Au début, l'émotion et la joie les submergèrent tous ; mais la jeune patricienne, dans une impulsion toute naturelle et très féminine, observant la désolante situation du bien-aimé de son âme, a éclaté en sanglots, alors que son vieux grand-père murmurait avec bienveillance et affection :
Pleure, ma fille !... les larmes font du bien à ton cœur!...
Et avec bonté comme s'il accordait au jeune affranchi la tâche de la consoler, il s'est éloigné avec Nestor dans un coin de la cellule qui le présenta aux autres condamnés.
Presque à seuls, les deux jeunes gens pouvaient échanger leurs dernières impressions.
Célia, comment peux-tu te livrer à la souffrance de cette manière ? - lui demanda le jeune homme évoquant toutes ses forces pour faire preuve de courage et de sérénité. - Ne vaut-il pas mieux mourir pour le Maître que nous aimons tant ? Je suis très reconnaissant à Jésus de recevoir ta visite dans cette cellule solitaire et triste. Depuis que j'ai été fait prisonnier, j'ai ardemment supplié que sa miséricorde ne me permette pas de mourir sans t'avoir consolée !...
Cette nuit encore, chérie, j'ai rêvé que j'étais arrivé au Royaume du Seigneur et que je voyais beaucoup de lumière et beaucoup de fleurs... En arrivant aux portes de ce paradis indéfinissable, je me suis souvenu de ton cœur et j'ai senti une profonde nostalgie !... Je voulais te trouver pour pénétrer au ciel avec toi... Sans ta compagnie, les zones de lumière me semblaient moins belles, mais un être divin, de ceux que nous devons appeler des anges de Dieu s'est approché, m'expliquant à ces mots : - Cirus, bientôt tu frapperas à ces portes, libre de tous liens qui te retiennent encore à ton corps périssable ! Manifeste ta gratitude à ce Père de miséricorde qui t'accorde tant de grâces, mais ne pense pas au repos car les luttes ne font que commencer ! Tu devras encore racheter beaucoup de siècles d'erreur et de ténèbres, d'ingratitude et d'impénitence !... Console ton esprit abattu dans la contemplation des paysages sublimes de la création pour que tu puisses aimer la terre avec ses expériences les plus douloureuses qui servent aussi de divin apprentissage à l'école de l'amour de Dieu !...
Alors, chérie, j'ai demandé à cette entité pure et aimante qu'après ma mort, elle m'aide à renaître auprès de toi, que ce soit portant le poids de la responsabilité des richesses terrestres, ou dans la condition de la plus grande misère. Et je sais que Jésus qui est si puissant et si bon, m'accordera cette grâce. Ne pleure plus ! Calme ton cœur dans les promesses divines de l'Évangile !...
Supposons que je vais faire un long voyage imposé par les circonstances... mais, si Dieu le permet, je serai de retour en ce monde au plus vite afin que nous nous retrouvions encore. Comment sera cette nouvelle rencontre ? Peu importe que nous le sachions parce que, de toute façon, nous nous aimerons toujours en esprit, à travers nos réalités immortelles !
Promets-moi que tu seras joyeuse et forte en attendant mon retour. Ne permets pas que des énergies destructrices souillent ton cœur !...
Tout en présumant que la jeune fille pourrait, plus tard, se fatiguer de sa propre destinée, il a souligné :
J'ai confiance en toi, j'espère que jamais tu ne renieras la position sociale que le Seigneur t'a accordée. Dans les heures angoissantes de la vie, souviens-toi qu'après l'amour de Dieu, nous devons honorer père et mère par-dessus tout, nous sacrifiant pour eux de toute notre énergie !....
Elle cessa de pleurer, mais une brume de tristesse a envahi ses yeux désenchantés. Elle contemplait son front avec une tendresse que le cœur ne saurait jamais définir. Fiancé ou frère ? Parfois, elle avait l'impression au fond d'elle-même qu'il devrait aussi être son fils. Les âmes jumelées s'aiment pour l'éternité, se confondant dans l'alternative contingente des liens de l'esprit. Ils inhalent un bonheur pur et immortel et ne vivent heureux que quand ils sont intégrés dans l'union éternelle et indissoluble.
Dans la forteresse morale qui occultait ses plus pénibles émotions, le jeune homme continuait :
Dis-moi, Cêlia, que tu aimeras toujours la vie, que tu auras une très grande foi et que tu m'attendras, pleine de confiance. Je veux affronter le sacrifice avec la certitude que tu continueras, comme toujours, forte dans la lutte et résignée face aux desseins du Créateur!...
Oui - a-t-elle murmuré avec une étincelle de foi qui brillait dans ses yeux -, pour toi, jamais je ne haïrai la vie ! Par la confiance que j'accorde aux promesses du Christ, je me réjouirai quand tu arriveras... je sentirai à nouveau la douce caresse de ta présence affectueuse, car mon cœur identifiera le tien entre mille créatures, parce que je t'ai aimé comme Jésus nous a enseigné, avec dévouement céleste.
C'est cela, chérie - murmura le jeune homme rassuré -, c'est toujours comme ça que j'ai idéalisé ton cœur humble et généreux.
Cirus - a dit la jeune fille candide -, je prie Jésus qu'il nous accorde la foi face aux angoisses de cette heure ! J'attendrai ton retour, pleine de confiance en toi, sachant que tu m'as toujours chérie, tout comme je t'ai aimé !...
Après une pause, les y eux larmoyants, elle a continué émue :
Tu sais ? Je me rappelle maintenant de notre excursion sur le lac d'Antipatris... T'en rappelles-tu ? J'étais surprise de te voir quand la vague m'a emportée, poussée par le vent... Auj ourd'hui, j e me demande si j e n'aurais pas mieux fait de mourir.
J'apprendrais à aimer Jésus dans un monde qui n'est pas celui-ci, et je t'attendrais dans l'autre vie débordante de mon amour grand et sacré '.... Je sens encore l'émotion de la minute où tu m'as sauvée, me remontant à la surface !...
C'est vrai - l'interrompit Cirus faisant son possible pour ne pas trahir l'émotion de ces souvenirs -, mais nous rappelant de tout cela, ne sommes-nous pas portés à croire que Jésus désirait te voir en vie, comme il le désire toujours ? Ce n'est pas moi qui t'ai sauvée, mais le divin Maître qui te voulait sur terre.
Oui - dit-elle émue -, je continuerai à implorer Jésus de te permettre de revenir, comme promis ! Le monde, Cirus, est toujours un lac agité par le vent des passions, et au fond des eaux, il y a toujours de la vase qui étouffe les plus nobles aspirations de l'esprit. Que la compagnie de Jésus ne me manque pas à l'avenir, car je veux vivre pour le servir à la clarté de ta mémoire que j'honorerai toute ma vie !...
Célia, ne doute pas du Seigneur et ne doute pas de mon retour. Je penserai toujours à toi, car jamais je ne t'oublierai...
Et pour dissiper la difficile attente de ce moment crucial, il s'est retourné, a relevé un pan du matelas immonde, placé là en guise de lit, d'où il retira un morceau de parchemin qu'il a offert à la jeune fille en ajoutant :
Avant-hier encore, ici même, nous avons écrit un hymne pour glorifier le Maître le jour du sacrifice. Je me suis souvenu que je devais suggérer cette musique que je t'ai enseignée sous les cèdres de ta maison, et ils ont accepté mon idée. Depuis cet instant, chérie, mon grand tourment fut de trouver un moyen de t'en laisser une copie car j'avais la conviction que Jésus m'accorderait le bonheur de te revoir. Il y a ici un prétorien du nom de Volusius, bienveillant à l'égard du christianisme, et qui m'a donné de quoi écrire ces quelques vers.
Lui remettant le bout de parchemin, il souligna :
Garde cet hymne qui est mon dernier souvenir avant notre départ ! Nous avons tous collaboré à la réalisation du poème, mais me souvenant de notre éternelle affection, j'y ai inclus quelques rimes où sont exprimés tous mes espoirs. Je te les dédie pour t'assurer de mon dévouement à tout instant !
Dieu te bénisse et te protège ! - s'exclama la jeune patricienne, gardant le précieux souvenir.