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On distinguait de là un inextricable réseau de rivières que le fleuve recevait dans son lit; il en venait davantage de l’ouest, entre les collines nombreuses, au milieu de campagnes fertiles.

«Nous ne sommes pas à quatre-vingt-dix milles de Gondokoro, dit le docteur en pointant sa carte, et à moins de cinq milles du point atteint par les explorateurs venus du nord. Rapprochons-nous de terre avec précaution.»

Le Victoria s’abaissa de plus de deux mille pieds.

«Maintenant, mes amis, soyez prêts à tout hasard.

– Nous sommes prêts, répondirent Dick et Joe.

– Bien!»

Le Victoria marcha bientôt en suivant le lit du fleuve, et à cent pieds à peine. Le Nil mesurait cinquante toises en cet endroit, et les indigènes s’agitaient tumultueusement dans les villages qui bordaient ses rives. Au deuxième degré, il forme une cascade à pic de dix pieds de hauteur environ, et par conséquent infranchissable.

«Voilà bien la cascade indiquée par M. Debono», s’écria le docteur.

Le bassin du fleuve s’élargissait, parsemé d’îles nombreuses que Samuel Fergusson dévorait du regard; il semblait chercher un point de repère qu’il n’apercevait pas encore.

Quelques Nègres s’étant avancés dans une barque au-dessous du ballon, Kennedy les salua d’un coup de fusil, qui, sans les atteindre, les obligea à regagner la rive au plus vite.

«Bon voyage! leur souhaita Joe; à leur place, je ne me hasarderai pas à revenir! j’aurais singulièrement peur d’un monstre qui lance la foudre à volonté.»

Mais voici que le docteur Fergusson saisit soudain sa lunette et la braqua vers une île couchée au milieu du fleuve.

«Quatre arbres! s’écria-t-il; voyez, là-bas!»

En effet, quatre arbres isolés s’élevaient à son extrémité.

«C’est l’île de Benga! c’est bien elle! ajouta-t-il.

– Eh bien, après? demanda Dick.

– C’est là que nous descendrons, s’il plaît à Dieu!

– Mais elle paraît habitée, monsieur Samuel!

– Joe a raison; si je ne me trompe, voilà un rassemblement d’une vingtaine d’indigènes.

– Nous les mettrons en fuite; cela ne sera pas difficile, répondit Fergusson.

– Va comme il est dit», répliqua le chasseur.

Le soleil était au zénith. Le Victoria se rapprocha de l’île.

Les Nègres, appartenant à la tribu de Makado, poussèrent des cris énergiques. L’un d’eux agitait en l’air son chapeau d’écorce. Kennedy le prit pour point de mire, fit feu, et le chapeau vola en éclats.

Ce fut une déroute générale. Les indigènes se précipitèrent dans le fleuve et le traversèrent à la nage; des deux rives, il vint une grêle de balles et une pluie de flèches, mais sans danger pour l’aérostat dont l’ancre avait mordu une fissure de roc. Joe se laissa couler à terre.

«L’échelle! s’écria le docteur. Suis-moi, Kennedy!

– Que veux-tu faire?

– Descendons; il me faut un témoin.

– Me voici.

– Joe, fais bonne garde.

– Soyez tranquille, monsieur, je réponds de tout.

– Viens, Dick!» dit le docteur en mettant pied à terre.

Il entraîna son compagnon vers un groupe de rochers qui se dressaient à la pointe de l’île; là, il chercha quelque temps, fureta dans les broussailles, et se mit les mains en sang.

Tout d’un coup, il saisit vivement le bras du chasseur.

«Regarde, dit-il.

– Des lettres!» s’écria Kennedy.

En effet, deux lettres gravées sur le roc apparaissaient dans toute leur netteté. On lisait distinctement:

A. D.

«A. D., reprit le docteur Fergusson! Andrea Debono! La signature même du voyageur qui a remonté le plus avant le cours du Nil!

– Voilà qui est irrécusable, ami Samuel.

– Es-tu convaincu maintenant!

– C’est le Nil! nous n’en pouvons douter.»

Le docteur regarda une dernière fois ces précieuses initiales, dont il prit exactement la forme et les dimensions.

«Et maintenant, dit-il, au ballon!

– Vite alors, car voici quelques indigènes qui se préparent à repasser le fleuve.

– Peu nous importe maintenant! Que le vent nous pousse dans le nord pendant quelques heures, nous atteindrons Gondokoro, et nous presserons la main de nos compatriotes!»

Dix minutes après, le Victoria s’enlevait majestueusement, pendant que le docteur Fergusson, en signe de succès, déployait le pavillon aux armes d’Angleterre.

XIX

Le Nil. – La montagne tremblante. – Souvenir du pays. – Les récits des Arabes. – Les Nyam-Nyam. – Réflexions sensées de Joe. – Le «Victoria» court des bordées. – Les ascensions aérostatiques. – Madame Blanchard.

«Quelle est notre direction? demanda Kennedy en voyant son ami consulter la boussole.

– Nord-nord-ouest.

– Diable! mais ce n’est pas le nord, cela!

– Non, Dick, et je crois que nous aurons de la peine à gagner Gondokoro; je le regrette, mais enfin nous avons relié les explorations de l’est à celles du nord; il ne faut pas se plaindre.»

Le Victoria s’éloignait peu à peu du Nil.

«Un dernier regard, fit le docteur, à cette infranchissable latitude que les plus intrépides voyageurs n’ont jamais pu dépasser! Voilà bien ces intraitables tribus signalées par MM. Petherick, d’Arnaud, Miani, et ce jeune voyageur, M. Lejean, auquel nous sommes redevables des meilleurs travaux sur le haut Nil.

– Ainsi, demanda Kennedy, nos découvertes sont d’accord avec les pressentiments de la science.

– Tout à fait d’accord. Les sources du fleuve Blanc, du Bahr-el-Abiad, sont immergées dans un lac grand comme une mer; c’est là qu’il prend naissance; la poésie y perdra sans doute; on aimait à supposer à ce roi des fleuves une origine céleste; les anciens l’appelaient du nom d’Océan, et l’on n’était pas éloigné de croire qu’il découlait directement du soleil! Mais il faut en rabattre et accepter de temps en temps ce que la science nous enseigne; il n’y aura peut-être pas toujours des savants, il y aura toujours des poètes.

– On aperçoit encore des cataractes, dit Joe.

– Ce sont les cataractes de Makedo, par trois degrés de latitude. Rien n’est plus exact! Que n’avons-nous pu suivre pendant quelques heures le cours du Nil!

– Et là-bas, devant nous, dit le chasseur, j’aperçois le sommet d’une montagne.