C'est bien ici - a demandé Claudia avec une fausse modestie - qu'habité Plotine, ancienne pythie de Cumes ?
Oui, Madame, c'est moi-même pour vous servir. Entrez. Ma hutte s'honore de votre
visite.
L'épouse du préfet accueillit volontiers cette réception flatteuse et affectée.
J'ai besoin de votre coopération - dit la visiteuse tout en pénétrant avec désinvolture à l'intérieur -, je viens vous voir sur les recommandations de l'une de mes amies de Tibur.
Je vous en suis très reconnaissante, j'espère répondre à votre confiance.
On m'a dit que je n'aurai pas besoin d'exposer l'objet de ma visite. Est-ce bien
cela?...
Parfaitement - a acquiescé Plotine de sa voix énigmatique -, mes pouvoirs occultes dispensent toute explication de votre part.
S'asseyant sur un vieux divan, Sabine a remarqué que la sorcière était allée chercher un tripode qu'elle plaça près d'elle et de ses nombreuses amulettes que la douce lueur d'une petite torche, allumée pour répondre aux besoins du moment, éclairait faiblement. Ensuite, après avoir pris une attitude contemplative et reposée, Plotine a laissé tomber sa tête entre ses mains, exhibant une pâleur cadavérique, comme si sa mystérieuse voyance était sur le point de découvrir les plus sinistres mirages du monde invisible.
Claudia Sabine suivait ses moindres gestes avec un singulier intérêt, entre la crainte et la surprise de l'inconnu, alors que bientôt, la physionomie de l'intermédiaire du monde et des forces du plan invisible se normalisait, les contractions nerveuses de son visage s'atténuaient et les expressions d'une profonde fatigue qui échappaient de ses lèvres enflées, disparaissaient.
Le visage calme et curieux, comme si son âme revenait des mystérieux parages aux confins de grandes révélations, elle prit les mains distinguées de Claudia, s'exclamant sur un ton discret :
Les voix m'ont dit que vous aimez un homme, prisonnier d'une autre femme par les liens les plus sacrés de cette vie. Pourquoi ne pas éviter quand il est encore temps une tempête d'amertumes qui retombera, plus tard, sur votre propre destinée ? Vous êtes venue jusqu'ici en quête d'un conseil qui guidera vos prétentions, mais il vaudrait mieux abandonner tous les projets que vous avez à l'esprit...
Claudia Sabine l'écoutait, effrayée, mais réagit avec véhémence :
Plotine, je connais le caractère supérieur de ta science et je viens faire appel à tes connaissances avec une confiance absolue ! Si ta vision peut entrevoir le passé, cherche à réparer au présent l'unique préoccupation de ma vie... Aide-moi ! Je récompenserai royalement tes services !
La consultante a ouvert une bourse pleine, laissant tomber une grande quantité de pièces sur le tripode comme si elle versait une avalanche de sesterces, alors que la vieille sorcière ouvrait grands ses yeux, prise de cupidité et pleine d'ambition face à ses bas instincts.
Madame - dit-elle désireuse d'obtenir la recette d'une telle manne financière -, je vous ai déjà donné le premier conseil qui est celui de la sagesse qui m'assiste ; mais je suis aussi un être humain et je veux satisfaire votre générosité. Je connais les projets qui vous animent et je chercherai à vous assister, afin que vous puissiez les mener à terme !...Je dois vous dire, néanmoins, que votre rivale est assistée par une figure angélique, bien que je ne sois en mesure de dire si cette créature vit sur terre ou au ciel. Grâce à mon pouvoir occulte, j'ai vu la femme que vous haïssez auréolée par l'intense aura d'un ange qui est auprès d'elle.
Et, comme si elle était engagée dans un duel de conscience face à l'enviable situation financière de sa consultante, elle ajouta :
Nous devons faire très attention, Madame... Cette créature céleste peut défendre votre rivale de toutes les souffrances étrangères à sa destinée...
Mais comment cela peut-il être ?! - a demandé Claudia Sabine profondément impressionnée.
Votre rivale n'a-t-elle pas d'enfants et, parmi eux, n'en est-il pas un au cœur pur et miséricordieux ?
Si - s'exclama l'interpellée quelque peu contrariée -, bien que ne sachant pas si l'unes de ses filles se trouvait dans une telle situation. Toutefois, je ne suis pas là pour traiter de cela, mais de mon propre intérêt passionnel. Pourquoi me parles-tu, donc, de cette défense angélique incompréhensible à mes yeux ?
Madame, pour vous aider de toutes mes forces, il me faudra de l'argent pour répondre aux besoins les plus pressants, mais je dois vous prévenir que nous courrons le risque de voir nos efforts annihilés parce qu'un ange de Dieu peut entraver les coups du mal, puisque la souffrance telle que nous l'entendons n'existe pas pour leurs cœurs purifiés. Alors que l'inquiétude et la douleur peuvent entraîner les âmes vulgaires dans le tourbillon des passions et des souffrances du monde, l'Esprit qui s'est racheté a réalisé en lui la construction de la foi, qui le lie à Dieu Tout-puissant. Pour ces cœurs immaculés, Madame, la terre ne peut engendrer le tourment ou le désespoir !
Claudia écoutait ses pondérations, éminemment impressionnée, mais elle fit observer avec son esprit déterminé :
Plotine, je préfère ne pas croire en cette soi-disant défense et accepter la coopération de tes pouvoirs occultes, confiant complètement en la réussite de mes aspirations. Ne m'entraîne pas dans tes digressions philosophiques, car je veux vivre ma propre réalité. Dis-moi ! Que suggères-tu pour mon bonheur ?
Face à votre décision, nous devons faire appel aux moyens les plus concrets.
Crois-tu que nous devrions étudier la possibilité d'éliminer la femme que je haïe ?
Dans votre situation et dans votre cas, vous ne devriez pas penser à détruire son corps mais plutôt à flageller son âme, sachant que l'unique mort qui puisse être appliquée à un ennemi est celle qui s'impose à une créature hors de la tombe et en pleine vie.
Tu as raison - a murmuré Sabine intéressée. - Tes arguments sont plus intelligents et plus pratiques. Quels sont tes conseils en ma faveur ?
Plotine marqua une longue pause comme si elle faisait une nouvelle consultation à l'oracle et devant la lumière de la minuscule torche étincelante, elle ajouta :
Madame, avez-vous déjà eu l'occasion d'organiser le départ provisoire de l'homme bien-aimé pour Tibur... Je dois vous informer que l'Empereur Aelius Hadrien, avant de se retirer pour ses palais en construction dans la ville en question où il attendra la fin de ses jours, devrait faire un dernier voyage en provinces, conformément à sa vocation bien connue... Vous serez obligée d'accompagner sa suite, ceci serait donc l'occasion de voir l'homme qui vous est cher partager ce voyage.
Ah oui ? - demanda Claudia visiblement enchantée. - Et que me conseilles-tu?
Plotine s'est alors penchée, collant ses lèvres à son oreille, lui suggérant un plan terrible et criminel que la consultante accueillit avec un sourire significatif.
Elles ont encore parlé pendant un long moment comme si leurs esprits étaient en parfaite communion d'idées et de principes, ayant pour autant les mêmes objectifs. On notera qu'en se quittant, après lui avoir donné tout l'argent qu'elle avait apporté, Claudia prit bien note des besoins de sa nouvelle complice lui promettant d'agir en fonction.
Quelques heures plus tard, la modeste litière retournait au palais de Lolius Urbicus, par la porte du fond.
Deux jours après, nous allons retrouver chez Helvidius Lucius, Alba Lucinie et son amie fidèle à discuter très discrètement dans l'une des pièces les plus isolées de la maison.
Tullia Cevina paraissait être en très grande forme physique malgré l'inquiétude qu'exprimait son regard, ce qui n'était pas le cas de la femme d'Helvidius qui, presque allongée dans son lit, semblait prise d'un abattement profond.
Lucinie, ma chère - s'exclama Tullia affectueusement -, je sais déjà que la réunion aura lieu cette nuit. Je suis à ta disposition pour que nous y allions sans crainte. Nous pourrons sortir en début de soirée.