Mais les chrétiens ont-ils jeté quelque sortilège en ta faveur ?
Non plus. Ils m'ont informée que la vertu de la prière se trouve dans le fait qu'elle est dirigée à un nouveau dieu que les croyants appellent Jésus de Nazareth.
Ah ! - lui fit Alba Lucinie se rappelant de la Judée et des convictions de sa fille - la doctrine chrétienne ne m'est pas étrangère mais mon mari ne la tolère pas, ses déclarations sont contraires à nos dieux. En conséquence, je pense qu'avant de prendre une résolution de cette nature, il conviendrait que j'en parle à ma mère pour suivre ses conseils.
Ça non.
Pourquoi ?
Parce qu'après que Salvia m'en ait parlé, je suis aussi allée voir ta mère pour lui demander son avis, mais son esprit sectaire et sa franchise intransigeante firent qu'elle s'est montrée hostile à mes idées, alléguant que la femme romaine dispense tous nouveaux dieux car elle est la matrone incorruptible devant la société et la famille. Malgré tout, j'ai décidé de faire appel à ces recours et j'ai obtenu les meilleurs résultats.
Ma mère doit avoir raison - dit Alba Lucinie convaincue. - De plus, je ne peux me résoudre à la promiscuité de ces rassemblements plébéiens.
Sincèrement désireuse de collaborer à la réédification du bonheur de son amie, Tullia écoutait ses pondérations et objecta délicatement :
Écoute Lucinie - je sais que ton tempérament n'apprécie pas les réunions de cette nature, mais si tu veux, j'irai à ta place comme j'y suis allée pour moi... À ces assemblées, préside un homme saint qui se nomme Polycarpe. Sa parole nous parle du nouveau dieu avec une foi si pure et une sincérité si grande qu'aucun cœur ne résiste à la beauté spirituelle de ses affirmations... Ses expressions ravissent notre âme et nous portent au royaume du bonheur éternel où Jésus nazaréen doit être face à tous nos dieux, à nous attendre au-delà de cette vie avec les bénédictions d'un bonheur éternel...
Je ne suis pas chrétienne, comme tu le sais, mais j'ai bénéficié de ces prières et, à. l'inverse de ce que l'on affirme, je suis témoin que les adeptes de Jésus sont pacifiques et bons!...
L'épouse d'Helvidius accueillait ces suggestions pleines d'affection avec beaucoup de sensibilité.
Et tu irais seule sans la protection d'un garde ? - a-t-elle demandé avec admiration.
Pourquoi cette question ? Les chrétiens sont victimes de mesures vexatoires de la part des autorités gouvernementales. Or, il s'agit de ton bonheur personnel, je vais donc les voir en toute confiance.
Tu as une si grande foi en une telle providence ?!... - demanda Lucinie avec intérêt et reconnaissance.
Une totale confiance.
Et faisant un geste expressif, comme si elle se souvenait d'un nouvel argument, elle
ajouta :
Écoute, ma chère : depuis que tu m'as parlé des prédilections de Célia pour cette doctrine, malgré notre secret familial sur le sujet, pourquoi ne me donnes-tu pas le plaisir de ta compagnie ? Ces réunions ont lieu dans les vieilles catacombes de la voie Nomentane, dans un endroit distant. Je suis sûre du succès de ces prières et il suffira d'une seule fois pour que la paix retrouve le chemin de ton foyer et de ton cœur.
Face à la douce perspective du bonheur domestique retrouvé, Alba Lucinie se sentait réconfortée par les promesses de son amie dont la foi était profonde et contagieuse, et ajouta :
Je vais y réfléchir et nous verrons. Mais, si tu as besoin d'une compagnie, c'est à moi d'y aller.
En se quittant, elles se sont affectueusement embrassées, alors que la longue ombre d'Hatéria s'éloignait rapidement d'un grand rideau oriental, après avoir entendu la singulière conversation.
Dans une société comme celle-là où, depuis toujours et en vertu des influences étrusques, toutes les classes faisaient appel à l'invisible et au surnaturel dans les circonstances les plus diverses de la vie quotidienne, Alba Lucinie se mit à réfléchir à la précieuse occasion suggérée par son amie d'enfance.
Bien que trouvant un certain réconfort à cette idée, elle passa le reste de la journée entre l'indécision et la souffrance morale.
Elle eut envie d'aller à Tibur pour arracher son mari de la dangereuse situation où il se trouvait, mais la raison prit le dessus sur toutes ses inquiétudes angoissantes.
Dans la nuit, alors que tout le monde dormait, elle s'est dirigée vers le sanctuaire domestique où elle s'est prosternée devant l'autel de Junon, et entre les larmes, elle a demandé à la déesse de soutenir son esprit sur le difficile chemin du devoir et de la vertu.
SUR LA VOIE NOMENTANE
Une semaine après les événements que nous venons de relater, nous allons trouver Claudia Sabine assise dans la soirée à la terrasse de sa maison à Rome, à parler tranquillement avec Hatéria dans la plus grande intimité.
Alors, Hatéria - disait-elle tout bas après la longue exposition de sa complice -, mon mari semble ainsi vouloir faciliter la réalisation de mes projets. À l'exception de ses armes jamais je ne l'aurais cru capable d'éprouver de la passion pour qui que ce soit.
Cependant, Madame, chacun de ses gestes, chacun de ses mots, infèrent parfaitement les sentiments qu'il porte en son âme.
Très bien - s'exclama l'ancienne plébéienne comme si le sujet l'ennuyait, - mon mari n'est pas l'homme qui m'intéresse. Tes nouvelles d'aujourd'hui signifient que le hasard coopère aussi en ma faveur.
En outre - a rappelé Hatéria soulignant le caractère secret de ces révélations -, Lucinie et Tullia ont décidé de demander la bénédiction d'une réunion chrétienne afin qu'Helvidius Lucius revienne immédiatement de Tibur et réintègre l'harmonie domestique.
Claudia laissa échapper un rire nerveux et l'interrogea avidement :
Ah, oui ? Et comment l'as-tu su ?...
Il y a une semaine, elles ont échangé des confidences et hier, dans la soirée, elles ont monté leur plan, bien que la patronne se sente très abattue, je pense qu'elles vont le mettre à exécution dans les prochains jours.
Tu dois être vigilante et les accompagner sans qu'elles s'en rendent compte, afin de rester informée des événements.
Et, esquissant un geste de malice, elle trancha :
Ces dames méconnaîtraient-elles, par hasard, les décrets impériaux qui visent à l'élimination du christianisme ? Quelle marque d'indifférence en regard des lois ?... Enfin, d'une manière ou d'une autre, nous ferons aussi en sorte d'attirer l'attention des autorités sur ce nouveau noyau doctrinaire. Après cet entretien, j'en parlerai à Bibulus Quint.
Hatéria et Claudia ont poursuivi leur discussion pendant quelque temps encore, examinant les détails de leurs infâmes projets criminels, les adaptant à la situation présente.
Le lendemain matin, une modeste litière sortait du palais du préfet, conduisant quelqu'un qui s'absentait de la maison dans la plus grande discrétion.
C'était Claudia Sabine, vêtue très simplement, elle partait pour Suburra.
Après un long parcours, elle donna l'ordre à ses esclaves de confiance de l'attendre dans un endroit précis et s'engouffra, seule, dans des ruelles désertes et pauvres.
Atteignant un bloc de maisons humbles et minuscules, elle s'est brusquement arrêtée comme si elle désirait s'assurer du lieu, elle aperçut à une courte distance une maison verte très caractéristique qui se différenciait de toutes les autres.
La femme de Lolius Urbicus esquissa un sourire de contentement et pressant le pas, elle frappa à une porte avec un visible intérêt.
Quelques minutes plus tard, une petite femme très vieille, les cheveux ébouriffés portant de gros bourrelés qui lui ridaient le visage, est venue lui répondre avec une expression de curiosité, les yeux minuscules et gonflés.
Tout en observant sa visiteuse qui exhibait une toge simple mais riche, un filet doré retenant sa chevelure gracieuse et abondante, la vieille femme a souri satisfaite, pressentant la situation financière attrayante de cette cliente qui avait besoin de ses services.