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— Dernier appel pour le vol 1133, annoncèrent les haut-parleurs du terminal. Les passagers à destination de San Francisco sont priés d’embarquer immédiatement…

— Vous devriez y aller, monsieur, répéta Kluge.

— Oui. Oui. Écoutez-moi : quand ils arriveront, vous leur direz que je suis à bord et… Attendez, dites-leur aussi que Farkas n’a pas transmis le message, comme prévu, ce matin. Vous avez bien compris ? Farkas n’a pas transmis le message.

— Oui, monsieur. « Farkas n’a pas transmis le message. »

— Bien. Merci.

Carpenter fouilla dans sa poche, sortit une pièce de monnaie locale. Ils appelaient cela des callaghanos. En réalité, ce n’étaient pas vraiment des pièces, plutôt des plaques convertibles. Il n’avait pas la moindre idée de la valeur de celle-ci ; elle était grosse, avec des reflets argentés, portait le chiffre 20 et Kluge devrait s’en contenter. Il la tendit au courrier.

— Dernier appel pour le vol 1133…

Où étaient Enron et Jolanda ? Où était passé Davidov ? En prison : Carpenter en avait la certitude :

Et Olmo avait trouvé les bombes, bien sûr. Mais les avait-il toutes découvertes ? Savait-il combien il y en avait ? Avait-il pensé à le demander ?

Carpenter gagna la salle d’embarquement. Il s’attendait plus ou moins à être arrêté dès qu’il présenterait sa plaque d’identité, mais, non, on lui dit que tout était en ordre. La voie était donc libre, il n’était lié en aucune manière aux conspirateurs, trop insignifiant pour avoir attiré l’attention sur lui pendant son bref séjour sur Valparaiso Nuevo.

Midi.

On lui avait demandé de faire de l’esclandre si les autres n’étaient pas là à l’heure dite : retarder le départ, faire en sorte que la navette ne décolle pas avant leur arrivée.

— J’ai des amis qui ne sont pas encore là, dit-il à l’enregistrement. Il faut retarder le départ jusqu’à ce qu’ils arrivent.

— C’est impossible, monsieur. Le plan de vol orbital…

— Je les ai vus hier soir. Ils étaient absolument décidés à prendre cette navette !

— Dans ce cas, peut-être sont-ils déjà à bord.

— Non. J’ai parlé à un courrier qui les connaît et qui m’a dit…

— Puis-je avoir leurs noms, monsieur ?

Carpenter donna les noms à toute allure. Il était encore speedé. L’employé de l’enregistrement lui demanda de répéter plus lentement et il s’exécuta. Hochement de tête de droite à gauche.

— Ces personnes ne figurent pas sur la liste des passagers de ce vol, monsieur.

— Comment cela, n’y figurent pas ?

— Les réservations ont été annulées. Pour ces trois passagers. Il est indiqué sur ce document qu’ils ne prendront pas ce vol.

Carpenter ouvrit des yeux ronds.

Ils ont été arrêtés, se dit-il. Maintenant, cela ne fait plus aucun doute. Ils sont entre les mains d’Olmo et, avec un peu de chance, ils lui ont tout révélé sur la conspiration, à moins, bien entendu, qu’ils n’aient pas encore été interrogés.

Et les bombes – les bombes ! – Olmo les avait-il toutes découvertes ? Était-il au courant de leur existence ?

— Si vous voulez bien, monsieur… Vous allez devoir embarquer, maintenant…

— Oui, fit machinalement Carpenter. Bien sûr.

Du pas pesant d’un robot moribond, il se dirigea vers la navette, monta à bord. Chercha des yeux Jolanda, Enron, Davidov. Ne les vit pas. Évidemment.

Se laissa attacher dans l’arceau d’apesanteur. Attendit le décollage de la navette.

Enron. Davidov. Jolanda.

Un fiasco colossal. Il ne pouvait rien faire. Rien du tout. Retarder le décollage ? Impossible. On le ferait descendre de la navette et on l’internerait dans le terminal. Un suicide pur et simple.

— Nous espérons que vous êtes confortablement installés et vous souhaitons un agréable vol…

Oui, bien sûr.

La navette décollait. 12 h 15 précises. Carpenter mit les mains devant ses yeux. Il avait cru un peu plus tôt être aussi fatigué qu’il l’avait jamais été de sa vie, mais il avait maintenant le sentiment d’avoir dépassé ce stade, d’être aussi fatigué qu’il pourrait jamais l’être de son vivant. Si l’on pouvait mourir de pure fatigue, songea-t-il, je serais déjà mort.

— Avez-vous l’heure ? demanda-t-il, bien plus tard, au passager assis en face de lui.

— Heure de Valparaiso Nuevo ?

— Oui.

— 13 h 28, exactement.

— Merci, fit Carpenter.

Il tourna la tête vers son hublot, le regard fixe, se demandant de quel côté de la navette se trouvait Valparaiso Nuevo et, si c’était le bon, lequel, parmi les nombreux petits points lumineux, était le satellite qu’il avait quitté une heure plus tôt.

Il n’eut pas à attendre longtemps pour le savoir.

Quand l’explosion se produisit, il vit s’épanouir en un instant dans le ciel une fleur écarlate. Un deuxième flamboiement rutilant lui succéda, puis un troisième.

28

Nick Rhodes était en train de vider son bureau quand la lumière de l’annonceur s’alluma.

— M. Paul Carpenter demande à vous voir, docteur Rhodes, annonça l’androïde.

C’était le dernier jour de Rhodes à Santachiara et il avait une multitude de choses à faire. Mais il pouvait difficilement dire à Paul qu’il était trop occupé pour le recevoir.

— Dites-lui d’entrer, ordonna-t-il à l’androïde.

Il ne s’attendait pas à un tel changement dans l’apparence de Carpenter. Son vieil ami donnait l’impression d’avoir perdu dix kilos en quelques semaines et vieilli de dix ans. Le visage hagard, il avait un regard vide et des yeux cerclés de rouge. Ses longs cheveux blonds avaient perdu presque tout leur lustre. Carpenter avait rasé sa barbe pour la première fois depuis si longtemps dans le souvenir de Rhodes qu’il ne reconnaissait pas le bas de ce visage émacié, dur, au menton saillant.

— Paul, fit-il, en s’avançant vers lui pour le serrer dans ses bras. Salut, mon vieux ! Salut à toi !

Il eut l’impression d’étreindre un sac d’os.

Carpenter lui fit un sourire morne, éteint, un sourire d’outre-tombe.

— J’ai cru devenir fou, fit-il d’une voix faible.

— Tu m’étonnes ! Veux-tu boire quelque chose ?

— Non.

— Moi non plus, dit Rhodes.

Carpenter lui adressa de nouveau son petit sourire spectral, vide ou presque de toute expression.

— Tu n’as pas laissé tomber la bouteille, quand même ?

— Moi ? Pas de danger ! Je suis indécrottable, mon vieux. Mais, là, je n’en ai pas envie. Prends donc un siège ! Détends-toi !

— Il me dit de me détendre, fit Carpenter avec un petit rire qui sonnait creux. Tu pars en voyage ? ajouta-t-il en indiquant les cartons d’emballage, les piles de cubes et de virtuels.

— C’est mon dernier jour. Je commence lundi chez Kyocera.

— Tant mieux pour toi.

— J’emmène la majeure partie de mon équipe. Hubbard, Van Vliet, Richter, Schiaparelli, Cohen… tous ceux qui occupent une position clé. Chez Samurai, ils sont consternés. Ils nous menacent d’un procès retentissant. Pas mon problème.