Les yeux de Célia se sont levés vers le ciel comme si son esprit attendait là, auprès de son vieux grand-père, les grâces divines entrevues par sa croyance pleine de luminosité et d'espoir.
Cneius Lucius l'a doucement étreinte contre son cœur comme s'il s'agissait d'un enfant lui parlant avec une grande tendresse :
Mon enfant, tu es fatiguée ! Ne te justifie pas plus longtemps. Je parlerai avec Helvidius concernant tes plus intimes pensées, j'éluciderai ta situation face à sa manière de voir.
Et appelant Marcia, sa fille la plus âgée qui avait dans sa douce vieillesse le rôle d'un ange protecteur et aimant, le respectable patricien lui dit :
Marcia, notre petite Célia a besoin de tranquillité et de repos physique. Conduis-la dans sa chambre et fais en sorte qu'elle se repose.
Sa petite-fille l'a tendrement embrassé sur le front, se retirant avec sa tante aimable et généreuse qui la prit par le bras, la conduisant à l'intérieur.
La nuit était déjà bien avancée remplissant le ciel romain de capricieuses lueurs.
Cneius Lucius, absorbé par de profondes considérations, s'enfonça dans une mer de conjectures.
Son vieux cœur était fatigué de battre dans l'incompréhension des arcanes du monde. Lui aussi avait été jeune, lui aussi avait nourri des rêves. Dans sa lointaine jeunesse, tant de fois il avait annihilé ses aspirations les plus nobles et ses intentions les plus généreuses, au profit du tumultueux choc des passions matérialistes et violentes.
Seules les brises caressantes de la réflexion, à l'âge mûr, avaient tempéré ses conceptions spirituelles sur la voie d'une compréhension chaque fois plus grande de la vie et de ses lois profondes.
Depuis qu'il s'était habitué à méditer sincèrement, les fantômes de la douleur et les étonnants contrastes des destins humains hantaient son esprit. Bien qu'attaché aux traditions les plus pures de ses ancêtres et les ayant transmises avec fidélité et amour à ses descendants, son cœur ne pouvait accepter toute la vérité divine incarnée en Jupiter, symbole ancien qui alimentait toutes les vieilles croyances.
Désireux de donner une bonne leçon à cette enfant par soucis d'éducation, c'est son esprit qui s'en était trouvé ébranlé, ému qu'il fût par les nouveaux concepts portés aux lèvres pures d'un ange. Lui qui avait l'habitude d'enquêter sur les causes profondes de la douleur, de sentir les souffrances de ceux qui gémissaient dans la captivité, venait de recevoir une merveilleuse clé pour résoudre les capricieuses énigmes de la destinée. La vision des existences successives, la loi des compensations, les routes du rachat spirituel par l'expiation et par la souffrance, étaient maintenant accessibles à son raisonnement, comme des solutions providentielles.
Sa culture des auteurs grecs lui laissait présumer que le sujet ne lui était pas totalement étranger, mais la parole affectueuse et convaincante de sa petite-fille, témoignant de la vérité par ses souffrances prématurées, ouvrait à son esprit un sentier nouveau à toutes les cogitations en ce sens.
La tête penchée sur le divan du balcon, ses yeux contemplaient l'image magnifique de Jupiter Stator taillée dans l'ivoire, au centre des autres dieux de sa famille et de sa maison, le cœur pris d'angoisses.
Il s'est levé et a marché posément autour des niches illuminées et ornées de fleurs. L'image de Jupiter n'éveillait déjà plus en lui les sentiments de vénération miséricordieuse des nuits précédentes.
Face aux révélations douces et profondes de Célia, il ressentait en son for intérieur l'amer soupçon que tous les dieux de ses respectables ascendants basculaient et roulaient des autels, se confondant au tourbillon des désillusions des vieilles croyances. L'âme oppressée, le vénérable patricien observait que de nouvelles équations philosophiques et religieuses obsédaient d'un seul coup son cœur... Puis, appréhensif et perplexe, Cneius Lucius se mit à entendre intérieurement la douce rumeur d'une marche divine... Il lui semblait que la figure douce et énergique du prophète de Nazareth dont il connaissait la philosophie de pardon et d'amour à travers les exhortations courantes, apparaissait au monde pour faire voler en éclats toutes les idoles en pierre et dominer le cœur humain pour toujours !...
Si le respectable ancien était l'ami de la vérité, il ne T'était pas moins du sanctuaire sacré des traditions austères.
Dans l'abri consacré aux divinités du foyer, il sentit que l'atmosphère asphyxiait son cœur et son entendement. Instinctivement, il a ouvert l'une des fenêtres les plus proches par où l'air de la nuit a pénétré en bourrasque, rafraîchissant son front tourmenté.
Il s'est penché pour contempler la ville presque endormie. Sa conversation avec sa petite-fille lui avait semblé avoir duré un temps indéfini, si grand fut l'effet de ses affirmations profondes et irrésistibles...
Les yeux humides, il a regardé le cours du Tibre dans toute l'extension de ce paysage que son regard pouvait atteindre, calmant ses réflexions, abattu par les effets de lumière que la clarté lunaire opérait capricieusement sur les eaux.
Pendant combien d'heures avait-il contemplé les constellations fulgurantes, sondant les mystères divins du firmament ?
Ce n'est que bien plus tard, à l'orée du jour, que la voix caressante de Marcia est venue le sortir de ses cogitations graves et intenses, l'invitant à aller se coucher.
Cneius Lucius s'est alors dirigé vers sa chambre à pas lents, le front ridé d'angoisses, les yeux profonds et tristes, comme quelqu'un qui aurait amèrement pleuré.
OMBRES DOMESTIQUES
La vie de nos personnages à Rome a recommencé sans grand événement, ni surprise.
Malgré tout son amour pour la province, Helvidius Lucius avait l'agréable sensation d'être retourné à son ancien milieu, occupant une position plus élevée qui lui permettrait d'enrichir, avant tout, ses compétences dans le cadre de sa vocation politique au service de l'État.
En accordant la liberté à Nestor, il voulait lui faire partager les tâches qui relevaient de sa position et l'assigner aux travaux de sa maison comme le citoyen cultivé et indépendant qu'il était.
C'est ainsi que l'ancien esclave loua une chambre d'habitation collective dans les environs de la porte Salarienne ; il devint l'enseignant de ses filles et l'assista dans ses travaux huit heures par jour, recevant pour ces services une rémunération régulière.
En dehors, l'affranchi était entièrement libre de s'occuper de ses intérêts personnels.
Et il sut profiter de ses loisirs, saisissant cette occasion pour consolider l'amélioration de sa situation. C'est ainsi que le soir venu, il donnait des cours d'alphabétisation à des pauvres qui engageaient ses services, s'attirant ainsi de nombreuses relations et laissant libre cours à ses aspirations lors de réunions amicales qui donnaient un peu de baume à son cœur.
Un mois suffit pour qu'il découvre les centres d'intérêt les plus importants de la ville, ses hommes illustres, ses monuments, sa classe sociale, se faisant des relations amicales solides dans l'humble milieu où il vivait.
Passionné de christianisme, ce qu'Helvidius Lucius ignorait bien sûr, il ne s'est pas privé du plaisir de connaître ses compagnons d'idéal afin de coopérer à sa manière à la tâche bénie d'élever les âmes à Jésus par ces temps si difficiles que la pensée chrétienne traversait entre les grandes vagues d'incompréhension et de sang.
La facilité d'expression de Nestor, alliée aux circonstances de ses relations personnelles avec le prêtre Johanes, grand disciple de Jean l'Évangéliste de l'église d'Éphèse, l'incitaient à s'imprégner d'une plus large connaissance des traditions de Jésus, ce qui lui octroya, immédiatement, une place spéciale parmi ses compagnons de foi qui, deux fois par semaine, se réunissaient dans la soirée à l'intérieur des catacombes de la voie Nomentane pour étudier les passages de l'Évangile et implorer l'assistance du divin Maître.