nouvelles, les bombes exploseraient.
Au terminal, la navette à destination de la Terre était prête à partir. Carpenter vit l’axe luisant fiché au centre du module d’arrimage et le vaisseau spatial qui le surmontait. Des panneaux lumineux clignotaient dans tous les coins, lui brouillant les idées. Où pouvait bien être la salle d’embarquement ?
Il se retrouva dans une sorte de salle d’attente où étaient vautrés une demi-douzaine de jeunes autochtones. Il se rappela les avoir vus à son arrivée : c’étaient des courriers, des dégourdis qui guettaient les nouveaux venus. Il chercha celui qui l’avait aidé à passer la douane – Nattathaniel, c’est le nom qu’il avait donné –, mais ne le vit pas. Un autre, blond, un costaud au teint rosé, probablement pas aussi doux que son apparence le donnait à penser, s’avança vers lui.
— Je peux vous aider, monsieur ? J’appartiens à la corporation des courriers. Je m’appelle Kluge.
— J’ai un billet pour le vol de 12 h 15, à destination de la Terre.
— Passez par cette porte, monsieur. Désirez-vous que j’aille chercher vos bagages à la consigne ?
Les modestes bagages de Carpenter étaient restés dans sa chambre d’hôtel. Aucune importance.
— Je n’en ai pas, dit-il. Mais je cherche des amis qui doivent prendre la même navette que moi.
— Ils sont certainement dans la salle d’embarquement. Ou déjà à bord. L’embarquement des passagers est presque terminé, vous savez.
— Oui. Je me demande si vous les auriez vus passer.
Il donna une description d’Enron, de Davidov et de Jolanda. Les yeux du courrier se mirent à pétiller à l’évocation de Jolanda.
— Ils ne sont pas à bord, déclara Kluge.
— Vous en êtes certain ?
— Je les connais. M. Enron est israélien, la dame s’appelle Jolanda Bermudez. L’autre, le grand aux cheveux courts, utilise différents noms. J’ai travaillé pour M. Enron et Mlle Bermudez lors de leur séjour précédent. Je suis ici depuis une heure et je les aurais vus s’ils étaient passés.
Les yeux écarquillés, Carpenter prit un air consterné.
— Vous devriez gagner la salle d’embarquement, monsieur, reprit Kluge. Le dernier appel ne va pas tarder. Si je vois vos amis arriver, je leur dirai que vous êtes déjà à bord de la navette. Cela vous convient ?
Où étaient-ils donc ? Qu’avait-il bien pu se passer ?
Olmo aurait dû découvrir des bombes. C'était le plan exposé par Davidov : faire en sorte que le colonel en découvre quelques-unes. Afin qu’il sache que la menace devait être prise au sérieux, qu’il ne s’agissait pas d’un coup de bluff. Imaginons donc qu’Olmo ait découvert les bombes, du moins plusieurs engins, qu’il ait aussi découvert qui les avait posées, les hommes de Davidov, qu’il ait utilisé les moyens délicats auxquels la Guardia Civil de ce satellite avait généralement recours pour obtenir les renseignements qu’elle voulait. Qu’il ait ramassé les autres – Davidov, Jolanda, Enron – et les ait jetés dans une cellule pour les questionner dans le courant de la journée, peut-être le lendemain…