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Et c'est là que la révolution t'a surpris ? -Oui.

Où te trouvais-tu ?

Aux alentours de Jérusalem.

Tu as parlé de ta famille. Tu avais seulement une femme ?

Non, Seigneur, j'avais aussi un fils.

Lui aussi est mort ?

Je l'ignore. Mon pauvre fils, encore enfant, est tombé, comme son père dans la pénible nuit de la captivité. Séparé de moi, je l'ai vu partir le cœur lacéré de douleur et de nostalgie. Il a été vendu à de puissants négociants du sud de la Palestine.

Helvidius Lucius a regardé Fabrice comme pour exprimer son admiration face aux réponses courageuses de l'inconnu, mais continua néanmoins à l'interroger :

Qui servais-tu à Jérusalem ?

Calius Flavius.

Je l'ai connu de nom. Qu'est-il arrivé à ton maître ?...

Ce fut le premier à mourir lors des combats qui eurent lieu à proximité de la ville entre les légionnaires de Tineius Rufus et les renforts juifs arrivés de Bétel.

Toi aussi tu as combattu ?

Seigneur, il ne m'appartenait pas de combattre sauf pour répondre à mes obligations vis-à-vis de celui qui, par son grand cœur, me gardait captif aux yeux du monde, mais depuis longtemps m'avait rendu ma liberté. Mes armes étaient celles de l'assistance nécessaire à son esprit loyal et juste. Calius Flavius n'était pas pour moi un bourreau, mais un ami et un protecteur de tous les instants. À ma profonde consolation, j'ai pu lui prouver mon dévouement quand j'ai dû lui fermer les yeux dans ses derniers instants.

Par Jupiter ! - s'exclama Helvidius s'adressant à voix haute à son ami - c'est la première fois que j'entends un esclave bénir un maître.

Il n'y a pas que ça - a répondu Caius Fabrice de bonne humeur, alors que l'esclave les observait droit et digne -, Nestor est la personnification du bon sens. Malgré ses liens de sang avec l'Asie Mineure, sa culture concernant l'Empire est des plus vastes et des plus remarquables.

Serait-ce possible ? - lui dit Helvidius admiratif.

Il connaît l'histoire romaine aussi bien que l'un de nous.

Mais lui est-il arrivé de vivre dans la capitale du monde ?

Non. Selon ce qu'il dit, il ne la connaît que par ses traditions.

Invité par les deux patriciens, l'esclave s'est assis pour démontrer ses connaissances.

Sans le moindre embarras, il a parlé des légendes charmantes qui retraçaient la naissance de la ville célèbre, entre les vallées de l'Étrurie et les délicieux paysages de Campanle. Romulus et Rémus, le souvenir d'Acca Larentia, le rapt des Sabines, étaient des images qui, dans la bouche d'un esclave, prenaient des nuances tout à la fois nouvelles et intéressantes. Ensuite, il s'est mis à expliquer l'extraordinaire développement économique et politique de la ville. L'histoire de Rome n'avait pas de secrets pour son intellect. En retraçant l'époque de Tarquin l'Ancien, il a parlé de ses constructions merveilleuses et gigantesques, s'arrêtant plus particulièrement au célèbre réseau d'égouts se jetant dans les eaux boueuses du Tibre. Il s'est souvenu de Servius Tullius, divisant la population romaine en classes et centuries. Numa Pompilius, Ménénius Agrippa, les Gracques, Sergius Catilina, Scipion Nasica et tous les personnages célèbres de la République ont été évoqués dans son exposition où les concepts chronologiques s'alignaient avec une admirable précision. Les dieux de la ville, les coutumes, les conquêtes, les généraux intrépides et vaillants étaient gravés dans sa mémoire avec des détails indélébiles. En suivant le cours de ses connaissances, il est remonté aux débuts de l'Empire faisant ressortir ses réalisations prodigieuses depuis le fastueux brio de la cour d'Auguste. Les magnificences des Césars, à travers son habile dialectique, se présentaient sous de nouvelles nuances historiques face aux considérations psychologiques concernant toutes les situations politiques et sociales.

Nestor a longuement parlé de ses connaissances du passé quand Helvidius Lucius sincèrement surpris l'a interpellé :

D'où tiens-tu toute cette culture remontant à nos plus lointaines traditions ?...

Maître, depuis ma jeunesse, j'ai manié tous les livres d'éducation romaine à ma portée. En outre, sans que je puisse me l'expliquer, la capitale de l'Empire exerce sur moi la plus singulière de toutes les séductions.

Et bien - ajouta Caius Fabrice satisfait - Nestor connaît aussi bien un livre de Salluste qu'une page de Petronius. Les auteurs grecs, également, n'ont pas de secrets pour lui. Considérant, cependant, sa prédilection pour les sujets romains, je veux croire qu'il est comme né au bas de notre porte.

L'esclave a légèrement souri, alors qu'Helvidius Lucius a ajouté :

De telles connaissances prouvent un intérêt injustifiable de la part d'un captif.

Et après une pause, comme s'il était en train d'échafauder un projet intime, tout en s'adressant à son ami, il dit :

Mon cher, je loue ton bon souvenir. Mon souci actuellement était justement de trouver un serviteur cultivé qui puisse se charger d'enrichir l'éducation de mes filles, en m'assistant simultanément dans le traitement des affaires de l'État qui, en vertu de ma nouvelle position, seront à ma charge.

Son hôte avait à peine fini de le remercier que sont apparues dans la salle sa femme et ses filles, dans un gracieux cadre familial.

Alba Lucinie, qui n'avait pas encore atteint les quarante ans, conservait sur son visage les plus beaux traits de la jeunesse qui illuminaient son profil de madone. À ses côtés, ses filles, deux printemps souriants, donnaient à son allure la noble expression d'une vestale se confondant avec elles deux comme si elle était leur sœur plus âgée, plutôt que leur mère tendre et aimante.

Helvidia et Célia, cependant, bien qu'ayant une profonde ressemblance, laissaient spontanément transparaître une différence de tempérament et de penchants spirituels. La première laissait entrevoir dans ses yeux une inquiétude propre à son âge, accusant les rêves fébriles qui peuplaient son âme, alors que la seconde portait dans le regard une réflexion calme et profonde, comme si l'esprit de la jeunesse avait chez elle prématurément vieilli.

Toutes trois exhibaient gracieusement sur leur habit domestique les délicats ornements des « péplums », leurs cheveux étaient attachés par de précieux filets dorés, et elles offraient à Fabrice un sourire accueillant.

De grâce - a murmuré l'invité avec une vivacité propre à son génie expansif tout en s'avançant vers la maîtresse de maison -, mon grand ami Helvidius a trouvé l'autel des Trois Grâces intronisées exclusivement dans son foyer. D'ailleurs ici nous sommes dans la région de la mer Egée, berceau de toutes les divinités !...

Avec beaucoup de courtoisie, ils se saluèrent tous.

Non seulement Alba Lucinie mais aussi Helvidia et Celia se réjouissaient de la présence de ce chaleureux ami de la famille, de longue date.

Rapidement, le petit groupe échangeait des propos amicaux et bienveillants. Le brouhaha des nouvelles sur Rome se mélangeait aux impressions sur l'Idumée et les autres régions de la Palestine où Helvidius Lucius avait séjourné avec ses proches, partageant leurs avis charmants et personnels sur des petits riens de tous les jours.

À un certain moment, le maître de maison a attiré l'attention de sa femme sur Nestor retranché dans un coin de la pièce, lui disant avec enthousiasme :

Lucinie, voici le cadeau royal que Caius nous a apporté de Térébinthe.

Un esclave ?!... - a demandé la madone sur un ton charitable.

Oui. Un précieux esclave. Sa capacité mnémonique est un des phénomènes les plus intéressants qui m'ait été donné d'observer de toute ma vie. Imagine qu'il a dans son cerveau la longue histoire de Rome sans en omettre les moindres détails. Il connaît nos traditions et nos coutumes comme s'il était né au Palatin. Je désire sincèrement le prendre à mon service personnel, l'utilisant en même temps pour instruire nos filles.