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Cette opération prit quatre heures au moins; mais enfin le ballon intérieur, entièrement dégagé, parut n’avoir aucunement souffert. Le Victoria était alors diminué d’un cinquième. Cette différence fut assez sensible pour étonner Kennedy.

«Sera-t-il suffisant? demanda-t-il au docteur.

– Ne crains rien à cet égard, Dick; je rétablirai l’équilibre, et si notre pauvre Joe revient, nous saurons bien reprendre avec lui notre route accoutumée.

– Au moment de notre chute, Samuel, si mes souvenirs sont exacts, nous ne devions pas être éloignés d’une île.

– Je me le rappelle en effet; mais cette île, comme toutes celles du Tchad, est sans doute habitée par une race de pirates et de meurtriers; ces sauvages auront été certainement témoins de notre catastrophe, et si Joe tombe entre leurs mains, à moins que la superstition ne le protège, que deviendra-t-il?

– Il est homme à se tirer d’affaire, je te le répète; j’ai confiance dans son adresse et son intelligence.

– Je l’espère. Maintenant, Dick, tu vas chasser aux environs, sans t’éloigner toutefois; il devient urgent de renouveler nos vivres, dont la plus grande partie a été sacrifiée.

– Bien, Samuel; je ne serai pas longtemps absent.»

Kennedy prit un fusil à deux coups et s’avança dans les grandes herbes vers un taillis assez rapproché; de fréquentes détonations apprirent bientôt au docteur que sa chasse serait fructueuse.

Pendant ce temps, celui-ci s’occupa de faire le relevé des objets conservés dans la nacelle et d’établir l’équilibre du second aérostat; il restait une trentaine de livres de pemmican, quelques provisions de thé et de café, environ un gallon et demi d’eau-de-vie, une caisse à eau parfaitement vide; toute la viande sèche avait disparu.

Le docteur savait que, par la perte de l’hydrogène du premier ballon, sa force ascensionnelle se trouvait réduite de neuf cents livres environ; il dut donc se baser sur cette différence pour reconstituer son équilibre. Le nouveau Victoria cubait soixante-sept mille pieds et renfermait trente trois mille quatre cent quatre-vingts pieds cubes de gaz; l’appareil de dilatation paraissait être en bon état; ni la pile ni le serpentin n’avaient été endommagés.

La force ascensionnelle du nouveau ballon était donc de trois mille livres environ; en réunissant les poids de l’appareil, des voyageurs, de la provision d’eau, de la nacelle et de ses accessoires, en embarquant cinquante gallons d’eau et cent livres de viande fraîche, le docteur arrivait à un total de deux mille huit cent trente livres. Il pouvait donc emporter cent soixante-dix livres de lest pour les cas imprévus, et l’aérostat se trouverait alors équilibré avec l’air ambiant.

Ses dispositions furent prises en conséquence, et il remplaça le poids de Joe par un supplément de lest. Il employa la journée entière à ces divers préparatifs, et ceux-ci se terminaient au retour de Kennedy. Le chasseur avait fait bonne chasse; il apportait une véritable charge d’oies, de canards sauvages, de bécassines, de sarcelles et de pluviers. Il s’occupa de préparer ce gibier et de le fumer. Chaque pièce, embrochée par une mince baguette, fut suspendue au-dessus d’un foyer de bois vert. Quand la préparation parut convenable à Kennedy, qui s’y entendait d’ailleurs, le tout fut emmagasiné dans la nacelle.

Le lendemain, le chasseur devait compléter ses approvisionnements.

Le soir surprit les voyageurs au milieu de ces travaux. Leur souper se composa de pemmican, de biscuits et de thé. La fatigue après leur avoir donné l’appétit, leur donna le sommeil. Chacun pendant son quart interrogea les ténèbres, croyant parfois saisir la voix de Joe; mais, hélas, elle était bien loin, cette voix qu’ils eussent voulu entendre!

Aux premiers rayons du jour, le docteur réveilla Kennedy.

«J’ai longuement médité, lui dit-il, sur ce qu’il convient de faire pour retrouver notre compagnon.

– Quel que soit ton projet, Samuel, il me va; parle.

– Avant tout, il est important que Joe ait de nos nouvelles.

– Sans doute! Si ce digne garçon allait se figurer que nous l’abandonnons!

– Lui! il nous connaît trop! Jamais pareille idée ne lui viendrait à l’esprit; mais il faut qu’il apprenne où nous sommes.

– Comment cela?

– Nous allons reprendre notre place dans la nacelle et nous élever dans l’air.

– Mais si le vent nous entraîne?

– Il n’en sera rien, heureusement. Vois, Dick; la brise nous ramène sur le lac, et cette circonstance, qui eut été fâcheuse hier, est propice aujourd’hui. Nos efforts se borneront donc à nous maintenir sur cette vaste étendue d’eau pendant toute la journée. Joe ne pourra manquer de nous voir là où ses regards doivent se diriger sans cesse. Peut-être même parviendra-t-il à nous informer du lieu de sa retraite.

– S’il est seul et libre, il le fera certainement.

– Et s’il est prisonnier, reprit le docteur, l’habitude des indigènes n’étant pas d’enfermer leurs captifs, il nous verra et comprendra le but de nos recherches.

– Mais enfin, reprit Kennedy, – car il faut prévoir tous les cas, – si nous ne trouvons aucun indice, s’il n’a pas laissé une trace de son passage, que ferons-nous?

– Nous essayerons de regagner la partie septentrionale du lac, en nous maintenant le plus en vue possible; là, nous attendrons, nous explorerons les rives, nous fouillerons ces bords, auxquels Joe tentera certainement de parvenir, et nous ne quitterons pas la place sans avoir tout fait pour le retrouver.

– Partons donc», répondit le chasseur.

Le docteur prit le relèvement exact de ce morceau de terre ferme qu’il allait quitter; il estima, d’après sa carte et son point, qu’il se trouvait au nord du Tchad, entre la ville de Lari et le village d’Ingemini, visités tous deux par le major Denham. Pendant ce temps, Kennedy compléta ses approvisionnements de viande fraîche. Bien que les marais environnants portaient des marques de rhinocéros, de lamantins et d’hippopotames, il n’eut pas l’occasion de rencontrer un seul de ces énormes animaux.

À sept heures du matin, non sans de grandes difficultés dont le pauvre Joe savait se tirer à merveille, l’ancre fut détachée de l’arbre. Le gaz se dilata et le nouveau Victoria parvint à deux cents pieds dans l’air. Il hésita d’abord en tournant sur lui-même; mais enfin, pris dans un courant assez vif, il s’avança sur le lac et bientôt fut emporté avec une vitesse de vingt milles à l’heure.

Le docteur se maintint constamment à une hauteur qui variait entre deux cents et cinq cents pieds. Kennedy déchargeait souvent sa carabine. Au-dessus des îles, les voyageurs se rapprochaient même imprudemment, fouillant du regard les taillis, les buissons, les halliers, partout où quelque ombrage, quelque anfractuosité de roc eût pu donner asile à leur compagnon. Ils descendaient près des longues pirogues qui sillonnaient le lac. Les pécheurs, à leur vue, se précipitaient à l’eau et regagnaient leur île avec les démonstrations de crainte les moins dissimulées.

«Nous ne voyons rien, dit Kennedy après deux heures de recherches.

– Attendons, Dick, et ne perdons pas courage; nous ne devons pas être éloignés du lieu de l’accident.»