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«J’étouffe! dit l’Écossais en aspirant à pleins poumons le plus possible de cet air raréfié; nous ne bougeons plus! Descendrons-nous?

– Mais l’orage? fit le docteur assez inquiet.

– Si tu crains d’être entraîné par le vent, il me semble que tu n’as pas d’autre parti à prendre.

– L’orage n’éclatera peut-être pas cette nuit, reprit Joe; les nuages sont très hauts.

– C’est une raison qui me fait hésiter à les dépasser; il faudrait monter à une grande élévation, perdre la terre de vue, et ne savoir pendant toute la nuit si nous avançons et de quel côté nous avançons.

– Décide-toi, mon cher Samuel, cela presse.

– Il est fâcheux que le vent soit tombé, reprit Joe; il nous eût entraînés loin de l’orage.

– Cela est regrettable, mes amis, car les nuages sont un danger pour nous; ils renferment des courants opposés qui peuvent nous enlacer dans leurs tourbillons, et des éclairs capables de nous incendier. D’un autre côté, la force de la rafale peut nous précipiter à terre, si nous jetons l’ancre au sommet d’un arbre.

– Alors que faire?

– Il faut maintenir le Victoria dans une zone moyenne entre les périls de la terre et les périls du ciel. Nous avons de l’eau en quantité suffisante pour le chalumeau, et nos deux cents livres de lest sont intactes. Au besoin, je m’en servirais.

– Nous allons veiller avec toi, dit le chasseur.

– Non, mes amis; mettez les provisions à l’abri et couchez-vous; je vous réveillerai si cela est nécessaire.

– Mais, mon maître, ne feriez-vous pas bien de prendre du repos vous-même, puisque rien ne nous menace encore?

– Non, merci, mon garçon, je préfère veiller. Nous sommes immobiles, et si les circonstances ne changent pas, demain nous nous trouverons exactement à la même place.

– Bonsoir, monsieur.

– Bonne nuit, si c’est possible.»

Kennedy et Joe s’allongèrent sous leurs couvertures, et le docteur demeura seul dans l’immensité.

Cependant le dôme de nuages s’abaissait insensiblement, et l’obscurité se faisait profonde. La voûte noire s’arrondissait autour du globe terrestre comme pour l’écraser.

Tout d’un coup un éclair violent, rapide, incisif, raya l’ombre; sa déchirure n’était pas refermée qu’un effrayant éclat de tonnerre ébranlait les profondeurs du ciel.

«Alerte!» s’écria Fergusson.

Les deux dormeurs, réveillés à ce bruit épouvantable, se tenaient à ses ordres.

«Descendons-nous? fit Kennedy.

– Non! le ballon n’y résisterait pas. Montons avant que ces nuages ne se résolvent en eau et que le vent ne se déchaîne!»

Et il poussa activement la flamme du chalumeau dans les spirales du serpentin.

Les orages des tropiques se développent avec une rapidité comparable à leur violence. Un second éclair déchira la nue, et fut suivi de vingt autres immédiats. Le ciel était zébré d’étincelles électriques qui grésillaient sous les larges gouttes de la pluie.

«Nous nous sommes attardés, dit le docteur. Il nous faut maintenant traverser une zone de feu avec notre ballon rempli d’air inflammable!

– Mais à terre! à terre! reprenait toujours Kennedy.

– Le risque d’être foudroyé serait presque le même, et nous serions vite déchirés aux branches des arbres!

– Nous montons, monsieur Samuel!

– Plus vite! plus vite encore.»

Dans cette partie de l’Afrique, pendant les orages équatoriaux, il n’est pas rare de compter de trente à trente-cinq éclairs par minute. Le ciel est littéralement en feu, et les éclats du tonnerre ne discontinuent pas.

Le vent se déchaînait avec une violence effrayante dans cette atmosphère embrasée; il tordait les nuages incandescents; on eut dit le souffle d’un ventilateur immense qui activait tout cet incendie.

Le docteur Fergusson maintenait son chalumeau à pleine chaleur; le ballon se dilatait et montait; à genoux, au centre de la nacelle, Kennedy retenait les rideaux de la tente. Le ballon tourbillonnait à donner le vertige, et les voyageurs subissaient d’inquiétantes oscillations. Il se faisait de grandes cavités dans l’enveloppe de l’aérostat; le vent s’y engouffrait avec violence, et le taffetas détonait sous sa pression. Une sorte de grêle, précédée d’un bruit tumultueux, sillonnait l’atmosphère et crépitait sur le Victoria. Celui-ci, cependant, continuait sa marche ascensionnelle; les éclairs dessinaient des tangentes enflammées à sa circonférence; il était plein feu.

«À la garde de Dieu! dit le docteur Fergusson; nous sommes entre ses mains; lui seul peut nous sauver. Préparons-nous à tout événement, même à un incendie; notre chute peut n’être pas rapide.»

La voix du docteur parvenait à peine à l’oreille de ses compagnons; mais ils pouvaient voir sa figure calme au milieu du sillonnement des éclairs; il regardait les phénomènes de phosphorescence produits par le feu Saint-Elme qui voltigeait sur le filet de l’aérostat.

Celui-ci tournoyait, tourbillonnait, mais il montait toujours; au bout d’un quart d’heure, il avait dépassé la zone des nuages orageux, les effluences électriques se développaient au-dessous de lui, comme une vaste couronne de feux d’artifices suspendus à sa nacelle.

C’était là l’un des plus beaux spectacles que la nature pût donner à l’homme. En bas, l’orage. En haut, le ciel étoilé, tranquille, muet, impassible, avec la lune projetant ses paisibles rayons sur ces nuages irrités.

Le docteur Fergusson consulta le baromètre; il donna douze mille pieds d’élévation. Il était onze heures du soir.

«Grâce au ciel, tout danger est passé, dit-il; il nous suffit de nous maintenir à cette hauteur.

– C’était effrayant! répondit Kennedy.

– Bon, répliqua Joe, cela jette de la diversité dans le voyage, et je ne suis pas fâché d’avoir vu un orage d’un peu haut. C’est un joli spectacle!»

XVII

Les montagnes de la Lune. – Un océan de verdure. – On jette l’ancre. – L’éléphant remorqueur. – Feu nourri. – Mort du pachyderme. – Le four de campagne. – Repas sur l’herbe. – Une nuit à terre.

Vers six heures du matin, le lundi, le soleil s’élevait au-dessus de l’horizon; les nuages se dissipèrent, et un joli vent rafraîchit ces premières lueurs matinales.

La terre, toute parfumée, reparut aux yeux des voyageurs. Le ballon, tournant sur place au milieu des courants opposés, avait à peine dérivé; le docteur, laissant se contracter le gaz, descendit afin de saisir une direction plus septentrionale. Longtemps ses recherches furent vaines; le vent l’entraîna dans l’ouest, jusqu’en vue des célèbres montagnes de la Lune, qui s’arrondissent en demi-cercle autour de la pointe du lac Tanganayika; leur chaîne, peu accidentée, se détachait sur l’horizon bleuâtre; on eut dit une fortification naturelle, infranchissable aux explorateurs du centre de l’Afrique; quelques cônes isolés portaient la trace des neiges éternelles.