Et Helvidius n'a jamais découvert tes sentiments ? - demanda son grand-père admiratif.
Il l'a su, si - a répondu Célia humblement. - Je vous raconterai tout sans omettre un seul détail.
Dans notre maison, il y avait un chef de service qui dirigeait les activités de tous les employés de la famille. Pausanias avait un cœur qui aimait le scandale et n'avait rien de sincère. Mon père, ayant besoin de voyager constamment, le considérait presque comme mandataire de sa volonté, étant donné les nombreuses capacités dont il était doté, et Pausanias a très souvent abusé de cette confiance généreuse pour gérer la discorde dans notre foyer. Comme il avait remarqué mon intimité avec le jeune libéré dont les dons moraux avaient si fortement Impressionné mon cœur, il a attendu, et un beau jour au retour de mon père d'un voyage en Idumée, il a empoisonné son esprit avec des insinuations calomnieuses sur ma conduite.
Et qu'a fait Helvidius ? - a interrogé le vieil homme lui coupant brusquement la parole, comme s'il devinait le déroulement de toutes les scènes produites à distance.
Il a sèchement réprimandé ma mère, l'accusant, et m'a fait appeler en sa présence, de sorte que j'ai reçu ses réprimandes et ses conseils, sans jamais me permettre de tout lui exposer avec sincérité et franchise comme je le fais maintenant.
Et qu'est-il advenu du libéré ?... - a demandé Cneius Lucius soucieux de connaître la fin de l'histoire.
Il l'a fait mettre aux fers, commandant à Pausanias de lui appliquer la punition qu'il jugeait nécessaire.
Attaché au tronc, Cirus a été battu à plusieurs reprises pour le crime de m'avoir enseigné à aimer de tout cœur et en esprit avec le plus tendre respect toutes les traditions du monde et de la famille sur l'autel du dévouement silencieux et du sacrifice spirituel.
Le second jour de ses indicibles souffrances, j'ai réussi à le voir, malgré la surveillance extrême que tout le monde avait décidé d'exercer sur ma personne.
Comme pendant les jours de notre tranquillité heureuse, Cirus m'a reçue avec un sourire de bonheur, ajoutant que je ne devais nourrir aucun sentiment de rancœur pour la décision prise par mon père, considérant que son esprit était bon et généreux et que, si nous ne pouvions pas casser les préjugés millénaires de la terre, nous ne devions pas non plus abriter l'ingratitude dans nos coeurs.
La souffrance, néanmoins - continua-t-elle, séchant les larmes de ses souvenirs -, me déchirait l'âme.
Reconnaissant la douloureuse situation de celui qui concentrait tous mes espoirs, j'en suis arrivée à maudire sincèrement ma position privilégiée. A quoi donc servaient les attentions de ma famille et les prérogatives de mon nom, si l'âme jumelle de ma destinée était incarcérée dans une affreuse nuit de souffrances ?...
Je lui ai alors exposé ma torture intime et mes amères pensées. Cirus m'a entendue avec résignation et douceur, me répondant ensuite que tous deux nous avions un modèle, un maître, qui n'était pas de ce monde, et que le Sauveur nous garderait au ciel un nid de bonheur si nous savions souffrir avec résignation et simplicité à la manière des bienheureux de sa parole sage et douce. Il a ajouté que le Christ aussi avait beaucoup aimé et, cependant, il avait parcouru les chemins de l'incompréhension terrestre, seul et abandonné ; si nous étions victimes de préjugés ou de persécutions, de telles souffrances devaient être justifiées, compte tenu des dérives de notre passé spirituel, en des temps anciens, ajoutant que Jésus s'était sacrifié pour l'humanité toute entière, bien que son cœur fut immaculé comme le lys et doux comme l'agneau.
- Que sont nos souffrances comparées aux siennes en haut de la croix de l'impiété et de la cécité humaine ? -me disait-il valeureusement. - Célia, ma chérie, lève les yeux à Jésus et marche !... Qui mieux que nous pourra comprendre ce doux mystère de l'amour par le sacrifice ?... Nous savons que les plus heureux ce ne sont pas ceux qui dominent et jouissent en ce monde, mais ceux qui comprennent les desseins divins et les respectent dans la vie de tous les jours, quand bien même ces créatures nous semblent les plus méprisables et les plus Infortunées... En outre, chérie, pour ceux qui s'aiment par les liens sacro-saints de l'âme, il n'existe pas de préjugés ni d'obstacles dans l'espace et dans le temps. Nous nous aimerons toujours ainsi, attendant la lumière du Règne du Seigneur. L'instant de la pénible séparation retentit maintenant mais, ici ou ailleurs, tu seras toujours vivante dans mon cœur parce que je t'aimerai toute la vie, comme un ver quelconque qui aurait reçu le doux sourire d'une étoile... Pourraient-ils se séparer ceux qui marchent avec Jésus à travers les brumes de l'existence matérielle ? Le Maître n'a-t-il pas promis son heureux royaume à tous ceux qui souffrent les yeux tournés vers l'amour infini de son cœur ? Résignons-nous et ayons du courage !... Au- delà des épines, il est des routes fleuries où nous nous reposerons un jour sous la lumière de l'infini. Si nous souffrons maintenant, il doit y avoir une cause juste, venant d'un sinistre passé lors d'existences successives sur terre. Mais la vie réelle n'est pas celle-ci, c'est celle que nous vivrons demain, sur le plan illimité de la spiritualité radieuse!...
Alors que ses propos réconfortants fortifiaient mon âme abattue, je voyais son visage décomposé et ses cheveux empâtés par une abondante sueur qui me laissaient entrevoir une souffrance physique infinie qui le martyrisait.
Malgré sa pâleur extrême, Cirus me souriait et me réconfortait. Sa leçon de patience et de foi embaumait mon cœur et cette courageuse sérénité devait être pour moi, une précieuse incitation à la force morale, face aux épreuves.
Je fis de mon mieux pour le consoler en lui témoignant ma profonde et sincère compréhension quant au sens de ses propos pleins de bonté et d'enseignement, compréhension que je garderai en mon for intérieur pour toujours.
Nous nous sommes réciproquement promis le calme le plus absolu et toute notre confiance en Jésus, ainsi qu'une éternelle fidélité en ce monde pour que nous soyons unis un jour dans les cieux.
Une fois ces courtes minutes passées pendant lesquelles j'avais réussi à parler au prisonnier, j'ai rassemblé les énergies intérieures de ma foi, séchant courageusement mes larmes.
Je suis allée voir ma mère, j'ai imploré son Intercession aimante afin de faire cesser les cruelles punitions que Pausanias imposait au bien-aimé de mon âme, l'informant du terrible spectacle dont j'avais été témoin.
Mon récit l'a profondément émue et elle obtint de mon père l'ordre de faire libérer Cirus sous certaines conditions qui, bien que douloureuses, ont été pour moi un grand soulagement !
Quelles conditions ? - a demandé Cneius Lucius admiratif face à l'émouvante romance de sa petite-fille dont ses dix-huit ans certifiaient toute l'intensité de sa souffrance.
Mon père accepta moyennant que je ne revoie pas le Jeune libéré pour lui faire mes
adieux.
Il s'arrangea pour que la nuit même, escorté par deux esclaves de confiance jusqu'à Césarée, il fut emprisonné sur une galère romaine, exilé par ceux qui la commandaient !...
En es-tu arrivée, ma fille, à nourrir quelque rancœur à l'égard d'Helvidius en raison de son attitude ?
Non - répondit-elle avec une sincérité toute spontanée. - Si je devais nourrir de la rancœur, ce serait contre ma propre destinée.
D'ailleurs, Cirus m'a toujours enseigné que ceux qui n'honorent pas père et mère ne peuvent marcher vers Jésus conformément aux règles divines.
Cneius Lucius était éminemment surpris. Quand Helvidius avait sollicité son intervention morale auprès de sa petite-fille, il était loin de présumer d'une aussi pénible histoire d'amour dans un cœur de dix-huit ans plein de jeunesse et de miséricorde.