Ils étaient heureux et joyeux de se retrouver dans la même foi, éprouvant la satisfaction d'une mutuelle communion, quand une surprise encore plus grande vint les bouleverser.
À l'aube à peine naissante alors que la majorité des compagnons se mettait en route sur le chemin du retour en ville, ils virent surgir des différents groupes un jeune homme fort et d'allure sympathique, qui se dirigeait vers la tribune avec dans les yeux un regard fulgurant plein d'anxiété et de joie. Les bras grands ouverts, il s'est approché de Nestor et de Célia, quand l'affranchi et la jeune patricienne en même temps s'exclamèrent d'une seule voix, pris d'émotion et d'une profonde joie :
-Cirus !... Cirus !...
Mon père ! Célia !
Et le jeune homme les a presque réunis dans une même étreinte d'amour et de bonheur.
Tullia Cevina regardait cette scène émouvante, stupéfaite. Alba Lucinie lui avait déjà parlé du drame intime de sa fille et la femme de Maximin avait du mal à admettre les circonstances qui avaient conduit la jeune fille à cette rencontre aux conséquences imprévisibles.
L'absence de Polycarpe qui l'empêchait de demander une prière pour le bonheur domestique de son amie conformément à sa foi ; le fait d'avoir été aperçue avec Nestor quand elle aurait préféré garder le secret de sa présence en ces lieux et la rencontre inattendue de Cirus, tous ces événements la contrariaient beaucoup. Mais Célia, rayonnante, ne pouvant traduire sa joie à l'idée que Nestor était le père de son fiancé spirituel, lui a présenté le jeune homme que la patricienne fut obligée de saluer poliment, en vertu des circonstances.
Les yeux remplis de larmes, l'ex-captif étreignait son fils et envoyait à Jésus sa plus profonde reconnaissance, manifestant sa réelle surprise en apprenant que son fils aussi avait été affranchi par HeMdius Lucius augmentant ainsi sa gratitude pour ses libérateurs.
Et pendant que tout le monde se retirait, le groupe parlait avec un intérêt grandissant.
Répondant à une question de Célia, le jeune homme expliqua qu'au port de Césarée, il avait été livré au commandant Vettius Quint qui était un ami personnel d'Helvidius et qui avait insisté pour lui laisser sa liberté, le conduisant sur les côtes de Campanie, avec beaucoup de gentillesse. De là, un bateau l'avait transporté jusqu'à Ostie parmi le personnel de l'équipage et il décida de rester à Rome, dans l'espoir d'obtenir des nouvelles de son père ou de celle qui remplissait son cœur de souvenirs affectueux et éternels.
Célia souriait, contente, se sentant, dans ce cimetière solitaire et triste, la plus heureuse des créatures.
Mais le clair de lune avait déjà disparu. À peine quelques étoiles sous la voûte obscure du firmament brillaient de scintillements plus intenses, préludant la clarté de l'aube.
Tullia Cevina s'est alors souvenue qu'il valait mieux qu'elles repartent le plus vite possible.
Nestor ressentait un immense désir d'entendre son fils lui raconter les événements encourus dans le passé et d'en découvrir les moindres détails depuis leur séparation si pénible et si longue, mais remarquant son intimité avec la jeune patricienne, il s'abstint de tous commentaires, restant calmement à attendre, car il devinait la romance amoureuse de ces deux créatures à peine sorties de l'adolescence. L'ex-esclave gardait une attitude réservée et, pendant que Tullia Cevina se montrait inquiète, les deux jeunes gens parlaient en chemin de leurs souvenirs ou de leurs espoirs en Jésus, à la douce clarté des étoiles qui palissait dans le firmament.
Se mêlant aux autres sur le chemin du retour, ils marchaient maintenant avec les paysans insouciants et joyeux qui se dirigeaient vers la ville aux premières heures de l'aube, emportant les produits de leur champ qu'ils allaient vendre à la foire. Cependant, dans le groupe de nos personnages, personne ne remarqua que deux ombres les suivaient de près avec beaucoup d'attention, bien que méconnaissables en raison des capuches qui couvraient leur visage.
Nestor et Cirus accompagnèrent les deux patriciennes à proximité de la résidence d'Helvidius Lucius où Tullia Cevina est allée se reposer en fonction des circonstances et conformément au plan préétabli, alors que le père et son fils repartaient par le même chemin, jusqu'à ce qu'ils rejoignent aux alentours de la porte Salarienne l'appartement de Nestor où ils se sont reposés.
C'est alors que Nestor, n'ayant pas sommeil, vu les émotions vécues pendant la nuit, a écouté le récit de son fils jusqu'au lever du soleil, prenant conscience qu'une nouvelle phase de sacrifices lui serait imposée par les circonstances qui étaient en jeu.
Le soleil répandait déjà ses rayons d'or de toute part quand le libéré d'Helvidius, quelque peu fatigué, malgré la joie qu'il ressentait à revoir son cher fils, lui dit en l'étreignant avec tendresse :
- Mon fils, je remercie le Seigneur pour la joie de te retrouver libre, saint et sauf, la pensée illuminée par nos profonds espoirs en Jésus-Christ, mais je crains pour toi, désormais, comme un père tendre et aimant.
Je crois que, malgré la foi que tu me témoignes, tu n'as pas su dominer ce cœur jeune et idéaliste au moment opportun, mais puisque tu comprends la vie telle que tu l'entends maintenant, tu es apte à reconnaître l'inutilité de toute fantaisie concernant les bonheurs transitoires en ce monde !...
D'autre part, je loue ta conduite honnête et je me réjouis de tes efforts dans la sanctification de ton affection.
Je suis d'avis que maintenant nous serons appelés aux plus pénibles témoignages de courage moral puisque la famille de Célia ne pourrait jamais tolérer quelque prétention venant de toi...
Mais, repose-toi mon fils ! Tu as besoin d'énergie et de repos ! Quant à moi, je ne pourrai dormir maintenant... J'en profiterai pour aller au Vélabre où je suivrai tes informations afin de rapporter les objets qui t'appartiennent et, en même temps, j'informerai le censeur Fabien Corneille que je ne pourrai travailler aujourd'hui.
Et soulignant ses paroles avec un sourire de satisfaction, il conclut :
Désormais, nous serons toujours ensemble pour effectuer la même tâche et nous resterons ici tant que Jésus nous le permettra.
En guise de réponse, Cirus baisa ses mains avec émotion.
Avant de se diriger vers le Vélabre qui était l'un des quartiers les plus pauvres et les plus populaires de Rome, l'affranchi est allé à la préfecture des prétoriens, pour parler au licteur Domitien Fulvius, une personne de confiance parmi ses chefs, pour lui demander d'informer le censeur de son empêchement ce jour-là et s'occupa le plus rapidement possible de transporter les affaires de son fils chez lui.
Il sentait son cœur inquiet et affligé en raison des événements, néanmoins, il se reposait sur sa foi avant tout, suppliant Jésus de lui accorder la juste inspiration pour résoudre tous les problèmes.
Quant à Tullia Cevina, un peu déçue, elle informa son amie dans la matinée des singuliers faits qui s'étaient produits. Alba Lucinie l'écouta, assez surprise, sentant son cœur s'emplir de sombres présomptions. Elle fit appeler sa fille dans son cabinet de repos, mais remarquant sa sérénité et recevant sa promesse de bien respecter les recommandations de son père, elle chercha à se calmer afin de minimiser ses propres peines.
En arrivant dans son cabinet de bon matin, Fabien Corneille reçut la visite de Pausanias qui, à Rome, encadrait le personnel des serviteurs de la maison de son gendre et qui avait demandé à lui parler avec insistance, après s'être introduit avec respect :
Illustre Censeur, obéissant aux desseins sacrés des dieux, je viens ici vous informer que des événements graves se sont produits cette nuit.
Mais, comment cela de graves événements ? - a demandé le beau-père d'Helvidius, visiblement impressionné.
Pausanias lui a alors raconté tout ce qui s'était passé. Vu son zèle assidu pour tout ce qui touchait au nom et à la position de son maître et tout en saturant ses affirmations d'expressions flatteuses ou exagérées pour mieux marquer son autorité et son prestige, il assura avoir suivi les deux dames.