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Maintenant, les vibrations spirituelles étaient mêlées d'anxiétés amères et pénibles !... Elle désirait voir Cirus, entendre sa voix, savoir de sa bouche que son cœur continuait ferme et résigné face à la mort pour que son âme puise dans son courage, mais ne pouvait y penser. Ses parents ne l'approuveraient jamais. Aussi des réflexions éprouvantes envahissaient son esprit, l'affaiblissant.

En quelques jours, son organisme ne se tenait plus debout. C'est ainsi qu'avec tout le bon sens qui caractérisait ses initiatives, Alba Lucinie s'est dit qu'il pourrait lui être bénéfique de la faire transporter à l'Aventin où elle serait bien entourée auprès de son vieux grand-père et de Marcia qui l'adoraient.

Une fois l'idée acceptée, Cneius Lucius vint la chercher personnellement avec toute sa sollicitude paternelle.

Chez lui la jeune fille sortit de cet état fébrile qui la débilitait tant, mais son singulier abattement moral se jouait de tous les soins du vénérable ancien qui inventait mille manières de ramener la joie sur le visage de son adorable petite fille.

Un beau jour, mettant en jeu ses capacités psychologiques pleines de tendresse, il s'est approché de sa petite-fille, s'exclamant avec une profonde bonté :

Célia, ma chérie, il me peine de te voir ainsi abattue et malade, malgré tous les efforts prodigués par notre amour empressé.

Et comme il voyait des larmes briller au bord de ses yeux, il a poursuivi affectueux :

Moi aussi, ma fille, au fond de ma conscience, je suis aujourd'hui un adepte du christianisme avec toute la ferveur de mon esprit ! Je connais l'essence des Évangiles évoqués par les affectueuses suggestions de ton âme candide et généreuse !... Pour moi maintenant, les sacrifices faits à nos vieux dieux silencieux et froids ne servent plus à rien, car seules servent les offrandes de notre propre cœur à celui qui veille sur notre destinée du Haut de son trône ! Mais écoute mon enfant : ne sais-tu pas que Jésus ne veut pas la mort du pécheur ? Ne connais-tu pas cet enseignement plein de vie et de joie ?

Et comme s'il devinait les peines qui lacéraient ce cœur affectueux et croyant, il avait aussi les yeux larmoyants.

Sa petite-fille reçut ses paroles comme s'il s'agissait d'un doux élixir et répondit :

Oui, je comprends tout cela et je prie Jésus de m'accorder des forces pour trouver à travers votre exemple une raison à ma vie...

Cette réponse cependant fut à demi prononcée, une vague de larmes envahit ses grands yeux calmes comme si elle hésitait à confesser au vénérable vieil homme sa pénible et incessante préoccupation.

Tendrement, Cneius Lucius l'a étreinte alors qu'elle murmurait d'une voix suppliante :

Grand-père, je promets d'avoir la foi et de surmonter toutes mes souffrances, mais je désirerais voir Cirus avant sa mort.

Le respectable ancien comprit combien il lui serait difficile de satisfaire un tel désir mais il a répondu sans hésiter :

Tu le verras avec moi demain dans la matinée. J'en parlerai aujourd'hui même à tes

parents.

La jeune fille lui a lancé un profond regard d'allégresse où l'on pouvait lire la plus tendre de toutes les joies, mêlée d'amour et de gratitude.

Dans l'après-midi, une litière sortait de l'Aventin, conduisant le vénérable patricien chez son fils qui, aux côtés de son épouse, reçut sa demande avec le plus grand embarras qui transparaissait sur son visage.

Avec sa sensibilité de femme, Alba Lucinie comprit immédiatement que l'accession au désir de sa fille était juste, reconnaissant vouloir accepter cette requête alarmée.

Le tribun quant à lui y était réfractaire et s'il n'opposait pas un refus formel, c'était en raison de l'intercesseur qui était non seulement son père, mais aussi son maître et son meilleur ami.

Mais, mon père - réagit-il après une longue pause -, cette demande venant de votre bouche me surprend beaucoup. Une telle mesure mise en pratique attirerait sur notre maison et sur nous-mêmes de nombreux commentaires et soupçons. Que diraient les administrateurs de la prison en voyant ma fille s'intéresser à un condamné ?

Mon fils - a répliqué Cneius Lucius imperturbable -, je comprends que tes scrupules soient justifiés, mais nous devons nous dire que Célia peut empirer et fatalement, si nous lui refusons la satisfaction d'un tel désir. En outre, je me propose de l'accompagner moi-même. Quant à notre entrée dans la prison, loin de la curiosité maladive, j'ai déjà pensé au meilleur moyen d'y arriver. J'y emmènerai ma petite-fille en tant que pupille de ma maison, comme si c'était la fille d'un condamné puisque nous savons que les prisonniers ne vont pas mourir comme des chrétiens mais comme des conspirateurs et des révolutionnaires. Avec les privilèges dont je dispose, je pénétrerai dans la prison en sa compagnie, sans la présence importune des fonctionnaires ou des prétoriens, de sorte que je serai l'unique témoin à savoir ce qui se passera entre eux deux !

Helvidius l'écoutait silencieux. Mais le vénérable patricien, sans abandonner ses intentions, lui prit ses mains entre les siennes, murmurant humblement :

Donne ton accord ! Ne nie pas à ta fille malade la satisfaction d'un désir aussi juste!... De plus, mon fils, souviens-toi qu'il ne s'agit que d'une simple rencontre pour la dernière fois...

L'idée que sa fille allait rendre visite au serviteur haï, et de surcroit avec son approbation, le répugnait ; mais, il y avait une telle tendresse dans les paroles de son père que son cœur a brusquement cédé à cette attitude aimante pleine d'humilité.

Fixant des yeux le généreux vieillard comme s'il n'y consentait que par considération pour celui qui était son père et son plus grand ami, il a murmuré un peu affecté :

C'est entendu, mon père, que votre volonté soit faite ! Je vous laisse vous occuper de

ce cas.

Et laissant entendre que le sujet lui déplaisait, il se mit à parler d'autres choses, emmenant son vieux père à l'intérieur où s'intensifiaient les préparatifs pour les fiançailles d'Helvidia.

Cneius Lucius, qui comprenait l'âme de son fils depuis tout petit, vanta toutes les initiatives prises par son garçon avec bonne humeur et joie, donnant son opinion avec optimisme sur tout ce qu'il entreprenait et se réjouissait également de ses décisions, manifestant sur son visage une satisfaction spontanée et sincère comme si aucune inquiétude ne peuplait son esprit.

Le lendemain dès les premières heures du jour, la litière du vénérable patricien se garait près de la prison Mamertine, pendant que le grand-père et sa petite-fille qui portaient des vêtements très simples dans de grandes tuniques qui dissimulaient même leurs traits, entrèrent dans le funeste édifice. Prétextant que Sixtus Plocius, préalablement informé, avait reçu Cneius Lucius et celle qu'il présentait comme étant la fille adoptive de sa maison, il lui avait donné toute la liberté de s'entretenir avec les prisonniers.

Dans la grande cellule où étaient entassés les vingt deux condamnés, les premiers rayons du soleil pénétraient à l'intérieur telle une bénédiction.

Nestor et Cirus, qui se trouvaient avec les autres, étaient profondément défigurés. L'alimentation déficiente, les perspectives angoissantes, les punitions appliquées dans la prison, tout se conjuguait pour anéantir leurs forces physiques. Néanmoins, dans leur regard serein tous les condamnés avaient un éclair sublimé et brûlant, extériorisant des énergies mystérieuses. Ils vivaient de la foi et pour la foi, plaçant tous leurs espoirs en ce royaume divin que Jésus leur avait promis dans chacun de ses enseignements.

Volusius et Lepidus, deux prétoriens qui avaient la confiance des administrateurs de la prison, ont conduit les visiteurs au cachot des condamnés.

Un cri de joie s'est échappé de la poitrine de Cirus en voyant le visage de Célia qui marchait vers lui avec un sourire aimant, bien qu'affligé. Nestor n'aurait pu exprimer la reconnaissance qui inondait son âme, et bien que n'étant pas un compagnon de conviction, Cneius leur tendait ses bras généreux.