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Cneius Lucius a immédiatement identifié cette attitude mentale et s'exclama :

Parle, ma fille ! Ton vieux grand-père saura comprendre ton cœur.

Je dirai - répondit-elle rougissante lui adressant un regard déchirant avec cette timidité d'enfant et de jeune femme. - Grand-père, serait-ce un péché que d'aimer ?!

Bien sûr que non - a répondu le vieillard devinant un monde de révélations inopinées à cette question.

Et quand on aime un esclave ?

Le vénérable patricien a ressenti une émotion affligeante à entendre cette pénible révélation de la part de sa petite-fille adorée ; néanmoins, il a répondu sans hésiter :

Mon enfant, nous sommes très loin d'une société où la fille d'un patricien peut unir son destin à celui d'un serviteur.

Mais - a-t-il ajouté après une courte pause - en es-tu arrivée à tant vouloir un homme sujet à une si pénible situation ?

Et voyant que les yeux de la jeune fille devenaient humides, il devina les émotions déchirantes et contraignantes face à ces confidences. Il l'attira alors contre son cœur pour l'embrasser, lui murmurant à l'oreille d'un ton affectueux :

Ne crains pas le jugement de ton grand-père tout dévoué à ton bien-être. Révèle- moi tout sans omettre aucun détail de la vérité aussi pénible soit elle. Je saurai comprendre ton âme par-dessus tout. Même si tes aspirations aimantes et tes rêves dorés de fillette se sont posés sur l'être le plus abject et le plus méprisable, je ne t'en aimerai pas moins pour autant, et ayant confiance en toi, je saurai respecter ta douleur et ton dévouement !

Réconfortée par ces paroles qui laissaient transparaître toute sa générosité et une sincérité absolue, Célia a continué :

Il y a deux ans, papa nous a emmenés faire une excursion charmante sur le grand lac dans la région où nous possédons notre maison. En plus de maman Helvidia et moi, il y avait avec nous un jeune esclave acquis la veille et qui aidait à ouvrir le chemin le long des eaux, vu son habileté à ramer.

Cet esclave de vingt ans que la volonté du ciel a voulu qu'il s'arrête à notre maison, s'appelle Cirus. Nous étions tous joyeux à observer la ligne de l'horizon et le découpage des nuages dans le clair miroir des eaux agitées. De temps en temps, Cirus me jetait un regard lucide et calme qui produisait sur moi une étrange émotion de plus en plus intense.

Qui pourra expliquer ce saint mystère de la vie ? Dans ce divin secret du cœur, il suffit parfois d'un geste, d'un mot, d'un regard, pour que l'esprit s'attache à un autre pour toujours...

Elle fit une pause à l'exposition de ses réminiscences, et, observant son émotion qui débordait de ses yeux humides, Cneius Lucius la stimula à continuer :

Allez ma fille. Je t'écoute, je veux à tout prix connaître toute ton histoire.

Notre promenade - lui dit-elle avec les yeux de l'âme plongés dans le tableau de ses plus intimes souvenirs - se passait calmement et sans encombres quand soudain, poussée par le vent fort, une grande vague s'est levée. Une secousse plus violente, exactement au point où je m'étais installée m'a fait tomber, absorbée que j'étais dans mes pensées, me jetant dans les eaux profondes...

J'ai encore eu le temps d'entendre les premiers cris de mère et de ma petite sœur croyant m'avoir perdue pour toujours ; mais alors que je me débattais inutilement pour vaincre le poids énorme qui m'opprimait la poitrine sous la masse liquide, j'ai senti que deux bras vigoureux m'arrachaient du fond boueux du lac, me ramenant à la surface dans un immense effort désespéré.

C'était Cirus qui, avec son esprit de sacrifice et de loyauté, me sauvait d'une mort certaine, conquérant par cet acte spontané la gratitude sans limites de mon père, et de nous toutes une tendre et sincère reconnaissance.

Le lendemain, très ému par les succès de la veille, mon père lui a accordé la liberté.

A l'Instant de son émancipation, le jeune libéré m'a baisé les mains avec les yeux humides de sa gratitude profonde et sincère. Mon père le garda attaché à notre maison, comme un serviteur de confiance affranchi, presque un ami, si les conditions de sa naissance avaient été autres.

Toutefois Cirus n'a pas seulement conquis ma gratitude et une estime à toute épreuve, mais aussi toute l'affection spontanée et profonde de mon âme.

Par un après-midi calme et clair, sous les arbres du verger, il m'a raconté sa singulière histoire, pleine d'épisodes intéressants et émouvants.

Pendant sa tendre enfance, il avait été vendu à un riche maître qui l'avait bientôt conduit au pays du Ganges - sur une terre mystérieuse et incompréhensible à nous les Romains -, là il avait eu l'occasion de connaître les principes populaires de réconfortantes philosophies religieuses.

Dans cette région d'Orient, pleine de secrets réconfortants, il avait appris que l'âme n'a pas seulement une existence, mais passe par de nombreuses vies, moyennant quoi elle acquiert de nouvelles facultés, se purifiant en même temps des erreurs passées dans d'autres corps, ou se rachetant des afflictions dans la pénible réparation de ses crimes ou des détours de son passé.

Néanmoins, après l'acquisition de ces connaissances, il fut emporté en Palestine où il s'est pénétré des enseignements chrétiens, devenant un adepte fervent du Messie de Nazaré !...

Il fallait voir alors comme sa parole s'imprégnait d'une lumineuse inspiration divine !...

Passionné par les généreuses idées qu'il avait rapportées de l'influence religieuse de l'Inde concernant les beaux principes de la réincarnation, il savait interpréter pour moi avec une simplicité et une clarté de raisonnement de nombreux passages évangéliques quelque peu obscures à mon entendement, comme celui où Jésus affirme que « personne ne pourra atteindre le royaume des cieux sans naître à nouveau » !...

Que ce soit par un langoureux crépuscule de Palestine ou au clair de lune caressant de ses nuits étoilées, quand il se reposait de la fatigue du travail du Jour, il me parlait des sciences de la vie et de la mort, des choses de la terre et du ciel avec les dons divins de son intelligence, gardant mon esprit en émoi entre les émotions de la vie physique et les glorieux espoirs de la vie spirituelle.

Transportée par la douce caresse de ses expressions et de ses gestes de tendresse, je me figurais qu'il était l'âme jumelle de ma destinée qui m'avait été réservée par Dieu pour m'estimer et me comprendre depuis les vies les plus lointaines.

Nous avons passé toute une année sur une mer de rosés parce que nous nous aimions intensément. Portés par notre calme idylle, nous parlions de Jésus et de ses gloires divines, et quand j'évoquais la possibilité de notre union à la face de ce monde, Cirus nie disait que nous devions attendre le bonheur du Règne du Seigneur, alléguant que sur terre, il n'était pas encore possible de vivre un mariage heureux entre un esclave misérable et une jeune patricienne.

Parfois, il m'attristait avec ses propos dénués d'espoirs terrestres, mais ses inspirations étaient si élevées et si pures que le temps d'un regard, son cœur savait transporter le mien sur le chemin de la foi qui mène à tout attendre, non pas de la terre ou des hommes, mais du ciel et de l'amour infini de Dieu.

Le valeureux ancien entendait tout, sans un reproche, bien que son attitude mentale fût marquée par la plus grande consternation.

Observant que sa petite-fille faisait une pause à son récit charmant et triste, Cneius Lucius l'a interrogée avec bienveillance :

Quelle fut l'attitude de ce jeune envers ton père ?

Cirus admirait sa générosité franche et spontanée, révélant intérieurement sa plus sainte gratitude pour son acte de fraternité quand il le libéra pour toujours. A tout instant, il m'incitait à le respecter chaque fois davantage et à découvrir ses qualités les plus nobles ; il me parlait sans cesse de ses attitudes généreuses avec enthousiasme, admirant son dévouement au travail et sa singulière énergie.