Mais alors Nestor est chrétien ? - a interrogé le censeur, admiratif. - J'ai du mal à le
croire.
Seigneur, par la grâce de Jupiter, je vous affirme la vérité ! a répondu Pausanias prenant une attitude humble face au plus puissant.
Helvidius a agi avec précipitation - dit l'orgueilleux patricien comme s'il se parlait à lui-même - en accordant à un tel homme de si grandes responsabilités dans le cadre de nos activités ; néanmoins, je prendrai dès aujourd'hui toutes les dispositions que le cas exige et je te remercie de tes bons services.
Pausanias se retira, alors que Fabien Corneille qui n'ignorait pas non plus la romance de Cirus et de sa petite-fille, se prit de colère pour les deux ex-esclaves qui venaient perturber sa paix domestique.
Considérant l'absence de son gendre qui était toujours à Tibur, il prit toutes les mesures qu'il jugea indispensables, sans vaciller dans l'accomplissement de ses décisions sur le sujet.
Dans les premières heures de l'après-midi, obéissant aux ordres émanant de la justice impériale, un détachement de prétoriens arrivait à l'habitation collective où étaient logés le père et son fils.
Lorsqu'ils furent appelés, les deux affranchis ont compris la gravité de la situation en déduisant que quelqu'un les avait dénoncés et trahis. Ils se sont étreints dans une prière mutuelle comme s'ils désiraient renouveler leurs vœux de confiance et de foi en la providence divine, se promettant l'un à l'autre le maximum de courage et de résignation face aux luttes angoissantes qu'ils pouvaient entrevoir.
En présence des soldats, Nestor a demandé avec sérénité au licteur qui les commandait:
Que me veux-tu, Pomponius ?
Nestor - rétorqua le chef du détachement qui le connaissait personnellement et qui était son ami -, je viens de la part du censeur Fabien Corneille qui a fait ordonner que l'on t'emprisonne, ainsi que ton fils, nous recommandant le plus grand soin pour que vous ne vous enfuyiez pas.
Puis déroulant un parchemin, il leur a montré l'ordre écrit de sa main, ce à quoi l'affranchi a déclaré :
Aurais-tu supposé par hasard que nous te résisterions ? Garde cet ordre et ne t'inquiète pas de ton épée, car la meilleure arme qui soit, n'est pas celle de celui qui commande, mais de celui qui obéit.
Une fois cela dit, les prisonniers se sont postés devant les soldats et partirent en direction de la préfecture où le censeur voulut à tout prix interroger en privé celui qui l'avait assisté dans sa charge.
Séparé de Cirus qui fut placé dans une antichambre sous la surveillance de prétoriens, Nestor fut conduit dans une grande pièce où quelques minutes plus tard, arrivait le vieux Romain, exprimant un regard de colère offensé dans sa dignité.
Nestor - s'exclama-t-il rudement -, j'ai été informé des graves événements encourus cette nuit. Je ne peux comprendre la situation sans t'entendre de vive voix et ne pas utiliser négativement les dénonciations qui m'ont été rapportées.
Interrogez-moi Seigneur - lui dit l'ex-captif avec une respectueuse tranquillité dans la voix -, et je vous répondrai avec la plus grande sincérité.
Tu es chrétien ? - demanda le censeur avec un profond intérêt.
Oui, par la grâce de Dieu.
Quelle absurdité ! - a répondu Fabien Corneille scandalisé. - Et pourquoi nous as-tu trompés de cette manière ? Tu considères qu'il est raisonnable de se moquer de la considération que nous t'avons dispensée ? C'est ainsi que tu rends l'estime et la confiance que nous t'avons témoignées ?
Seigneur - réagit l'ex-captif peiné -, j'ai toujours eu une attitude de grand respect face aux positions et aux croyances d'autrui ; quant au fait de vous avoir trompé, je demande la permission que vous expliquiez davantage vos affirmations, puisque personne, jusqu'à ce jour et dans cette maison, n'a exigé de déclaration concernant mes convictions religieuses.
Fabien Corneille perçut la sérénité intérieure qui animait l'homme qu'il avait devant lui et se dit qu'il était inutile de faire appel à telle ou telle circonstance pour qu'il renie ses convictions afin de trouver une solution à la situation délicate qui surgissait entre eux, il le regarda alors de haut en bas fièrement et scanda avec énergie :
Je considère que tes affirmations sont des affronts à mon autorité, d'autant que je perçois par la même occasion toute ton ingratitude pour ceux qui t'ont tendu leur main bienfaitrice et amicale.
Mais Seigneur, serait-ce une insulte, par hasard, que de dire la vérité ? a demandé Nestor désireux de se faire comprendre.
Et sais-tu la punition qui t'attend ? - a répondu le vieux censeur avec mauvaise humeur.
Je ne peux craindre les punitions du corps en ayant la conscience tranquille et éclairée.
C'en est trop ! Tes propos seront toujours ceux d'un esclave intraitable et odieux !...
Cela suffit ! J'informerai Helvidius de ton détestable comportement.
Il appela Pomponius Gratus pour entendre ses déclarations et tandis que Nestor était obligé de déclarer sa condition d'adepte et de propagandiste du christianisme, réaffirmant être le père de Cirus et fournissant d'autres informations, de sorte à satisfaire les autorités en exposant ses antécédents, le fier patricien s'est retiré de la pièce foulant le sol lourdement.
Nestor - s'exclama Pomponius Gratus, prenant des airs d'importance en sa capacité d'enquêteur dans le cas présent -, tu n'ignores pas que tes affirmations forgeront les bases d'un procès dont le résultat sera ta propre condamnation. Tu sais que l'Empereur est juste et magnanime pour tous ceux qui se repentissent à temps d'une attitude déraisonnée et malheureuse comme la tienne. Pourquoi ne renonces-tu pas, maintenant, à de telles sorcelleries ?
Nier ma foi chrétienne serait trahir ma propre conscience - répliqua l'affranchi calmement.
D'ailleurs, je n'ai rien fait qui puisse m'induire au repentir.
Mais tu n'étais pas un esclave ? Si tu viens d'une condition pénible et misérable, pourquoi ne pas transiger avec tes idées personnelles en signe de gratitude envers ceux qui t'ont donné l'indépendance ?
En captivité, je n'ai jamais cessé de cultiver la vérité comme étant la meilleure manière d'honorer mes maîtres ; mais même ainsi, j'ai toujours eu un autre joug, doux et léger qui est celui de Jésus. Et maintenant, je crois que le Divin Seigneur me convoque au témoignage de la foi!...
Tu creuses l'abîme de tes maux avec tes propres mains - lui dit le licteur avec indifférence.
Et avec beaucoup d'intérêt, appuyant ses paroles, il ajouta :
Maintenant, il est nécessaire que tu nous dises où se réunissent ces assemblées pour que les autorités poursuivent leur campagne et purgent la ville des éléments les plus dangereux.
Pomponius Gratus - répliqua Nestor hautement -, je ne peux répondre à cela car le véritable adepte de Jésus ne connaît pas la délation, ni ne fuit les responsabilités de sa foi en accusant ses frères.
Le licteur s'est alors irrité, répondant âprement :
Et tu ne crains pas les punitions qui te forceront à le faire en temps opportun ?
Aucunement. Appelés au témoignage de Jésus-Christ, nous ne pouvons craindre les usages mondains.
Pomponius esquissa alors un geste expressif comme s'il venait de se rappeler d'une nouvelle possibilité, et lui fit remarquer :
D'ailleurs, nous avons d'autres sources pour trouver ces stupides conspirateurs.
Nous entendrons, aujourd'hui encore et ici-même, ceux qui nous ont transmis les informations à ton sujet.
- Oui - a répliqué le libéré sans s'altérer -, ceux-là pourront mieux éclairer la justice de l'Empire.
Puis, un groupe de soldats armés est sorti de la préfecture escortant les deux accusés jusqu'à la prison Mamertine où ils ont été jetés dans l'un des cachots les plus humides.