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Ici à tout instant, je sens notre paix domestique menacée... Les intrigues de la cour me tourmentent !... Nous sommes encore jeunes, nous avons devant nous un avenir prometteur.

Crois bien, chérie, que je nourris le plus grand désir de retourner à notre havre de paix, au sein de la nature calme et généreuse !...

Alba Lucinie l'écoutait, soulagée de ses propres angoisses. Une larme brillait au bord de ses yeux, elle avait le cœur transporté à l'idée réjouissante de retrouver la tranquillité de la vie provinciale.

Cependant, malgré la joie de telles espérances, son attitude mentale était marquée par une profonde réflexion.

Helvidius - s'exclama-t-elle réconfortée -, la perspective de reprendre le cours de notre vie bucolique avec notre bonheur et notre amour, me console moi qui suis abattue. Mais, dis-moi : et nos devoirs ? Que dira mon père de notre attitude, après avoir tant lutté pour réajuster ta situation à la politique administrative de l'Empire ? Enfin, je désirerais savoir si tu n'aurais pas assumé d'engagement plus sérieux.

À entendre ses sereines pondérations, le patricien s'est soudainement rappelé de son engagement avec l'Empereur concernant les constructions de Tibur et a senti son sang glacer dans ses veines après l'éclosion de ses espoirs pleins d'enthousiasme.

Il a alors informé sa compagne de la demande de César et elle lui a répondu avec un lourd soupir.

Dans ce cas - lui dit Alba Lucinie avec une pointe de contrariété dans le ton employé-, il est trop tard pour cogiter d'un retour immédiat en province.

Peiné, son mari reconnut toute la justesse d'une telle considération, mais il a ajouté :

Quoi qu'il en soit, demain j'irai voir Fabien Corneille et lui exposerai mes appréhensions à ce sujet et même s'il n'approuve pas notre retour, gardons espoirs, car plus tard les dieux le permettront !...

Malgré la profonde intimité de ces déclarations, ni l'un ni l'autre eut le courage de révéler les embarrassantes émotions vécues dans la soirée.

Et le lendemain, tous deux souffraient encore du premier choc des luttes sentimentales qui les attendaient dans l'entourage de la grande métropole.

À son beau-père, Helvidius Lucius a exposé sans réserve leurs plans et leurs désirs. Il lui a parlé de leur intention de retourner en Palestine et il a également évoqué la prétention impériale d'utiliser ses services personnels à la finition des œuvres de Tibur.

Fabien Corneille écouta ces allégations avec étonnement, désapprouvant les projets de son gendre et ajouta qu'une telle nouvelle démontrait à ses yeux un certain infantilisme de sa part dans de telles conditions. Sa situation financière n'en serait-elle pas consolidée ? Sa permanence à Rome aux côtés de toute sa famille ne serait-elle pas un facteur de paix ? N'avait-il pas obtenu les grâces d'Hadrien au point de s'intégrer dans le processus politico- administratif avec tous les honneurs d'un tribun militaire ?

Face à un refus aussi obstiné, à voix basse et sur un ton discret, Helvidius a raconté à son beau-père ses aventures de jeunesse, l'informant des nouvelles prétentions de Claudia Sabine et de sa situation domestique difficile dans le refuge sacré de sa famille.

Le vieux censeur a écouté ses confidences un peu surpris, mais répondit avec mesure :

Mon fils, je comprends tes scrupules ; néanmoins, je dois te parler avec la même franchise avec laquelle tu t'es ouvert à moi, en t'expliquant que dans ma situation actuelle, je dépends entièrement de l'aide de Lolius Urbicus et de sa femme, dans le monde de la politique et des affaires. Ma position financière, malheureusement, est maintenant assez précaire vu les nombreuses dépenses imposées par les circonstances. Et s'il t'est possible de m'aider, alors fais-le. Ne refuse pas l'occasion qu'Hadrien t'offre à Tibur, et fais ton possible pour ne pas contrarier l'esprit vindicatif de Claudia, surtout dans les conditions présentes.

Helvidius comprit qu'il lui était impossible d'abandonner son vieux beau-père et son sincère ami dans une telle conjoncture et chercha à se pourvoir d'énergies intimes, afin de ne pas laisser transparaître tout son malaise.

De plus - s'est exclamé le censeur en essayant de faire de l'humour pour dissiper les ombres de l'atmosphère sentimentale qu'ils partageaient -, j'espère que dans les moments les plus difficiles, tu ne te perdras pas dans des craintes puériles... N'aie pas peur, mon fils, de telle ou telle contingence !...

Esquissant un sourire bienveillant, il a ajouté :

Tu sais ce que disait Lucrèce, il y a plus de cent ans ? - « que la femme est le petit animal sacré des dieux ! »

Entre eux s'est alors esquissé un rire franc et optimiste même si dans son for intérieur Helvidius Lucius gardait toutes ses appréhensions.

À son tour, le matin du même jour, Alba Lucinie est allée demander conseil à sa mère concernant ses affligeantes réflexions ; mais Julia Spinter, après l'avoir écoutée au sujet des événements de la veille, le cœur pris de pressentiments angoissants pour sa fille, a répliqué avec compassion, sans perdre cependant sa force morale :

Ma fille - a-t-elle dit en l'embrassant -, nous traversons une phase de luttes amères, nous devons faire preuve d'une grande capacité de résistance. Je peux mesurer ton angoisse intérieure parce que dans ma jeunesse, j'ai aussi éprouvé ces difficiles émotions dans le tourbillon des activités sociales. Si cela m'était possible, je romprais avec cette situation et avec tout le monde dans l'intérêt de ta tranquillité, mais...

Ces réticences signifiaient un tel découragement qu'Alba Lucinie fut troublée, et l'interpella.

Que dis-tu, mère ? Ce « mais » si amer en arrive à me surprendre comme si je devinais dans ton esprit des inquiétudes plus graves que les miennes.

Écoute mon enfant, en tant que mère je suis amenée à m'intéresser à ton bonheur comme si c'était le mien... Cependant, je suis au courant des affaires de ton père et des liens qui le retiennent à la politique du préfet des prétoriens, j'en conclus que sans de graves préjudices financiers, Fabien ne pourrait actuellement se couper de Lolius Urbicus. Tous deux se trouvent très impliqués dans la présente situation, de sorte que malgré la franchise avec laquelle j'ai toujours marqué mes propos et mes actes, je suis amenée à te conseiller le maximum de prudence pour la tranquillité de ton père qui mérite nos sacrifices.

Les paroles de la noble matrone étaient prononcées sur un ton d'une âpre tristesse. Après avoir entendu ces déplorables confidences, très pâle, Alba Lucinie demanda :

Mais la situation financière de mon père est si précaire ? La cérémonie d'hier me laissait supposer du contraire...

Oui - a déclaré Julia Spinter résignée -malheureusement les faits viennent confirmer toutes mes craintes. Tu connais le tempérament de ton père et tu connais mon souhait de répondre à ses caprices. À mes yeux, une fête comme celle d'hier n'était pas nécessaire pour t'exprimer toute l'estime que je te porte. Je pense que ces manifestations doivent se faire dans l'intimité du cœur et de la famille ; mais ton père pense différemment et je dois le suivre. Les dépenses de cette nuit se sont élevées à plusieurs milliers de sesterces. Et ce n'est pas tout. Tes frères ont dilapidé presque tout le patrimoine de la famille en assumant des engagements de tous genres, de sorte que ton père est obligé de les aider portant sérieusement préjudice à notre maison. Comme tu le sais déjà, les scandales de Lucile Veintus ont obligé Asinius à s'absenter pour l'Afrique où il séjourne et d'après ce que l'on sait toujours en quête de plaisirs faciles. Quant à Rutrius, il a fallu que ton père lui obtienne un poste en Campanie afin de restaurer notre équilibre financier. Mais tu n'es pas sans ignorer ma fille que la société exige de nous que nous reflétions le bonheur... Au départ, je n'approuvais pas l'attitude de Fabien voulant réaliser des fêtes comme celle d'hier, mais en même temps, je suis forcée de lui donner raison puisqu'un censeur doit se conformer aux conventions sociales.