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— Je vois, fit Farkas, ce qui, dans sa bouche, paraissait vraiment bizarre. Et maintenant ? Vous avez des projets ?

— J’envisageais d’attaquer une banque. Ou d’enlever la fille d’un Échelon Un, pour obtenir une rançon.

Farkas eut un sourire grave, comme s’il s’agissait de solutions plausibles.

— Avez-vous pensé, demanda-t-il, à prendre un nouveau départ sur l’une des stations orbitales ?

— Une possibilité à envisager, en effet.

En réalité, cela n’était pas venu à l’idée de Carpenter. Mais, oui, c’est vers l’espace que partaient tous ceux qui, sur la Terre, se trouvaient dans une impasse. Les stations orbitales ! Pourquoi pas ? Il faudrait certes trouver un moyen de s’y rendre. Il commença à tourner et retourner fébrilement cette nouvelle idée dans son esprit.

Puis il se rendit compte que Farkas continuait de parler.

— Nous venons juste de revenir de Valparaiso Nuevo. Le sanctuaire, vous savez. Cela pourrait vous intéresser. Connaissez-vous la station ?

— J’en ai entendu parler. La dernière des glorieuses républiques bananières, c’est bien cela ? Un vieux général sud-américain timbré en a fait son empire personnel et gagne des sommes colossales en vendant sa protection à ceux qui fuient la justice. Mais je ne fuis pas la justice, poursuivit Carpenter en secouant la tête. On ne m’a reconnu coupable de rien d’autre que d’avoir commis une erreur dans l’exercice de mes fonctions. Je n’ai pas reçu d’autre condamnation que la perte de mon emploi. De toute façon, je n’ai pas d’argent pour payer mon entrée.

— Non, fit Farkas, vous m’avez mal compris. Je ne voulais pas dire que vous iriez vous y réfugier, mais qu’il y aurait peut-être une occasion à saisir.

— Une occasion ? De quelle sorte ?

— De différentes sortes. Savez-vous, poursuivit Farkas d’une voix plus basse, qui se fit insinuante, presque charmeuse, que le Generalissimo don Eduardo Callaghan doit bientôt être déposé ?

Surpris, Carpenter eut un mouvement de recul.

— Vraiment ?

Cela commençait à devenir complètement fou.

— Absolument, fit Farkas avec affabilité. Ce que je viens de vous dire est la pure vérité. Un petit groupe de conspirateurs très habiles projette de mettre fin à son long règne. J’appartiens à ce groupe. Jolanda aussi, et notre ami commun, M. Enron. Il y en a encore quelques autres. Peut-être aimeriez-vous vous joindre à nous ?

— Qu’est-ce que vous racontez ? lança Carpenter, de plus en plus perplexe.

— Cela me paraît extrêmement simple. Il nous reste quelques détails à régler avec des gens de San Francisco, après quoi nous partirons à Valparaiso Nuevo et nous prendrons possession de la station orbitale. Il y aura de gros profits à tirer de la vente des réfugiés aux gouvernements qui souhaitent leur retour. Vous auriez part aux bénéfices, ce qui vous fournirait les ressources nécessaires pour commencer une nouvelle vie dans l’espace. Puisqu’il paraît évident qu’il n’y a pas d’avenir pour vous sur la Terre.

De la pure démence. Ou peut-être une forme de sadisme. Ce n’est pas ainsi qu’agissaient de vrais conspirateurs, ils ne mettaient pas dans la confidence de parfaits inconnus, sur un coup de tête. Non, non. Si Farkas débitait ces sornettes, ce n’était que pour s’amuser cruellement à ses dépens. Ou alors il était complètement fou. S’efforçant de faire le tri dans le flot de paroles apparemment délirantes, prononcées si calmement par l’homme sans yeux, Carpenter sentit la colère monter en lui.

— Vous vous fichez de moi, n’est-ce pas ? C’est une manière malsaine que vous avez de vous amuser ?

— Pas le moins du monde. Je suis on ne peut plus sérieux. Il existe une conspiration. Vous êtes invité à y prendre part.

— Pourquoi ?

— Pourquoi quoi ?

— Pourquoi m’y inviter ? Pourquoi moi ?

— Appelez cela un acte gratuit, répondit posément Farkas. Un instant d’inspiration. Jolanda m’a confié que vous êtes un homme intelligent qui traverse une mauvaise passe. Qui est même désespéré. Disposé, j’imagine, à courir des risques extrêmes. Et qui ne manque ni de talents ni de compétences. Tout cela, l’un dans l’autre, me donne l’impression que vous pourriez nous être très utile. Et il me serait particulièrement agréable, acheva-t-il dans une sorte de roucoulement, de rendre service à un ami de Jolanda.

— C’est incroyable, fit Carpenter, vous ne me connaissez pas du tout. Et je ne comprends pas pourquoi vous me confiez tout cela, si tant est qu’il y ait un mot de vrai là-dedans. Je pourrais vous dénoncer. Je pourrais avertir directement la police.

— Pourquoi feriez-vous cela ?

— Pour l’argent, bien sûr.

— Bien sûr, acquiesça Farkas, mais la prise de Valparaiso Nuevo pourrait vous rapporter infiniment plus que ce que la police vous donnerait. Non, non, mon ami, la seule raison qui vous pousserait à nous trahir serait un amour abstrait de la justice. Peut-être est-ce une émotion que vous ressentez réellement, malgré vos déboires récents. Mais j’en doute fort… Dites-moi : ce que je viens de vous révéler vous intéresse-t-il en quelque manière que ce soit ?

— Je pense toujours qu’il s’agit d’une plaisanterie de mauvais goût.

— Dans ce cas, interrogez M. Enron. Interrogez Jolanda Bermudez. Elle dit que vous êtes amis. N’est-ce pas la vérité ? Je suppose donc que vous avez confiance en elle. Demandez-lui si je suis sérieux. Allez-y, monsieur Carpenter, je vous en prie : allez le lui demander.

Tout cela semblait totalement irréel. Une proposition extravagante qui tombait du ciel, venant de quelqu’un dont l’aspect était à peine humain. Mais qui, si ce n’était pas une blague, paraissait extrêmement tentante.

Carpenter tourna la tête vers Jolanda, au fond de la pièce. Elle avait dit la veille que Farkas serait peut-être en mesure de lui trouver quelque chose chez Kyocera, affirmation à laquelle il n’avait nullement ajouté foi. Était-ce à cela qu’elle pensait ? Vraiment ?

Non, se répéta-t-il, ce ne peut être qu’une mauvaise plaisanterie. Une blague stupide faite à ses dépens. Jolanda devait être dans le coup ; il allait la voir et lui demander de confirmer ce que Farkas venait de dire, elle le ferait et ils continueraient ainsi, toute la soirée, à lui raconter des histoires de plus en plus délirantes, jusqu’au moment où l’un d’eux ne pourrait plus s’empêcher de sourire, et tout le monde éclaterait de rire, et…

Pas question.

— Je regrette, fit Carpenter, mais je ne suis pas d’humeur à supporter que l’on se paie ma tête.

— Comme vous voudrez. Oubliez ma proposition ; je regrette de l’avoir faite. J’ai peut-être commis une erreur en vous révélant tout cela.

Carpenter perçut brusquement dans la voix de Farkas une menace voilée qu’il trouva déplaisante. Mais elle indiquait aussi que l’affaire n’était peut-être pas une plaisanterie. Carpenter, qui avait commencé à se retourner, interrompit son mouvement et leva de nouveau les yeux vers le visage extraordinaire de l’homme de Kyocera.

— Ce que vous m’avez raconté est vraiment sérieux ? demanda-t-il.

— Absolument.

— Alors, allez-y. Dites-m’en un peu plus.

— Accompagnez-nous à Los Angeles, si vous voulez en savoir plus. Mais, si vous le faites, il ne vous sera plus loisible de revenir en arrière. Vous serez l’un des nôtres et vous n’aurez plus la possibilité de tourner casaque.

— Vous êtes donc vraiment sérieux !

— Ça y est, vous me croyez ?

— Si ce n’est qu’une sale blague, Farkas, je vous ferai la peau ! À vous de me croire, cette fois ! Moi aussi, je suis sérieux.