De toute part exhalait le parfum de fleurs merveilleuses, dans tous les coins des chansons et des rimes passionnées se confondaient avec les sons des cithares et des timbales jouées par les mains de maîtres éminents... Alors que les esclaves étaient affairés à satisfaire les caprices des convives, des danseurs célèbres s'agitaient à la ritournelle mélodieuse des luths. De petits bassins, improvisés en aquariums naturels, exhibaient des plantes magnifiques venues d'Orient et des poissons exotiques provoquaient l'admiration de tous ceux qui étaient enchantés par les joies de la nuit.
Ce scénario festif spécialement préparé avec anticipation et quintessence de bon goût fut surtout marqué par le spectacle de la piscine où des barques gracieuses et légères transportaient des nymphes et des troubadours, et par l'arène dans laquelle pour clôturer la fête, deux esclaves jeunes et athlétiques perdirent la vie sous le puissant glaive de combattants plus robustes.
Aucune faille ne fut décelée, seule l'absence de Cneius Lucius qui, comme les hôtes en étaient informés, était resté aux côtés de son autre petite-fille malade dans sa demeure sur l'Aventin.
Le lendemain, alors qu'Helvidia et Caius partaient pour Capoue sous une pluie de fleurs et bien que les cérémonies du peuple fussent à leur apogée, Alba Lucinie ne réussissait pas à dissiper la vague de craintes qui assaillait son cœur. Elle avait la conscience tranquille concernant ce qu'elle avait suggéré à son mari, sachant que leur gratitude à l'égard de l'Empereur n'admettait aucune tergiversation quant à ce voyage en Grèce. Mais Helvidius Lucius lui avait parlé de ses propres craintes face aux tentations... Ses mains sentaient encore la chaleur des siennes lorsqu'il eut terminé ses confidences amères. Était-il juste de l'inciter à accepter les nouvelles charges imposées par l'Empire ? Ne devrait-elle pas, également, défendre son mari de toutes les situations difficiles, déterminées par la politique avec ses égarements pervers ?...
Elle eut alors l'idée d'aller voir Claudia Sabine et de lui demander avec humilité son interférence. Une telle attitude n'était pas compatible avec les traditions d'orgueil de sa lignée, mais le désir du bien allié à la vibration de sa sincérité pure pourrait, à son avis, modifier les intentions bâtardes qui d'aventure vivaient dans le cœur de cette créature fatale.
Depuis qu'elle avait perçu l'indécision d'Helvidius, elle ressentit le besoin de coopérer activement à sa tranquillité morale le déviant de tous les dangers en mobilisant les forces puissantes de son affection qui arrivaient à vaincre en elle les exigences de l'orgueil inné.
C'est ainsi qu'après y avoir longuement réfléchi, le lendemain du mariage d'Helvidia, elle décida d'aller voir Claudia Sabine pour la première fois dans son palais du Capitole.
Sa litière fut reçue dans l'atrium avec engouement mais la femme du préfet, bien que faisant des efforts surhumains pour dissimuler la contrariété que lui causait cette visite inattendue, l'a reçue avec agacement et hauteur.
La femme d'Helvidius, néanmoins, malgré tout l'orgueil exalté par la hiérarchie de sa naissance, se maintenait digne et sereine dans une attitude de sincère humilité.
Madame - expliqua la fille de Julia Spinter après les salutations usuelles -, je suis venue jusqu'ici pour solliciter vos bons offices pour notre tranquillité domestique.
Je suis à vos ordres ! - rétorqua l'ancienne plébéienne prenant des airs de supériorité et coupant la parole de son interlocutrice. - J'aurai le plus grand plaisir à vous être utile.
Ne pouvant pénétrer les sentiments les plus intimes de la femme de Lolius Urbicus, à son égard, la noble femme continua avec simplicité :
Il se trouve que l'Empereur, avec toute la noblesse et la bonté qui le caractérise, a invité mon mari à l'accompagner en Grèce où il restera peut-être plus d'une année. Helvidius, toutefois, a de nombreux travaux en perspective et qui concernent notre tranquillité future. Ladite excursion, avec l'honorable charge qui lui sera confiée, est pour nous un motif d'honneur et une joie, cependant, j'ai décidé de faire appel à votre généreux prestige auprès de César afin qu'il dispense mon mari de cette tâche.
Oh ! Mais cela perturberait complètement les plans d'Auguste - lui dit Claudia Sabine avec une visible ironie. - Alors la femme d'Helvidius ne se réjouirait pas de partager avec lui la confiance sacrée de l'Empire ? Je n'aurais pu imaginer qu'une patricienne de naissance puisse un jour ne pas soutenir son mari dans ces précieux efforts qui élèvent l'homme aux sommets du service officiel.
Alba Lucinie l'écoutait, surprise, comprenant parfaitement ses propos ironiques et intrépides.
Répondre à une demande de cette nature est humainement impossible -poursuivit- elle avec une expression sur le visage presque brutale. - Helvidius Lucius ne pourra pas s'esquiver du programme administratif, je pense en conséquence que votre cœur de femme devra se résigner aux circonstances.
La fille de Fabius Corneille écoutait ses paroles caustiques, se rappelant des confidences de Tullia concernant le passé de son mari. Elle observait les gestes de l'ancienne plébéienne portée par le destin aux positions les plus élevées dans les cercles de la noblesse et sentait à ses expressions empruntées et étranges, un vaste complexe d'odieux sentiments réprimés. Seule la jalousie avait pu la transformer de cette manière, au point de modifier les traits les plus gracieux de sa physionomie.
Elles n'avaient pas le même âge, mais possédaient toutes deux les mêmes attraits physiques des femmes belles qui ne sont pas encore arrivées à l'automne de leur vie et gardent les meilleures grâces de leur printemps passé. Alors qu'Alba Lucinie avait atteint les trente huit ans, Claudia était arrivée à quarante deux, présentant toutes deux les mêmes dispositions d'une jeunesse avisée.
Notant qu'Alba Lucinie remarquait tous ses gestes, analysant ses moindres expressions avec toute l'intelligence de son sens de l'observation et gardait toute sa supériorité face à ses idées prononcées avec précipitation, la femme d'Urbicus s'est sentie profondément irritée.
Après tout - s'exclama-t-elle presque sèchement à la patricienne qui l'écoutait en silence -, vous me demandez l'impossible Madame. Sachez que nous traversons une époque difficile où les femmes sont obligées d'abandonner leurs compagnons au gré de la chance. Moi-même, dotée du prestige auquel vous venez faire appel, je ne suis pas épargnée par de telles contingences. Mariée avec le préfet des prétoriens, j'ai déjà entendu de ses propres lèvres la pénible affirmation qu'il ne pourra jamais me vouloir.
Tout en disant cela, elle fixa sur son interlocutrice ses yeux brillants de colère, alors qu'Alba Lucinie sentait son cœur battre précipitamment.
Et vous savez Madame, quelle est la femme qui a les préférences de mon mari ? - a demandé l'ancienne plébéienne avec une expression haineuse indéfinissable.
La noble patricienne a reçu cette intrépide allusion les yeux larmoyants où transparaissait sa dignité d'âme.
Votre silence - a murmuré Sabine arrogante -dispense tous commentaires.
Le visage en feu, Alba Lucinie s'est levée, s'exclamant avec dignité :
Je me suis lamentablement trompée en supposant que la sincérité d'une femme honnête et d'une mère dévouée pourrait émouvoir votre cœur. En échange de mes loyaux sentiments, je reçois des insultes d'une ironie mordante et injustifiable. Je ne vous condamne pas. L'éducation n'est pas la même pour tout le monde au sein d'une même communauté et nous devons la soumettre au bon sens de la relativité. En outre, chacun donne, ce qu'il a.
Et sans même la saluer, elle s'est dirigée courageusement vers l'atrium où une litière l'attendait entourée d'esclaves empressés, alors que Claudia Sabine pétrifiée dans sa haine face à la leçon de supériorité et le dédain reçu, affichait un rire nerveux qui éclaterait bientôt en critiques indécentes contre les esclaves.