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En effet, dans cette contrée règne une malaria perpétuelle; le docteur n’en put même éviter les atteintes qu’en élevant le ballon au-dessus des miasmes de cette terre humide, dont un soleil ardent pompait les émanations.

Parfois on put apercevoir une caravane se reposant dans un «kraal» en attendant la fraîcheur du soir pour reprendre sa route. Ce sont de vastes emplacements entourés de haies et de jungles, où les trafiquants s’abritent non seulement contre les bêtes fauves, mais aussi contre les tribus pillardes de la contrée. On voyait les indigènes courir, se disperser à la vue du Victoria. Kennedy désirait les contempler de plus près; mais Samuel s’opposa constamment à ce dessein.

«Les chefs sont armés de mousquets, dit-il, et notre ballon serait un point de mire trop facile pour y loger une balle.

– Est-ce qu’un trou de balle amènerait une chute? demanda Joe.

– Immédiatement, non; mais bientôt ce trou deviendrait une vaste déchirure par laquelle s’envolerait tout notre gaz.

– Alors tenons-nous à une distance respectueuse de ces mécréants. Que doivent-ils penser à nous voir planer dans les airs? Je suis sûr qu’ils ont envie de nous adorer.

– Laissons-nous adorer, répondit le docteur, mais de loin. On y gagne toujours. Voyez, le pays change déjà d’aspect; les villages sont plus rares; les manguiers ont disparu; leur végétation s’arrête à cette latitude. Le sol devient montueux et fait pressentir de prochaines montagnes.

– En effet, dit Kennedy, il me semble apercevoir quelques hauteurs de ce côté.

– Dans l’ouest…, ce sont les premières chaînes d’Ourizara, le mont Duthumi, sans doute, derrière lequel j’espère nous abriter pour passer la nuit. Je vais donner plus d’activité à la flamme du chalumeau: nous sommes obligés de nous tenir à une hauteur de cinq à six cents pieds.

– C’est tout de même une fameuse idée que vous avez eue là, monsieur, dit Joe; la manœuvre n’est ni difficile ni fatigante, on tourne un robinet, et tout est dit.

– Nous voici plus à l’aise, fit le chasseur lorsque le ballon se fut élevé; la réflexion des rayons du soleil sur ce sable rouge devenait insupportable.

– Quels arbres magnifiques! s’écria Joe; quoique très naturel, c’est très beau! Il n’en faudrait pas une douzaine pour faire une forêt.

– Ce sont des baobabs, répondit le docteur Fergusson; tenez, en voici un dont le tronc peut avoir cent pieds de circonférence. C’est peut-être au pied de ce même arbre que périt le Français Maizan en 1845, car nous sommes au-dessus du village de Deje la Mhora, où il s’aventura seul; il fut saisi par le chef de cette contrée, attaché au pied d’un baobab, et ce Nègre féroce lui coupa lentement les articulations, pendant que retentissait le chant de guerre; puis il entama la gorge, s’arrêta pour aiguiser son couteau émoussé, et arracha la tête du malheureux avant qu’elle ne fût coupée! Ce pauvre Français avait vingt-six ans!

– Et la France n’a pas tiré vengeance d’un pareil crime? demanda Kennedy.

– La France a réclamé; le saïd de Zanzibar a tout fait pour s’emparer du meurtrier, mais il n’a pu y réussir.

– Je demande à ne pas m’arrêter en route, dit Joe; montons, mon maître, montons, si vous m’en croyez.

– D’autant plus volontiers, Joe, que le mont Duthumi se dresse devant nous. Si mes calculs sont exacts, nous l’aurons dépassé avant sept heures du soir.

– Nous ne voyagerons pas la nuit? demanda le chasseur.

– Non, autant que possible; avec des précautions et de la vigilance, on le ferait sans danger, mais il ne suffit pas de traverser l’Afrique, il faut la voir.

– Jusqu’ici nous n’avons pas à nous plaindre, mon maître, Le pays le plus cultivé et le plus fertile du monde, au lieu d’un désert! Croyez donc aux géographes!

– Attendons, Joe, attendons; nous verrons plus tard.»

Vers six heures et demie du soir, le Victoria se trouva en face du mont Duthumi; il dut, pour le franchir, s’élever à plus de trois mille pieds, et pour cela le docteur n’eut à élever la température que de dix-huit degrés [34]. On peut dire qu’il manœuvrait véritablement son ballon à la main. Kennedy lui indiquait les obstacles à surmonter, et le Victoria volait par les airs en rasant la montagne.

À huit heures, il descendait le versant opposé, dont la pente était plus adoucie; les ancres furent lancées au dehors de la nacelle, et l’une d’elles, rencontrant les branches d’un nopal énorme, s’y accrocha fortement. Aussitôt Joe se laissa glisser par la corde et l’assujettit avec la plus grande solidité. L’échelle de soie lui fut tendue, et il remonta lestement. L’aérostat demeurait presque immobile, à l’abri des vents de l’est.

Le repas du soir fut préparé; les voyageurs, excités par leur promenade aérienne, firent une large brèche à leurs provisions.

«Quel chemin avons-nous fait aujourd’hui?» demanda Kennedy en avalant des morceaux inquiétants.

Le docteur fit le point au moyen d’observations lunaires, et consulta l’excellente carte qui lui servait de guide; elle appartenait à l’atlas der Neuester Entedekungen in Afrika, publié à Gotha par son savant ami Petermann, et que celui-ci lui avait adressé. Cet atlas devait servir au voyage tout entier du docteur, car il contenait l’itinéraire de Burton et Speke aux Grands Lacs, le Soudan d’après le docteur Barth, le bas Sénégal d’après Guillaume Lejean, et le delta du Niger par le docteur Baikie.

Fergusson s’était également muni d’un ouvrage qui réunissait en un seul corps toutes les notions acquises sur le Nil, et intitulé: The sources of the Nil, being a general surwey of the basin of that river and of its heab stream with the history of the Nilotic discovery by Charles Beke, th. D.

Il possédait aussi les excellentes cartes publiées dans les Bulletins de la Société de Géographie de Londres, et aucun point des contrées découvertes ne devait lui échapper.

En pointant sa carte, il trouva que sa route latitudinale était de deux degrés, ou cent vingt milles dans l’ouest [35].

Kennedy remarqua que la route se dirigeait vers le midi. Mais cette direction satisfaisait le docteur, qui voulait, autant que possible, reconnaître les traces de ses devanciers.

Il fut décidé que la nuit serait divisée en trois quarts, afin que chacun pût à son tour veiller à la sûreté des deux autres. Le docteur dut prendre le quart de neuf heures, Kennedy celui de minuit et Joe celui de trois heures du matin.

Donc, Kennedy et Joe, enveloppés de leurs couvertures, s’étendirent sous la tente et dormirent paisiblement, tandis que veillait le docteur Fergusson.

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[34] 10° centigrades.

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[35] Cinquante lieues.