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Le transfert provoqua une interférence qui brouilla un moment l’image du viseur ; Kluge branchait le câble de son terminal. Quand l’image retrouva sa netteté, Enron vit apparaître le solido d’un homme au visage carré, au cou puissant, avec des yeux bleus au regard sévère et des cheveux très courts, si blonds qu’ils en paraissaient décolorés. Sa peau, qui, à l’origine, devait avoir une pâleur slave, était d’une teinte pourpre tirant sur le noir et montrait des taches et des marbrures dues à l’abus d’Écran. C’était un visage effrayant, au menton avancé, d’où les lèvres étaient presque absentes, une face bestiale de cosaque.

— Qu’en penses-tu ? demanda Enron à Jolanda.

— C’est Davidov. Oui, c’est bien lui.

— On dirait un animal.

— En fait, c’est un garçon très doux, affirma Jolanda.

— Je n’en doute pas, fit Enron avant de demander à Kluge de revenir à l’image. Bien joué, tu les as retrouvés ! Où sont-ils en ce moment ?

— Je ne sais pas.

— Comment ?

— Ils ont réglé leur note il y a douze heures. Peut-être sont-ils repartis sur la Terre.

— Nom d’un pourceau ! lança Enron. Ils nous ont échappé !

— Je n’en suis pas certain. D’après mes contacts à l’Emigration, leur départ de Valparaiso Nuevo n’a pas été enregistré. Mais il n’en est pas moins vrai qu’ils ont quitté leur hôtel. Je vais poursuivre mes recherches.

— C’est ça.

— J’aurais besoin d’une avance, reprit Kluge. J’ai énormément de frais.

— Combien veux-tu ?

— Mille callaghanos ?

— Je vais t’en donner deux mille, fit Enron. Cela t’évitera d’avoir à me redemander de l’argent dans un ou deux jours.

Kluge parut vraiment très surpris. Jolanda regarda l’Israélien d’un air perplexe.

Enron sortit son terminal du tiroir, tapa le numéro de compte de Kluge et effectua le transfert de fonds. Kluge balbutia quelques mots de reconnaissance et disparut du viseur.

— Pourquoi lui as-tu donné une si grosse somme ? demanda Jolanda.

— Quelle importance ? Ce n’est pas l’argent qui manque. Je serais allé jusqu’à cinq mille.

— On ne te respectera pas si tu fais des largesses.

— On me respectera, ne t’inquiète pas. Kluge a déjà eu affaire à des Israéliens.

— Comment le sais-tu ?

— Nous avons des dossiers. Il ne t’est pas venu à l’esprit que je m’étais renseigné sur lui avant de l’engager ?

Il roula sa serviette en boule, la lança à l’autre bout de la pièce et entreprit de choisir des vêtements pour la soirée.

— Es-tu prête à sortir pour dîner ?

— Presque.

— Parfait. Pendant que je m’habille, appelle Farkas à son hôtel. Dis-lui que nous allons dîner et demande-lui s’il veut se joindre à nous.

— Pourquoi veux-tu faire ça ?

— Pour savoir s’il est au courant du projet visant à renverser le Generalissimo. Et s’il peut me dire où se trouve Davidov.

— Ne vaudrait-il pas mieux parler à Davidov avant de demander tout cela à Farkas ? fit Jolanda. Tu ne peux que supposer qu’il est dans le coup. Si ce n’est pas vrai et si tu le mets au courant de ce qui se prépare, tu risques de révéler à Kyocera certaines choses qu’il vaudrait mieux pour toi garder secrètes.

Enron lui lança un regard admiratif. Un sourire se forma et s’épanouit lentement sur ses lèvres.

— Il y a du vrai dans ce que tu dis !

— Tu vois ? Je ne suis pas si bête que ça !

— Il semblerait que je t’ai peut-être sous-estimée.

— Ce qu’il y a, c’est que tu es incapable de croire qu’une femme aussi bonne au lit que je le suis puisse utiliser son cerveau.

— Au contraire, répliqua Enron, j’ai toujours considéré que les femmes intelligentes font les meilleures partenaires. Mais il m’arrive parfois, quand une femme est trop belle, de ne pas remarquer qu’elle est intelligente aussi.

Jolanda se mit à rayonner de plaisir. Comme si un seul compliment détourné avait suffi à effacer toutes les paroles cruelles qu’il lui avait assenées.

Elle est vraiment d’une stupidité sans bornes, songea Enron. Mais elle a raison de dire qu’il vaut mieux être prudent avec Farkas.

— Le problème, fit-il, est que le temps passe et que nous n’avons pas encore réussi à trouver tes amis. Je ferais peut-être mieux de commencer à sonder Farkas. Le risque dont tu as parlé existe, mais il est également possible que j’apprenne quelque chose de lui. Appelle-le. Invite-le à dîner avec nous ce soir ou à déjeuner demain.

Le signal d’appel se mit à clignoter au moment où Jolanda commençait à se diriger vers le bureau. Elle lança à Enron un regard marquant l’incertitude.

— Réponds, dit-il.

C’était encore Kluge.

— J’ai retrouvé votre Davidov. Il a changé d’hôtel, mais il est encore là. Ils sont là tous les quatre. Rayon B, Residencia San Tomas, cité de Santiago.

— Tous les hôtels de la station portent-ils le nom d’un saint ? demanda Enron.

— Un grand nombre. Le Generalissimo est très croyant.

— Oui. Cela n’a rien d’étonnant. Quel nom utilise Davidov maintenant ?

— Toujours Dudley Reynolds. Les passeports des trois autres portent les noms de James Clark, Phil Cruz et Tom Barrett.

Enron se tourna vers Jolanda, qui haussa les épaules et secoua la tête.

— Ce sont probablement les hommes que nous cherchons, dit-il à Kluge. Parfait. Surveille-les et tiens-moi au courant. Si je ne réponds pas, fais suivre l’appel. Tu peux m’appeler n’importe où, dès qu’il y a du nouveau. Fais-moi savoir où ils vont, qui ils voient.

— Allons-nous essayer de les trouver ce soir ? demanda Jolanda quand Enron eut interrompu la communication.

— Es-tu très liée avec ces gens-là ?

— Je connais très bien Mike Davidov. Les autres noms ne me disent absolument rien. Mais ils sont tous faux.

— Et Davidov, tu le connais vraiment très bien ? Tu as couché avec lui ?

— Qu’est-ce que cela a à voir avec… ?

— Doucement, fit Enron. Je me fous de ta chasteté ou de ton absence de chasteté. Ce que je veux savoir, c’est quel type de relations tu avais avec ce Davidov.

Jolanda s’empourpra ; un éclair de colère brilla dans ses yeux.

— Oui, j’ai couché avec lui. J’ai couché avec des tas de gens.

— C’est ce que j’avais cru comprendre. Mais, pour l’instant, je parle de Davidov. Vous avez donc été amants. Comment réagira-t-il en apprenant que tu voyages avec un Israélien ? Cela l’embêtera beaucoup ?

— Nous étions seulement amis. Quand je suis allée à Los Angeles, il m’a hébergée, c’est tout. Il n’y avait rien de sérieux entre nous.

— Tu penses donc que cela ne devrait pas l’embêter ?

— Pas le moins du monde.

— Très bien, fit Enron, appelle-le. Residencia San Tomas, cité de Santiago. Demande à parler à Dudley Reynolds. Dis-lui que tu es ici avec un journaliste israélien que tu as rencontré à San Francisco et qui aimerait beaucoup lui parler, dès que possible.

— Dois-je lui dire de quoi tu aimerais lui parler ?

— Non, il comprendra tout seul. Vas-y, appelle-le.

— D’accord, fit Jolanda.

Elle établit la communication. Une voix synthétique répondit presque aussitôt.

— M. Reynolds n’est pas dans sa chambre. Voulez-vous laisser un message ?

— Laisse ton nom et le numéro de chambre de notre hôtel, glissa Enron. Demande-lui de rappeler quand il rentrera, à n’importe quelle heure.