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— Comme je l’ai signalé, reprit Farkas, il est totalement inaccessible. Ce doit être le secret de sa survie.

— Sans doute, approuva Enron. Croyez-vous, poursuivit-il prudemment, que le Generalissimo pourrait être renversé, si l’affaire était soigneusement préparée.

— Si l'affaire était soigneusement préparée, le diable pourrait chasser Dieu Lui-même du trône des cieux.

— Certes, mais ce n’est guère probable. Alors que don Eduardo…

— Il est mortel, le coupa Farkas, et vulnérable. Oui, je crois que c’est réalisable. Et je suis sûr qu’il y a des gens qui y pensent.

Tiens, tiens !

— C’est aussi mon avis, fit Enron en hochant vigoureusement la tête. Il ne peut en aller autrement. En fait, j’ai eu vent de certaines rumeurs allant dans ce sens. Des rumeurs qui paraissent fondées.

— Vraiment ?

Le ton de Farkas n’exprimait encore qu’un intérêt aimable, mais il se produisit de nouveau une crispation révélatrice, à la commissure de ses lèvres.

Le moment était venu pour Enron d’abattre une partie de son jeu.

— Oui, je vous assure. Un groupe d’Américains. Des Californiens, si je ne me trompe.

Cette fois, la réaction de Farkas fut plus nette ; la contraction des lèvres fut accompagnée d’un frémissement qui plissa la peau lisse du front. Il inclina très légèrement la tête en direction d’Enron. À l’évidence, il venait de comprendre qu’une négociation était en cours.

— Intéressant, fit-il. Des bruits du même genre me sont venus aux oreilles.

— Vraiment ?

— Simples rumeurs, bien entendu. La prise du satellite, organisée… oui, en Californie, c’est bien ce que j’ai entendu dire.

Farkas semblait fouiller dans des souvenirs flous, brumeux, pour se remémorer quelque chose qu’on lui avait raconté, mais à quoi il n’avait pas attaché une grande importance.

— La nouvelle est donc en train de s’ébruiter.

— Comme toujours, n’est-ce pas ?

— Croyez-vous qu’il soit possible, demanda Enron, qu’une des grandes compagnies soit derrière tout cela ?

— Derrière cette nouvelle, ou bien derrière le coup d’État ?

— Le coup d’État. Ou plutôt la nouvelle… L’un ou l’autre.

Farkas haussa les épaules. Il essaie encore de faire comme s’il s’agissait d’une discussion purement hypothétique, songea Enron.

— Je ne saurais le dire. Il leur faudrait bien un soutien, à nos conspirateurs.

— Naturellement. L’organisation d’un coup d’État est un divertissement coûteux…

— Que seule une des mégafirmes serait en mesure de financer, acheva Farkas. Ou un des pays les plus riches. Le vôtre, par exemple.

Il venait d’appuyer sur la dernière phrase. Sa voix s’était faite plus grave, comme pour inciter l’Israélien à aller plus loin.

— Oui, fit Enron avec un petit rire, je suppose que nous pourrions fournir l’argent pour ce genre d’opération. Si nous avions de bonnes raisons de le faire, bien sûr.

— Vous n’en avez pas ?

— Pas vraiment. Pas plus que Kyocera-Merck, je pense, ni Samurai. Il est certain qu’il y a ici des gens recherchés pour des crimes très graves contre l’État d’Israël. Des espions étrangers, une poignée de hauts fonctionnaires profondément corrompus, d’autres encore. Mais il faut y ajouter de nombreux spécialistes de l’espionnage industriel retirés des affaires, des escrocs en tout genre, d’autres qui ont vendu des secrets de leur entreprise… Ces gens se sont enrichis aux dépens de telle ou telle mégafirme qui aurait intérêt à les faire revenir sur la Terre et passer en jugement. Je subodore presque une action conjointe visant à arracher les fugitifs à ce satellite ; disons une grosse société et un pays prospère qui financeraient l’opération moitié-moitié. Mais tout cela n’est bien sûr que pure invention de ma part.

Enron fit un petit geste de la main, comme pour indiquer que cette hypothèse ne devait pas être prise au sérieux.

— Il n’y aura pas de coup d’État, poursuivit-il. Cette station orbitale est un endroit enchanteur qu’il ne viendrait à l’esprit de personne d’endommager. De plus, j’ai cru comprendre que le Generalissimo Callaghan dispose d’une police secrète extrêmement efficace. Tout le monde est surveillé ici, à ce qu’il paraît.

— Étroitement, en effet, dit Farkas. Il serait difficile d’organiser une insurrection, sauf, peut-être, de l’intérieur, avec la complicité de certains dirigeants.

Enron haussa les sourcils.

Fallait-il voir dans les paroles de Farkas une allusion discrète ? Les projets de Kyocera pour s’emparer de Valparaiso Nuevo étaient-ils déjà beaucoup plus avancés que ne le soupçonnaient Davidov et ses complices ? Non, décida Enron, Farkas ne fait qu’émettre des hypothèses. S’il existait véritablement une conjuration fomentée par les proches conseillers du Generalissimo et à laquelle le Hongrois prenait part, il ne courrait jamais le risque d’en parler dans un lieu public, assurément pas avec un agent israélien, probablement pas même avec quelqu’un qu’il connaissait. Il s’efforcerait de garder le secret absolu. C’est ce qu’Enron aurait fait à sa place, et il ne pensait pas que Farkas fût plus imprudent que lui en la matière.

Mais il n’eut pas la possibilité d’en apprendre davantage sur le moment. Jolanda, qui avait suivi en silence le duel à fleuret moucheté, tapota son poignet.

— Le garçon te fait signe, Marty. Je crois qu’il y a un appel téléphonique pour toi.

— Ça peut attendre.

— Et si c’était notre ami Dudley ? Tu sais que tu es impatient d’avoir de ses nouvelles.

— Tu as raison, concéda Enron de mauvaise grâce. J’y vais. Si vous voulez bien m’excuser, Victor je reviens tout de suite.

Il alla prendre l’appel dans un box isolé, au fond du restaurant. Mais ce n’est pas la face de brute de Mike Davidov qu’il vit apparaître sur le viseur ; Enron se trouva une nouvelle fois devant le visage joufflu du jeune Kluge. Le courrier semblait assez agité.

— Alors ?

— Il est parti. L’homme de Los Angeles que vous cherchez.

— Dudley Reynolds ? Parti où ?

— Il est reparti pour la Terre, répondit Kluge, l’air penaud, la voix sourde. Nous nous sommes fait avoir. Jamais Reynolds et les autres ne sont descendus à cet hôtel, à Santiago. Ils ont simplement payé des chambres, puis ils sont ressortis et ont gagné directement le terminal pour prendre la navette à destination de la Terre, sous quatre identités nouvelles. Ces salauds devaient avoir une valise pleine de passeports.

— Par la mère de Mohammed ! soupira Enron. Ils nous ont filé entre les doigts. Comme ça !

— Ils sont insaisissables, ces gens-là.

— Oui, fit Enron. Insaisissables.

Son respect pour Davidov venait de grimper de plusieurs crans. Un petit truand sans envergure n’aurait pas été capable de se déplacer si habilement sur Valparaiso Nuevo en échappant à un garçon aussi rusé que Kluge… de venir traiter ses affaires ici, mettre au point les préliminaires de sa petite insurrection et disparaître au nez et à la barbe du courrier.

Enron se demanda si Davidov avait rencontré Farkas pendant son séjour sur le satellite. Mais il ne voyait pas, dans l’immédiat, comment le découvrir sans divulguer au Hongrois des renseignements qu’il n’était pas encore disposé à partager. Mais il y avait peut-être d’autres moyens.

— Y a-t-il autre chose que je puisse faire pour vous ? demanda Kluge.

— Non, rien pour le moment… Si, il y a quelque chose. Peux-tu reconstituer l’itinéraire de Davidov à Valparaiso Nuevo avec plus de détails que tu ne m’en as donné ? Tout ce que je sais, c’est qu’il a passé quelque temps dans un premier hôtel, puis qu’il est censé avoir pris une chambre dans un autre, sous un nom différent, et qu’il est maintenant en route pour la Terre. Peux-tu découvrir combien de temps il est resté ici et qui il a vu ? Je tiens tout particulièrement à savoir s’il a pris contact avec l’homme sans yeux. Tu sais, Farkas.