Petit à petit, les voix s'élevaient harmonieuses et argentines prononçant des strophes d'hosanna et d'espoir ! Des êtres spirituels, imperceptibles, s'agenouillaient auprès des condamnés et le doux écho des cithares de l'invisible arrivait à leurs oreilles...
Alors, quelques prétoriens qui montaient la garde, entendant leurs cantiques de foi, ont comparé la voix de ces cœurs angoissés à des hoquets de rossignols poignardés en plein clair de lune dans l'immensité de l'espace infini.
Pendant que les prisonniers attendaient le jour réservé au sacrifice, accompagnons nos personnages dans le déroulement de leur vie quotidienne.
Après une visite à Tibur, Aelius Hadrien voulant se certifier de la précieuse collaboration d'Helvidius Lucius dans ses extravagantes constructions, l'invita à lui rendre visite avec sa famille pour lui témoigner sa reconnaissance.
Le jour dit, à l'exception de Célia qui ne pouvait dissimuler son abattement, comparaissaient au banquet que l'Empereur leur offrait, le tribun et sa famille, accompagnés de Caius Fabrice et de Fabius Corneille.
Hadrien les reçut avec une amabilité extrême, évoquant lors de leurs échanges de l'après-midi les sujets les plus variés concernant la vie sociale et politique de l'Empire.
À un certain moment, après les dégustations habituelles, Hadrien s'est adressé à Helvidius Lucius en ces termes :
Mon ami, l'objectif principal à cette invitation est de te remercier de ta précieuse collaboration acquise à l'exécution de mes plans dans Tibur. Franchement, tes réalisations ont dépassé mes attentes les plus optimistes !
Merci, Auguste ! - a répondu le patricien ému et satisfait.
Et comme s'il voulait changer de sujet de conversation, l'Empereur lui demanda avec un vif intérêt :
Quand réaliseras-tu le mariage de ta fille ? Je prétends faire un long voyage en Grèce avant de me retirer à Tibur de manière définitive, mais je ne souhaiterais pas partir sans assister au bonheur des fiancés.
Désignant Caius qui ressentait la plus grande joie vu l'intérêt impérial porté à sa situation, Helvidius a répliqué :
Auguste, vous nous honorez beaucoup de votre généreuse attention. Le mariage de ma fille ne dépend que de son fiancé qui se suborne à l'expérience de la vie, avant de répondre à l'appel de l'amour.
Qu'en est-il, Caius ? - a demandé l'Empereur avec un large sourire. Qu'attends-tu alors ? Si Vénus n'a pas encore frappé fort aux portes de ton âme, tu ne peux entretenir avec des promesses le cœur qui t'attend au printemps de l'amour.
Vos propos, César - répondit l'interpellé en parfait auguste -, me réconfortent l'esprit comme les rayons du soleil ; cependant, devant remplacer Vénus par Junon dans mon sanctuaire domestique, j'attends l'occasion propice à ma future tranquillité.
Aelius Hadrien fit un geste expressif, fixant son regard énigmatique dans celui d'Helvidius Lucius, il ajouta :
L'occasion attendue doit être arrivée alors. La sagesse des anciens affirmait que la meilleure façon de parler à des parents est de faire le bien à leurs enfants, raison pour laquelle j'ai décidé de prendre soin de la dote de la jeune Helvidia en lui donnant une délicieuse propriété dans les environs de Capoue, au pied du Volturno où le fruit des vignes et des oliviers suffirait à entretenir le bonheur d'une famille pendant cent ans d'existence sans autres inquiétudes d'ordre matériel.
Un souffle de joie a animé tous les visages, se dessinant tout particulièrement sur ceux d'Helvidius Lucius et de sa femme qui se regardèrent heureux pris d'une sincère reconnaissance pour la générosité spontanée de l'Empereur à qui Fabius Corneille s'est adressé avec la plus respectueuse courtoisie, le remerciant au nom de tous de ce cadeau royal.
Caius Fabrice, ne pouvant contenir sa joie, a serré les mains de sa fiancée, s'exclamant:
Après les paroles de Fabius, nous souhaitons manifester notre reconnaissance à votre magnanimité, Auguste ! Votre pensée exprime la générosité et votre pouvoir sur le monde !... Et puisque la date du mariage dépend de moi, nous la marquerons pour le mois prochain, comme il vous plaira !... Notre unique désir est que vous nous honoriez de votre présence, puisqu'en raison de votre paternelle protection, nous sentons que les dieux nous bénissent et nous guident !...
- Oui - confirma Hadrien en réfléchissant -, le mois prochain, je prétends réaliser mon dernier voyage en Italie et en Grèce. J'ai promis à mes amis d'Athènes que je ne me retirerai pas à Tibur sans leur avoir fait une dernière visite ! Avant de m'absenter, je prétends commémorer l'inauguration des nouveaux édifices de la ville2 avec des fêtes publiques. Nous profiterons, alors, de cette occasion pour que ton bonheur s'accomplisse.
(2) Parmi les nombreuses constructions d'Hadrien réalisées pendant son règne,il y a le célèbre château de Saint-Ange, considéré comme étant des plus modernes pour l'époque. - Note d'Emmanuel.
Alba Lucinie qui avait les yeux larmoyants étreignait sa fille joyeusement et c'est ainsi que se termina le banquet dans une joie parfaite.
Le lendemain, l'Empereur prit toutes les mesures nécessaires pour la donation, et alors qu'Helvidius Lucius et sa famille se préparaient à cet événement familial, Caius Fabrice se dirigea vers l'ancienne « terre de Labour », afin de connaître la région où se trouvait sa future résidence.
Néanmoins, malgré les grandes joies, les graves préoccupations et les grandes douleurs persistaient.
Helvidius et sa femme ne pouvaient s'esquiver de la contrariété qui les martyrisait intimement en voyant Célia qui maigrissait malgré tous les efforts qu'elle même faisait, grâce aux puissantes énergies de sa foi pour ne pas affliger le cœur de ses parents.
Comparant sa fille à une fleur fanée et triste, la haine du tribun à l'encontre des idées chrétiennes ne faisait qu'augmenter, il se souvenait de Cirus avec d'autant plus d'aversion et de rancœur. Le pénible contraste dans la destinée de ses filles était pour lui un sujet de profondes méditations. Il s'intéressait à elles deux avec la même affection ; néanmoins, malgré ses bonnes intentions, la plus jeune semblait lointaine à sa dévotion paternelle. Elle n'appréciait pas la fréquentation des milieux en société, ni ne s'intégrait aisément au rythme domestique comme il l'aurait souhaité. Ses yeux n'avaient jamais manifesté d'intérêt pour les fantaisies de la jeunesse et, plongés dans des schismes constants, ils semblaient se fixer dans un ailleurs que son esprit paternel n'avait jamais pu définir exactement. À son avis, elle était victime d'une si grande fragilité, que son zèle de père attribuait à l'influence des principes chrétiens dont elle s'était imprégnée en contact avec les esclaves, là-bas en Palestine... Par bonheur Helvidia serait heureuse et cela, en quelque sorte, le consolait !... Quant à Célia, lui et sa femme plus tard l'emmèneraient en des terres étrangères où sa sensibilité maladive pourrait changer de manière salutaire.
Tandis que le tribun faisait tant d'efforts pour dissimuler de telles conjectures, les joies festives se multipliaient au sein du foyer.
Mais au fur et à mesure qu'augmentaient les espoirs et les joies familiales, Célia remarquait que ses souffrances morales dépassaient ses propres forces.
La nouvelle de la condamnation de Cirus comme conspirateur déchirait son cœur. D'ailleurs, il suffirait d'un seul mot venant de l'Empereur pour que son terrible supplice cesse. Ces perspectives angoissantes annihilaient tous ses espoirs. À ses côtés, le trousseau de sa chère sœur se couvrait de perles et de fleurs ! Elle ne lui enviait pas son bonheur, elle ne désirait que sauver la vie de l'élu de son cœur. Elle priait toujours, mais ses prières étaient contaminées par une détresse bien réelle sans la douce légèreté d'antan qui les faisait monter au ciel.