Impossible - a répliqué la pauvre femme visiblement malade qui ajouta sur un ton d'une douloureuse mélancolie -, je me sens profondément fatiguée et accablée !... Et pourtant, j'ai vraiment décidé de faire appel à ces prières !... Quelque chose de surnaturel doit me rende ma paix intérieure. Je ne peux continuer dans cette angoisse morale qui annihile toutes mes forces.
Des larmes arrières coupèrent ses propos attristés.
J'irai de toute manière - a dit Tullia en l'étreignant -, je suis sûre que le nouveau dieu te secourra dans la pénible incertitude où tu te trouves !...
Tout en observant son dévouement tendre et fidèle, Alba Lucinie l'avertit :
Ma chère, je ne peux me faire à l'idée que tu y ailles seule. Je demanderai à Célia de t'accompagner.
Tullia esquissa un sourire de satisfaction pendant que son amie demanda à une jeune esclave d'appeler sa fille.
Quelques instants plus tard, la jeune fille pleine de grâce apparaissait.
Célia - lui dit sa mère, émue et triste -, pourrais-tu aller ce soir en compagnie de Tullia assister à une réunion chrétienne afin de faire une prière pour la tranquillité de ta mère?...
La jeune fille eut un geste de surprise et un large sourire de satisfaction s'est dessiné sur ses lèvres.
Que ne ferais-je pas pour vous, mère ? Et elle l'a embrassée.
Alba Lucinie ressentit un réconfort immense à cette manifestation de tendresse et
ajouta :
Ma fille, je me sens épuisée et malade, j'ai donc décidé de faire appel à Jésus de Nazaré par tes prières. Tu sais bien que nous ne devons en parler à personne, tu comprends, n'est-ce-pas ?
Célia fit un geste expressif comme si elle se souvenait de ses propres peines et dit :
Oui, mère. Soyez tranquille. Peu importe où ce sera, j'irai avec Tullia faire les prières nécessaires ! Je supplierai Jésus de te rendre heureuse et j'espère que son infinie bonté versera dans ton cœur le doux baume de son amour qui nous remplit de vie et de joie. Alors, tu sentiras que de nouvelles énergies te rendront heureuse...
Surprise de ses connaissances, Tullia Cevina écoutait attentivement ces propos. Tout en étreignant sa fille tendrement, Lucinie lui révéla bientôt :
Célia a intimement connu en Judée la question du christianisme. Mon enfant, bien que très jeune, a déjà beaucoup souffert...
Mais Célia, qui perçut à ces mots que sa mère allait entrer dans des détails concernant sa pénible histoire d'amour, s'exclama avec tendresse :
-Voyons, mère, de quoi pourrais-je souffrir si je garde toujours votre affection ?
Et coupant court au sujet concernant son cas personnel, elle demanda :
À quelle heure devrons-nous sortir ?
En début de soirée - l'informa Tullia -, car nous avons du chemin à faire, la réunion a lieu dans un endroit après la porte Nomentane.
Je serai prête à temps.
Toutes trois se sont mises d'accord sur les préparatifs nécessaires et, à la tombée de la nuit, vêtues de modestes toges, Tullia et Célia ont pris une litière qui leur évita la fatigue d'une grande partie du chemin pour traverser les quartiers les plus fréquentés de la ville.
Elles descendirent ensemble à la porte Viminal et une fois qu'elles eurent dispensé les porteurs, elles ont entrepris leur marche courageusement.
La nuit déployait son éventail d'ombres tout le long de la plaine. Il faisait froid, mais les deux amies emmitouflées dans leur cape en laine cachaient leur tête dans la partie la plus épaisse et la plus sombre.
Il faisait nuit noire quand elles ont atteint les ruines de l'ancienne muraille qui fortifiait le site en d'autres temps, mais elles avançaient d'un pas résolu tout le long des larges routes...
Une fois la porte Momentané franchie, elles se sont trouvées face aux collines toutes proches sur lesquelles des cimetières déserts et tristes étaient alignés que le clair de lune arrosait de ses tons pâles.
Au fur et à mesure qu'elles approchaient du lieu de culte, elles observaient un nombre chaque fois plus grand de pèlerins qui s'aventuraient sur les mêmes sentiers à des uns identiques. C'étaient des ombres couvertes de longues tuniques foncées, qui passaient à leurs côtés, le pas pressé ou lent, certains silencieux, d'autres discutaient presque imperceptiblement.
Beaucoup tenaient de minuscules lanternes aidant leurs compagnons à voir là où la faible clarté de l'astre nocturne ne réussissait pas à dissiper les ombres épaisses.
Les deux patriciennes, habillées avec une extrême simplicité et portant de lourds manteaux, ne pouvaient être reconnues par les compagnons qui allaient dans la même direction. Ils les considéraient chrétiennes comme eux, tous unis dans leur foi et dans le même idéalisme.
Devant les parois boueuses qui entouraient de grands monuments en ruine, Tullia s'est assurée qu'il s'agissait bien du lieu qui donnait accès à l'enceinte, faisant un signe de croix caractéristique à deux chrétiens qui, sous le porche, recevaient le mot de passe de tous les prosélytes, mot de passe qui était ce signe tracé avec la main ouverte d'une façon toute spéciale mais très facile à imiter. Elles sont alors entrées à l'intérieur de la nécropole sans la moindre difficulté.
Une fois dans l'enceinte, la foule était installée sur des bancs improvisés et on pouvait noter qu'en général, ils gardaient tous leur capuche sur la tête dissimulant leur visage, quelques-uns craignant le froid intense de la nuit, d'autres redoutant les loups de la trahison qui pouvaient se trouver là cachés sous le masque des moutons.
À la clarté lunaire qui baignait l'atmosphère venait s'ajouter la lumière des torches et des lanternes qui se trouvaient principalement autour d'un tas de ruines funèbres d'où l'apôtre de ce groupe de partisans du Christ devait parler.
Ici et là, quelqu'un balbutiait une prière, tout bas, comme s'il parlait à l'Agneau du Ciel du plus profond de son cœur ; mais du centre de la masse s'élevaient des hymnes pleins d'une exaltation religieuse sublime. C'étaient des cantiques d'espoir, marqués par un singulier découragement du monde, qui extériorisaient le rêve chrétien d'un royaume merveilleux au- delà des nuages. Dans chaque vers et dans chaque son émis conjointement prédominaient les notes d'une pénible tristesse, de ceux qui avaient abandonné toutes les illusions et les fantaisies terrestres, se livrant à la résignation de tous les plaisirs, de tous les biens de la vie, pour attendre les récompenses lumineuses de Jésus dans les gloires célestes...
Sur des bancs improvisés en bois brut ou des pierres oubliées là, des centaines de personnes étaient installées concentrées en un recueillement absolu.
Un silence profond régnait parmi eux quand une estrade usée fut transportée sur les lieux où presque toutes les lumières étaient concentrées.
Célia et Tullia prirent place, là où cela leur sembla le plus commode. Peu après un nouveau cantique s'élevait à l'infini en des vibrations d'une beauté indéfinissable... C'était un hymne de remerciements au Seigneur pour sa miséricorde inépuisable ; chaque strophe parlait des exemples et des martyres de Jésus avec des sentiments teintés de la plus haute inspiration.
Quelle ne fut pas l'admiration de Tullia Cevina quand elle vit sa compagne élever sa voix cristalline accompagnant aussi le chant des chrétiens comme si elle l'avait su par cœur ! La femme de Maximin Cunctator ne pouvait dissimuler son émotion en regardant Célia chanter tel un oiseau exilé du paradis !... Ses yeux calmes étaient tournés vers le firmament qui semblait fixer les limites du pays de son bonheur entre les étoiles qui brillaient dans le ciel comme des sourires caressant la nuit. Les vers qui s'échappaient de ses lèvres avaient une telle richesse mélodique, inspirés par cette musique spéciale, que son amie en était émue jusqu'aux larmes, se sentant transportée dans une contrée divine...