Выбрать главу

— C’est profondément vrai, il faut protéger la planète, déclara Jolanda Bermudez d’une voix éthérée, comme si elle présentait un bulletin d’information en direct de Vénus.

— Je suis absolument d’accord avec Jolanda, renchérit Isabelle. Nous devons revenir à la raison. C’est toute la planète qui est menacée ! Il faut faire quelque chose pour la sauver !

— Permettez-moi de ne pas partager cet avis, mademoiselle, fit Enron avec un sourire glacial. Ce n’est pas la planète qui est en danger. Peu lui importe, vous en conviendrez, que la pluie tombe sur le Sahara ou les plaines agricoles du centre de l’Amérique du Nord. Le Sahara cesse donc d’être un désert alors que la désertification gagne le Kansas et le Nebraska. Cela intéresse assurément les fermiers de ces États et les tribus nomades du Sahara, mais que représentent ces changements pour la planète ? Elle n’a que faire du blé qui était produit dans le Kansas et le Nebraska. L’atmosphère contient beaucoup moins d’oxygène et d’azote qu’au siècle dernier, mais beaucoup plus de dioxyde de carbone et d’hydrocarbures ; pourquoi la planète s’en soucierait-elle ? À une époque, il n’y avait pas du tout d’oxygène dans l’atmosphère terrestre. La planète l’a fort bien supporté. Elle est demeurée insensible à la fonte de la glace des calottes polaires et à l’engloutissement d’une grande partie des zones littorales. Que les Japonais vivent sur la côte de certaines îles, en bordure de l’Asie, ou bien qu’ils soient obligés de se réfugier ailleurs, dans des endroits plus élevés, cela ne changera rien pour la planète. La planète se fiche des Japonais. Et elle ne demande pas à être sauvée. Depuis je ne sais combien de temps, cent ans, cent cinquante peut-être, on entend des gens débiter les mêmes sornettes sur la nécessité de sauver la planète. Elle s’en sortira très bien. C’est nous qui sommes en danger. La question, mesdemoiselles, n’est pas de sauver la planète, mais notre espèce. La Terre continuera tranquillement de tourner, avec ou sans oxygène. Mais nous disparaîtrons de sa surface.

Enron sourit comme s’il faisait un pronostic sur une compétition sportive.

— Nous prenons quand même certaines mesures pour assurer notre survie, reprit-il en écartant les doigts de la main droite et en commençant à compter avec l’index de la gauche. Premièrement, nous nous sommes efforcés de limiter le dégagement des gaz dits à effet de serre. Trop tard. Ils continuent à se libérer aussi bien de l’océan que du sol où ils sont enfouis et rien ne peut arrêter ce processus. L’atmosphère de notre planète devient de moins en moins respirable. Il nous faut maintenant envisager l’éventualité d’avoir à évacuer la Terre dans un avenir assez proche.

— Non ! s’écria Isabelle Martine. Ce serait une solution de lâcheté ! Ce qu’il faut faire au contraire, c’est rester et reprendre la maîtrise de notre environnement.

— Certains sont pourtant persuadés que l’évacuation est notre dernier recours, répliqua Enron d’un ton implacablement mesuré. Voilà pourquoi – ce sera mon deuxième point, si vous me permettez de continuer –, nous avons rempli les zones les plus proches de l’espace de dizaines, voire de centaines de satellites artificiels habités, bénéficiant d’agréables conditions climatiques artificielles, et construit des stations sous bulle sur Mars et les lunes de Jupiter.

— Il m’arrive de penser que les satellites habités sont la seule solution, lança Jolanda Bermudez, l’interrompant de nouveau de sa voix rêveuse. J’ai souvent envisagé, en désespoir de cause, d’aller m’installer là-haut. J’ai des amis à Los Angeles qui sont très intéressés par une implantation dans les L-5.

Ces propos ne semblaient s’adresser qu’à elle-même.

Pris par le mouvement de son propre monologue, Enron ne lui prêta aucune attention.

— Les colonies orbitales sont une réussite remarquable, mais elles n’ont qu’une capacité extrêmement limitée et leur construction est très coûteuse. Nous ne pouvons à l’évidence nous permettre de transporter la totalité de la population de la planète sur ces petits refuges dans l’espace. Mais il existe une autre possibilité d’évacuation qui, dans l’immédiat, semble encore moins réalisable : le projet de découverte et de colonisation d’une Nouvelle Terre, d’une taille comparable à la nôtre, dans un autre système solaire, où l’espèce humaine aurait une seconde chance.

— Une ineptie ! ricana Isabelle. Une idée stupide, absurde !

— C’est ce qu’il semble, en effet, approuva Enron d’un ton conciliant. Autant que je sache, nous n’avons pas de projet interstellaire fiable, pas plus que nous n’avons encore réussi à découvrir des planètes situées à l’extérieur de notre système solaire, et je ne parle même pas d’une planète où la vie serait possible pour nous.

— Je n’en suis pas si sûr, glissa Rhodes d’une voix dépassant à peine l’audible.

Tous les regards se tournèrent vers lui. Manifestement décontenancé d’être le point de mire, il but précipitamment le reste de son dernier verre et fit signe au serveur d’en apporter un autre.

— Vous dites que nous avons découvert une planète ? demanda Enron.

— Non, répondit Rhodes, mais nous avons un projet interstellaire. Disons que c’est une possibilité. J’ai entendu dire que des progrès considérables ont été récemment accomplis et que des essais très importants allaient être effectués.

— Vous avez dit « nous », insista Enron. Il s’agirait donc d’un projet de Samurai Industries ?

Son front s’était brusquement couvert de sueur. Son regard trahissait un intérêt plus profond qu’il n’eût peut-être voulu le montrer.

— Non, répondit Rhodes, en fait, c’était un « nous » collectif, pour parler de l’espèce humaine en général. S’il faut en croire la rumeur, c’est plutôt chez Kyocera-Merck que les recherches seraient bien avancées sur un projet de vaisseau spatial de ce type. Pas chez nous.

— Mais Samurai doit vouloir se lancer dans un projet similaire, reprit Enron. Ne fût-ce que pour demeurer compétitif.

— En fait, vous êtes certainement dans le vrai, fit Rhodes.

Il tressaillit, comme si quelqu’un lui avait donné un coup de pied sous la table. Carpenter le vit fusiller Isabelle du regard.

— Ce que je veux dire, poursuivit-il après un silence, l’air plus évasif, c’est qu’il y a aussi un bruit de ce genre qui court. Je ne suis pas en position de savoir s’il est fondé. Des rumeurs comme celle-là, nous en entendons tout le temps… Vous devez comprendre que, si des recherches de ce type étaient menées par Samurai, elles auraient lieu dans une division entièrement distincte de la mienne.

— Oui, fit Enron. Oui, cela va de soi.

Il resta silencieux quelques instants, picorant distraitement dans son assiette, réfléchissant de toute évidence à ce que Rhodes avait laissé échapper.

Carpenter se demanda s’il pouvait y avoir du vrai là-dedans. Un voyage interstellaire ? Une expédition vers un autre système solaire, une Nouvelle Terre à coloniser, à cinquante années-lumière ? Un second départ, un nouvel Éden. L’espace d’un instant, il fut abasourdi par les perspectives qu’ouvrait cette hypothèse.

Mais, pour une fois, Isabelle avait raison : cela ne pouvait apporter une réponse aux problèmes de la Terre. L’idée était trop extravagante. Plusieurs siècles seraient nécessaires pour atteindre une autre étoile, même si une autre planète, semblable à la Terre, pouvait être découverte quelque part ; et, si cela devait se réaliser, il serait impossible d’y transporter une partie assez importante des milliards de Terriens. N’y pense plus, se dit-il. Cela ne peut mener nulle part.