À ces confidences, Alba Lucinie se prit de compassion pour sa mère et lui dit :
Cela suffit, mère ! Je peux te comprendre. Ce sujet doit rester entre nous et je saurai me conduire et dépasser toutes les difficultés. Hier encore, HeMdius et moi cogitions de retourner en province, mais je vois maintenant que papa a besoin de notre concours et je reconnais que ton cœur a besoin du mien pour affronter les circonstances de la vie !...
Tout en remarquant son regard brillant comme si elle pressentait un danger pour son bonheur, Julia Spinter, émue, a étreint sa fille.
Que les dieux te bénissent ! - s'exclama-t-elle presque rayonnante - tu resteras avec moi, oui, car ici j'ai vécue très incomprise et très solitaire !... Seule notre chère Tullia est restée fidèle à mon affection de longue date, trouvant en moi la mère adoptive que la providence lui a accordée!...Très tôt, mes garçons se sont éloignés du foyer pour suivre de mauvais chemins et ton père est toujours occupé à des conférences et des affaires de l'État...
Pendant quelques temps encore, mère et fille se sont entretenues sur des sujets confidentiels et chaleureux.
La situation générale est restée inchangée. Alba Lucinie et son mari, abandonnant leur intention de retourner à l'environnement provincial, firent de leur mieux pour répondre aux besoins de nature domestique, installés maintenant dans la capitale de l'Empire.
Peu de temps après, laissant Nestor assister son beau-père, Helvidius Lucius est parti pour Tibur répondre aux décisions impériales, y trouvant Claudia Sabine Installée dans une position de prestige. Que ce soit par désir de se faire remarquer aux yeux du patricien, voulant gagner son estime, ou pour favoriser le développement de ses vocations innées dans les mesures prises dans l'administration des œuvres artistiques confiées à sa sensibilité féminine, la femme du préfet était brillante.
Helvidius Lucius fut contraint par les circonstances à s'approcher d'elle, découvrant de près ses surprenantes aptitudes, il admirait sincèrement ses initiatives, mais restait très prudent évitant toute tentative de retour au passé. Claudia Sabine, quant à elle, malgré le changement tactique dans ses attitudes sentimentales, gardait en son for intérieur les mêmes prétentions de toujours.
Pendant cela, Alba Lucinie commençait à ressentir à Rome, ce qui serait une longue suite de souffrances morales. Conscient de ses nobles vertus conjugales, Lolius Urbicus n'avait pas pour autant renoncé à ses intentions, il avait cependant modéré ses impulsions. La société romaine d'alors, aimait les sports et était attentive au fait de conserver les traditions de liberté dans le mécanisme des relations familiales, circonstances qui lui permettaient de se rendre chez le patricien absent sous le regard bienveillant de Fabien Corneille qui voyait, à cet intérêt manifeste, une distinction honorable pour sa famille. À son tour, la noble femme, qui connaissait les besoins de son père, n'avait pas le courage de confier au vieux censeur ses craintes fondées, s'astreignant ainsi à tolérer l'amitié que le préfet lui témoignait, l'acceptant de son caractère intangible.
Tous les quinze jours, Helvidius Lucius rentrait chez lui. Néanmoins, ses apparitions à Rome étaient très rapides car il devait traiter et résoudre avec sa femme des sujets qui les occupaient.
Et le temps passait, apportant toujours ce précieux entrain.
Quelqu'un cependant s'intéressait beaucoup aux agissements du préfet, espionnant facilement ses moindres pas. Ce quelqu'un, c'était Hatéria, qui chez ses maîtres, pouvait observer son ardeur, entendre ses impressions et ses entretiens, accompagner ses attitudes sentimentales.
Deux longs mois étaient passés dans ces circonstances quand un jour, nous allons retrouver Lucinie et Tullia dans la plus grande intimité à échanger des propos délicats et bienveillants.
Après avoir abordé les frivolités de la vie sociale, l'épouse d'Helvidius lui raconta en toute confidentialité ses éprouvantes impressions intimes, exposant à son amie d'enfance ses craintes face à la séparation prolongée de son époux qui répondant aux déterminations capricieuses du destin, s'était indéfiniment absenté dans la ville qui avait la préférence impériale.
Tullia Cevina l'a regardée fixement murmurant sur un ton discret :
Je sais que tes appréhensions sont justifiées, d'autant qu'Helvidius est auprès de Claudia!...
Pourquoi donnes-tu tant d'importance à cela ? - lui dit Alba Lucinie admirative.
Tu n'as jamais su, alors ?
Quoi ? - dit l'autre doublement intriguée.
Tullia comprit que son amie, loin des bruits de la cour pendant tant d'années n'avait pas eu connaissance du passé dans ses moindres détails.
Il y a longtemps, j'ai entendu dire que dans leur jeunesse, Claudia Sabine et Helvidius Lucius avaient eu une romance. Je sais que tu n'ignores pas que cette créature a été porteuse d'une singulière beauté en d'autres temps, bien avant que le destin l'arrache à la pauvreté de sa condition sociale...
Je ne l'ai jamais su - a murmuré Alba Lucinie visiblement surprise -, mais, raconte moi tout ce que tu sais à ce sujet.
Et tu n'as jamais entendu parler de l'histoire de Silain ? - a ajouté Tullia Cevina, augmentant l'intérêt suscité par ses propos.
Si, je sais que Silain est un jeune homme que mon beau-père a adopté dans son enfance comme son propre fils. Je sais également que quand il est né beaucoup de gens ont cru qu'il était le fils d'Helvidius avec une créature du peuple, issu de ses aventures de jeunesse.
Mais, connais-tu toute l'histoire dans ses moindres détails ?
Je sais à peine que l'enfant a été abandonné sur le pas de la porte de la résidence de Cneius Lucius qui l'a accueilli avec son habituelle générosité.
Très bien, mon amie, mais encore jeune et plébéienne, Claudia Sabine a été aperçue abandonnant l'enfant, à l'aube, là où tu l'as dit, laissant un billet significatif à Cneius Lucius.
De toute évidence - a clarifié Alba Lucinie, bien qu'impressionnée par cette révélation -, je crois qu'Helvidius a été victime d'une infâme calomnie.
Je ne dis pas le contraire - répondit son amie -, d'autant plus que Sabine, d'après ce que l'on dit, était une créature qui vivait entourée de nombreux soupirants...
L'épouse d'Helvidius ressentait une douleur immense en son for intérieur. Elle aurait voulu pleurer pour soulager les peines qui oppressaient son cœur mais sa force morale dépassait chez elle tous ses sentiments. Cependant, elle ne réussit pas à dissimuler sa souffrance devant la chère sœur spirituelle de sa jeunesse, laissant ainsi transparaître dans ses yeux larmoyants, sa tristesse et ses craintes.
Tullia Cevina l'a longuement embrassée en lui disant à demi-voix :
Chère Lucinie, moi aussi j'ai déjà souffert des angoisses que tu ressens actuellement, mais j'ai trouvé un remède efficace. Veux-tu l'essayer ?
Sans aucun doute. Où trouver un tel remède ?
Écoute-moi - lui dit son amie avec une bonté confiante, presque infantile -, tu as certainement déjà entendu parler de Lucile Veintus et de ses scandales à la Cour. Un beau jour, Maximin a laissé paraître ses penchants pour cette femme en arrivant même à sérieusement perturber notre bonheur domestique ; mais Salvia Subria m'a suggérée de me rendre à une réunion chrétienne où j'ai fait appel aux prières d'un vénérable ancien qui pontifie là en tant que prêtre. Depuis que j'ai utilisé de tels recours, mon mari est revenu à la douceur du foyer, augmentant notre bonheur conjugal.
Mais, as-tu été obligée d'engager ta parole ? - a interrogé Alba Lucinie fort intéressée par le sujet.
Aucunement.