Mais les nouvelles informations transmises par Pausanias ne suffirent pas au licteur Pomponius Gratus qui, avec l'autorisation du censeur Fabien Corneille, l'avait convoqué pour avancer dans ses recherches.
Ce même jour une ombre pénétrait dans la résidence de Lolius Urbicus, à la tombée de la nuit, pour faire une dénonciation identique.
C'était Hatéria, qui, indépendamment de Pausanias, était aussi allée aux catacombes, accomplissant ses odieuses activités, mettant en jeu son habileté et son astuce pour tenir
Claudia Sabine informée de tout ce qui se passait.
C'est ainsi qu'avant de retourner à Tibur, après une semaine de repos chez elle, l'ex- plébéienne a averti Bibulus Quint des rassemblements de chrétiens au-delà de la porte Nomentane, lui dépeignant les séditieux tableaux, de sorte à exacerber la crainte des conspirations qui caractérisait les administrateurs politiques de l'époque.
De nombreux détachements de prétoriens ont comparu au cimetière abandonné lors de la prochaine réunion.
Des centaines d'emprisonnements ont été effectués.
Les sombres geôles du Capitule et les prisons de l'Esquilin étaient pleines et le plus grave était que, parmi les prisonniers, figuraient des personnes de toutes les classes sociales.
Irrité, l'Empereur fit ordonner que l'on instaure des procès individuels afin de mesurer toutes les responsabilités respectives, désignant plusieurs dignitaires de la cour pour les besoins de l'enquête.
Aelius Hadrien n'a jamais procédé comme Néron qui ordonnait l'extermination systématique des chrétiens sans cogiter de la faute de chaque individu en conformité avec les dispositifs légaux, comme l'évolution juridique de l'État romain ; mais lui non plus n'a jamais pardonné les adeptes du Christ qui avaient le courage moral de ne pas trahir leur foi, face à son autorité ou à celle de ses préposés.
L'enquête a commencé terrible et funeste.
Des familles désespérées de douleur étaient jetées en prison implorant la miséricorde de leurs bourreaux.
Tous ceux qui abjuraient de leur croyance en Jésus devant l'image de Jupiter capitolin, lui jurant une éternelle fidélité, pouvaient retourner librement à leur foyer, retrouvant leur liberté et leur droit à la vie ; ceux qui ne se prosternaient pas devant l'idole romaine, se maintenant inébranlable dans leur foi chrétienne, pouvaient compter sur la torture, voire la mort.
Sur plus de trois cent créatures, seulement trente cinq réaffirmèrent leur foi en Jésus- Christ avec sincérité et une ferveur irréductible.
Pour ceux-là, les portes de la prison se sont refermées sans miséricorde et sans espoir. Parmi les condamnés, se trouvaient Nestor et son fils qui, fidèles à Jésus, se reposaient sur leurs idées miséricordieuses, convaincus que tout sacrifice pour leur cause, était une porte ouverte à la lumière et à la liberté.
UNE VISITE EN PRISON
La nouvelle concernant ces événements arriva bientôt à la résidence d'Helvidius Lucius, occasionnant les plus tristes inquiétudes et les plus angoissantes perspectives.
Malgré la foi qui fortifiait son cœur, la jeune Célia s'est sentie prise d'une profonde désolation et sa seule consolation était d'entendre son grand-père paternel, qui, à cette époque, lisait déjà avec intérêt les Évangiles et les Épîtres de Paul, abritant en son for intérieur la même foi qui illuminait déjà tant de héros et de martyrs.
Tous deux passaient des heures à échanger de tendres confidences assis à la terrasse de son palais sur la colline de l'Aventin, à observer le long cours d'eau clair du Tibre ou absorbés à contempler le ciel. Faisant appel à son expérience, le vénérable Cneius Lucius consolait sa petite-fille abattue. Ils citaient maintenant les mêmes textes évangéliques, manifestaient de concert des impressions analogues.
Quant à Alba Lucinie, après avoir entendu les réprobations les plus énergiques de la part de son vieux père concernant les dénonciations de Pausanias, elle se sentait grandement réconfortée depuis qu'elle avait la certitude que son mari reviendrait prochainement et définitivement au foyer, obéissant à des ordres inopinés du gouvernement impérial.
La pauvre femme attribuait cette joie aux prières de Tullia et de sa fille, remerciant le nouveau dieu au plus profond de son âme puisque le retour d'Helvidius était un baume pour son cœur tourmenté.
Et de fait, quelques jours plus tard, le tribun regagnait ses pénates avec un soupir de satisfaction et de soulagement, après avoir accompli toutes les obligations qui le retenaient sur le site de prédilection de César.
Informé des événements concernant Nestor et de son attitude, le patricien fut péniblement surpris, désireux qu'il était de tirer l'ex-captif de la situation délicate où il se trouvait ; mais dès qu'il sut que c'était aussi le père de Cirus qui avait ressurgi à Rome aggravant ses préoccupations morales, Helvidius Lucius fit un geste d'étonnement et d'incrédulité. Cependant, il écouta jusqu'au bout le récit de son beau-père, profondément contrarié par la conduite de sa femme qui avait permis que sa fille comparaisse à une réunion condamnable, à son avis.
Alba Lucinie, à son tour, sut respecter tous les reproches avec l'humilité nécessaire à l'harmonie domestique et, loin de le tourmenter davantage avec des lamentations, elle fit taire ses propres peines lui cachant l'attitude odieuse de Lolius Urbicus, ainsi que ses craintes concernant Claudia Sabine face aux confidences de Tullia qui avaient vivement blessé son cœur. La noble femme, dotée de capacités élevées de dévouement pour son foyer et de réflexion devant les problèmes de la vie en général, opéra de vrais miracles d'affection et de dévouement pour que son cher mari retrouve toute sa tranquillité.
Le lendemain à son retour, HeMdius Lucius prit toutes les mesures requises pour voir Nestor à la prison Mamertine.
L'apparition de Cirus dans la capitale de l'Empire était pour lui un fait invraisemblable. Il ne pouvait croire que l'affranchi qui avait toute sa confiance et dont le comportement avait su conquérir son affection, pouvait être le père d'un homme que son cœur détestait. Il voulait, ainsi, se certifier de la véracité des événements par lui-même. De plus, si les faits s'avéraient faux, il engagerait tout son prestige personnel auprès de l'Empereur, afin d'éviter le martyre et la mort du prisonnier.
La réalité, néanmoins, viendrait contrarier ce projet sans le moindre appel.
Une fois arrivé à la prison, il réussit à obtenir de Sixtus Plocius, l'officier qui veillait sur l'établissement, une autorisation inconditionnelle de sorte à s'entretenir avec le prisonnier comme il l'entendait.
Peu après, il arpentait les couloirs et descendait des escaliers souterrains, longeant des cellules immondes où la lumière de toute évidence perçait à peine et manquait terriblement, mais il ne tarda pas à trouver Nestor en compagnie de son fils. Tous deux étaient maigres, défigurés, au point que le patricien, fusse en raison de l'abattement physique du jeune homme ou de l'obscurité dans laquelle ils étaient, d'emblée n'a pas reconnu Cirus et en ces termes qui l'ont profondément ému, il s'est adressé au libéré :
Nestor, je connais les raisons pour lesquelles on t'a amené en prison et je n'ai pas hésité à venir jusqu'ici t'entendre personnellement, telle fut la surprise que le récit des faits exposés m'a causée !
Ces paroles furent prononcées sur un ton de sensibilité et de sympathie blessée que l'ex-esclave reçut comme une douce consolation à son cœur.
Maître - a-t-il répondu respectueusement - du plus profond de mon âme, je vous remercie de votre généreuse impulsion... Dans ces cachots gisent aussi des fous et des lépreux, et pourtant, vous n'avez pas hésité à apporter à votre misérable esclave votre parole d'exhortation et de réconfort !...