Les instruments destinés au voyage consistèrent en deux baromètres, deux thermomètres, deux boussoles, un sextant, deux chronomètres, un horizon artificiel et un altazimuth pour relever les objets lointains et inaccessibles. L’Observatoire de Greenwich s’était mis à la disposition du docteur. Celui-ci d’ailleurs ne se proposait pas de faire des expériences de physique; il voulait seulement reconnaître sa direction, et déterminer la position des principales rivières, montagnes et villes.
Il se munit de trois ancres en fer bien éprouvées, ainsi que d’une échelle de soie légère et résistante, longue d’une cinquantaine de pieds.
Il calcula également le poids exact de ses vivres; ils consistèrent en thé, en café, en biscuits, en viande salée et en pemmican, préparation qui, sous un mince volume, renferme beaucoup d’éléments nutritifs. Indépendamment d’une suffisante réserve d’eau-de-vie, il disposa deux caisses à eau qui contenaient chacune vingt-deux gallons [15].
La consommation de ces divers aliments devait peu à peu diminuer le poids enlevé par l’aérostat. Car il faut savoir que l’équilibre d’un ballon dans l’atmosphère est d’une extrême sensibilité. La perte d’un poids presque insignifiant suffit pour produire un déplacement très appréciable.
Le docteur n’oublia ni une tente qui devait recouvrir une partie de la nacelle, ni les couvertures qui composaient toute la literie de voyage, ni les fusils du chasseur, ni ses provisions de poudre et de balles.
Voici le résumé de ses différents calculs:
Fergusson… 135 livres.
Kennedy… 153 –
Joe… 120 –
Poids du premier ballon… 650 –
Poids du second ballon… 510 –
Nacelle et filet. 280 –
Ancres, instruments, fusils, couvertures, tente, ustensiles divers… 190 –
Viande, pemmican, biscuits, thé, café, eau-de-vie… 386 –
Eau… 400 –
Appareil… 700 –
Poids de l’hydrogène… 276 –
Lest… 200 –
Total… 4000 livres
Tel était le décompte des quatre mille livres que le docteur Fergusson se proposait d’enlever; il n’emportait que deux cents livres de lest, «pour les cas imprévus seulement», disait-il, car il comptait bien n’en pas user, grâce à son appareil.
VIII
Importance de Joe. – Le commandant du «Resolute». – L’arsenal de Kennedy. – Aménagements. – Le dîner d’adieu. – Le départ du 21 février. – Séances scientifiques du docteur. – Duveyrier, Livingstone. – Détails du voyage aérien. – Kennedy réduit au silence.
Vers le 10 février, les préparatifs touchaient à leur fin, les aérostats renfermés l’un dans l’autre étaient entièrement terminés; ils avaient subi une forte pression d’air refoulé dans leurs flancs; cette épreuve donnait bonne opinion de leur solidité, et témoignait des soins apportés à leur construction.
Joe ne se sentait pas de joie; il allait incessamment de Greek street aux ateliers de MM. Mittchell, toujours affairé, mais toujours épanoui, donnant volontiers des détails sur l’affaire aux gens qui ne lui en demandaient point, fier entre toutes choses d’accompagner son maître. Je crois même qu’à montrer l’aérostat, à développer les idées et les plans du docteur, à laisser apercevoir celui-ci par une fenêtre entrouverte, ou à son passage dans les rues, le digne garçon gagna quelques demi-couronnes; il ne faut pas lui en vouloir; il avait bien le droit de spéculer un peu sur l’admiration et la curiosité de ses contemporains.
Le 16 février, le Resolute vint jeter l’ancre devant Greenwich. C’était un navire à hélice du port de huit cents tonneaux, bon marcheur, et qui fut chargé de ravitailler la dernière expédition de Sir James Ross aux régions polaires. Le commandant Pennet passait pour un aimable homme, il s’intéressait particulièrement au voyage du docteur, qu’il appréciait de longue date. Ce Pennet faisait plutôt un savant qu’un soldat, cela n’empêchait pas son bâtiment de porter quatre caronades, qui n’avaient jamais fait de mal à personne, et servaient seulement à produire les bruits les plus pacifiques du monde.
La cale du Resolute fut aménagée de manière à loger l’aérostat; il y fut transporté avec les plus grandes précautions dans la journée du 18 février; on l’emmagasina au fond du navire, de manière à prévenir tout accident; la nacelle et ses accessoires, les ancres, les cordes, les vivres, les caisses à eau que l’on devait remplir à l’arrivée, tout fut arrimé sous les yeux de Fergusson.
On embarqua dix tonneaux d’acide sulfurique et dix tonneaux de vieille ferraille pour la production du gaz hydrogène. Cette quantité était plus que suffisante, mais il fallait parer aux pertes possibles. L’appareil destiné à développer le gaz, et composé d’une trentaine de barils, fut mis à fond de cale.
Ces divers préparatifs se terminèrent le 18 février au soir. Deux cabines confortablement disposées attendaient le docteur Fergusson et son ami Kennedy. Ce dernier, tout en jurant qu’il ne partirait pas, se rendit à bord avec un véritable arsenal de chasse, deux excellents fusil à deux coups, se chargeant par la culasse, et une carabine à toute épreuve de la fabrique de Purdey Moore et Dickson d’Édimbourg; avec une pareille arme le chasseur n’était pas embarrassé de loger à deux mille pas de distance une balle dans l’œil d’un chamois; il y joignit deux revolvers Colt à six coups pour les besoins imprévus; sa poudrière, son sac à cartouches, son plomb et ses balles, en quantité suffisante, ne dépassaient pas les limites de poids assignées par le docteur.
Les trois voyageurs s’installèrent à bord dans la journée du 19 février; ils furent reçus avec une grande distinction par le capitaine et ses officiers, le docteur toujours assez froid, uniquement préoccupé de son expédition, Dick ému sans trop vouloir le paraître, Joe bondissant, éclatant en propos burlesques; il devint promptement le loustic du poste des maîtres, où un cadre lui avait été réservé.
Le 20, un grand dîner d’adieu fut donné au docteur Fergusson et à Kennedy par la Société royale de Géographie. Le commandant Pennet et ses officiers assistaient à ce repas, qui fut très animé et très fourni en libations flatteuses; les santés y furent portées en assez grand nombre pour assurer à tous les convives une existence de centenaires. Sir Francis M… présidait avec une émotion contenue, mais pleine de dignité.
À sa grande confusion, Dick Kennedy eut une large part dans les félicitations bachiques. Après avoir bu «à l’intrépide Fergusson, la gloire de l’Angleterre», on dut boire «au non moins courageux Kennedy, son audacieux compagnon».
Dick rougit beaucoup, ce qui passa pour de la modestie: les applaudissements redoublèrent, Dick rougit encore davantage.
Un message de la reine arriva au dessert; elle présentait ses compliments aux deux voyageurs et faisait des vœux pour la réussite de l’entreprise.
Ce qui nécessita de nouveau toasts «à Sa Très Gracieuse Majesté.»
À minuit, après des adieux émouvants et de chaleureuses poignées de mains, les convives se séparèrent.
Les embarcations du Resolute attendaient au pont de Westminster; le commandant y prit place en compagnie de ses passagers et de ses officiers, et le courant rapide de la Tamise les porta vers Greenwich.