Habitué aux condescendances féminines de la cour, en raison de sa position et de ses qualités, Lolius Urbicus est soudainement devenu pâle en entendant ce refus noble et digne. D'un regard, il a évalué la supériorité spirituelle de la créature ardemment convoitée depuis tant d'années. En son for intérieur se mélangeaient son amour-propre humilié et une pointe de honte.
Cependant, baissant son regard dépité, il lui dit presque sur un ton suppliant :
Je ne désir pas passer à vos yeux pour un esprit brut et incompréhensif ! La vérité, néanmoins, est que je continuerai à vous aimer de la même manière. Votre refus formel et délicat aggrave mon ambition de vous posséder. Pendant combien de temps, ô dieux de l'Olympe, continuerai-je ainsi incompris et torturé ?
Levant les yeux, il a remarqué qu'Alba Lucinie pleurait attristée. Cette douleur calme et juste a pénétré son cœur comme la pointe d'une épée.
Pour la première fois, Lolius Urbicus a senti que la nature de sa passion produisait des sentiments d'angoisse et de pitié.
Madame - s'est-il exclamé pris d'émoi -, pardonnez-moi si je vous ai fait pleurer par l'expression malavisée de mes tristes souffrances. Je vous veux tellement, tellement... Vous avez épousé un homme honnête et digne et je viens de commettre la folie de vous proposer son déshonneur et son malheur... Pardonnez-moi ! J'ai été victime le temps d'un instant d'une criminelle démence... Ayez pitié de moi car j'ai vécu jusqu'à présent abattu et inconsolable.
Un mendiant de l'Esquilin est plus heureux que moi, bien qu'il tende la main à la charité publique ! Je suis un misérable... Compatissez de ma souffrance oppressante. Pendant tant d'années, j'ai gardé en moi ces émotions rudes et pénibles et vous savez que l'âme d'un soldat doit être cruelle et impassible, réfrénant les pensées les plus généreuses !... Je n'ai jamais trouvé un cœur qui comprenne le mien, raison pour laquelle je n'ai pas hésité à offenser votre dignité irréprochable !...
Alba Lucinie écoutait ses suppliques sans comprendre les contrastes de cette âme violente et sensible. Il y eut un silence difficile pour tous deux, quand quelqu'un, traversant la rangée d'arbres, s'est exclamé d'une voix forte, juste à leurs oreilles :
- Venez entendre Vergilius Priscus ! Joignons-nous aux hommages rendus à César !...
Lolius Urbicus nota qu'il lui était impossible de continuer ses confidences et offrant le bras à la noble dame qui l'accompagna avec un triste sourire, ils ont marché en direction du lac où, quelques instants auparavant, nous avions vu arriver Helvidius et Claudia Sabine.
Autour du chanteur se réunissaient tous les convives, une assemblée compacte et distinguée était attentive à l'hommage que l'Empereur recevait, serein et fier.
La chanson commandée par les hôtes était un long poème à la mode de l'époque où les faits d'Hadrien surpassaient, glorifiés, toutes les réalisations précédentes de l'Empire. D'après les expressions flatteuses de l'artiste, aucun héros à Rome ne l'avait dépassé dans ses brillants exploits. Les généraux, poètes, consuls et sénateurs célèbres étaient restés en deçà de celui qui avait eu le bonheur d'être le fils adoptif de Trajan.
Du haut du trône qui avait été dressé là pour le besoin du moment, l'Empereur donnait libre cours à sa vanité personnelle avec de francs sourires.
Tout le monde l'entourait. De nombreuses autorités étaient présentes, s'associant à l'honorable hommage de Fabien Corneille et de sa famille.
Nous ne pouvons oublier qu'Helvidia et Caius Fabricius se trouvaient là, ensembles, ivres de leur printemps d'amour rieur, alors que Cneius Lucius, contraint par les circonstances à comparaître, se soutenait au bras de Célia, à moitié tremblant dans sa vieillesse avancée, désireux qu'il était de montrer à ses enfants que son cœur participait aussi de l'enthousiasme général.
Une fois que les luths se furent tus, une légion de jeunes répandit les pétales de centaines de couronnes de rosés apportées par des esclaves sur de grands plateaux en argent enveloppant le trône dans un nuage odorant.
De nouvelles harmonies vibraient et le chœur des danseurs exhiba des ballets inédits riches de figures intéressantes et étranges.
Le vin coulait à flot remplissant presque tous les fronts de fantaisie et la fabuleuse chasse aux antilopes clôtura la fête qui est restée gravée pour toujours dans l'esprit de toute l'aristocratie.
Helvidius Lucius et Alba Lucinie retournèrent chez eux supportant le poids d'une indéfinissable angoisse.
Surpris par les événements inattendus concernant les consternantes émotions dont ils avaient été victimes, on pouvait voir en chacun d'eux l'effet partagé d'une confidence désagréable et pénible.
Néanmoins, une fois de retour à l'intimité de leur foyer, la noble femme dit à son mari sur un ton d'amertume :
Helvidius, très souvent j'ai désiré ardemment revenir à Rome, nostalgique que j'étais de nos amis et de l'incomparable environnement citadin ; mais aujourd'hui je comprends mieux le calme de la campagne où nous vivions sans attentions éprouvantes. Les années en province m'ont déshabituée aux intrigues de la cour et à ses cérémonies qui maintenant fatiguent profondément mon cœur.
Helvidius l'écoutait, sentant que son état d'âme était bien le même, tel était l'ennui qui s'était emparé de lui après les spectacles qu'il avait observés, considérant aussi les émotions malaisées que cette nuit lui avait apportées.
Oui, chérie - a-t-il répliqué un peu réconforté -, tes paroles me font un grand bien. En revenant à Rome, je reconnais que je suis moi-même rassasié des ambiances conventionnelles et hypocrites. Je crains la ville avec ses nombreux dangers pour notre bonheur que nous désirons impérissable !
Et se rappelant plus particulièrement des embarrassantes impressions ressenties quelques heures auparavant avec les confidences de Sabine, il a attiré sa femme contre son cœur ajoutant le regard Incendié d'un soudain éclat :
Lucinie, une nouvelle idée me vient à l'esprit ! Que dirais-tu de retourner à notre campagne accueillante et tranquille ? Souvenons-nous, chérie, que la révolution est finie et nous n'aurions aucun mal à réacquérir nos anciennes propriétés de la Palestine.
Nous retrouverions ainsi notre existence tranquille sans les préoccupations accablantes et pénibles qui nous assaillent ici. Tu soignerais tes fleurs et je continuerais à veiller aux intérêts de notre maison.
Je promets que je ferais mon possible pour te rendre la vie moins triste, loin de tes parents ! Nous ne garderions avec nous que tes esclaves préférés et je te demanderais constamment conseil quant à la façon de gérer nos activités !...
Je t'emmènerais avec moi partout où j'irais... jamais plus je ne te laisserais seule à la maison, inquiète et nostalgique...
Helvidius Lucius donnait à sa voix un ton singulier et profondément expressif, comme s'il dépeignait aux yeux de sa femme émue, les douces perspectives d'un tableau printanier.
Qui sait - continua-t-il le regard brillant - nous pourrions retourner en Judée pour vivre encore plus heureux ?! Notre Helvidia a l'avenir assuré avec son proche mariage et Célia resterait avec nous pour enrichir notre bonheur domestique !... Une fois là-bas, nous pourrions parcourir toute la Grèce afin de visiter le plus ancien jardin des dieux et lorsque nous serions en Samarie et en Idumée, tu verrais les miracles de mon cœur empressé faire ta joie et te combler ! Nous nous promènerions alors ensemble comme autrefois sur les routes au clair de lune, dans le silence profond des nuits calmes pour que nous sentions toute la grandeur de notre merveilleux amour.