L'ancien s'est levé et, après l'avoir embrassé pris d'émotion, il s'est mis à marcher dans la chambre se soutenant avec effort. À un moment donné, il a arrêté ses pas lents devant un coffre-fort en bois décoré d'acanthe et l'ouvrit soigneusement.
Parmi les parchemins qui se trouvaient là, il a retiré un petit médaillon, s'adressant au jeune homme en ces termes :
Mon fils, les enfants trouvés n'existent pas pour la Providence divine. Pas même en remontant dans le passé, tu ne dois nourrir de peines en ton for intérieur, en raison de ton sort. Tous les destins sont utiles et bons quand nous savons profiter des possibilités que le ciel nous accorde pour notre propre bonheur...
Et, comme s'il plongeait sa pensée dans l'abîme des souvenirs les plus lointains, il a continué après une pause :
Quand Marcia t'a embrassé pour la première fois dans cette maison, elle a trouvé sur ta poitrine de nouveau-né ce médaillon que j'ai gardé pour te le donner plus tard. Je ne l'ai jamais ouvert, mon fils. Son contenu ne pouvait m'intéresser, car quoi qu'il en soit tu devais être pour moi un fils beaucoup aimé... Cependant, il me semble que l'occasion de te le donner est arrivée. Mon cœur me dit que je ne vivrai pas très longtemps maintenant. Je dois être en train d'épuiser les derniers jours d'une existence dont je demande de toutes mes forces le pardon du ciel pour mes erreurs. Mais, si je me trouve au bord de la tombe, tu es jeune et tu as largement le droit à l'existence terrestre... Il est possible que tu vives à Rome désormais, et il se peut aussi que vienne le moment où tu auras besoin d'un souvenir comme celle-ci... Garde-le, donc, avec toi.
Silain, à cet instant, était profondément ému.
Mon père - s'exclama-t-il tendrement tout en prenant le médaillon délicatement -, je le garderai en souvenir sans que le contenu ne m'intéresse. De toute façon, en ce qui me concerne, je n'aurai pas d'autre père si ce n'est vous. En cette âme généreuse, j'ai trouvé l'affection maternelle qui m'a manqué dans les jours les plus reculés de ma vie.
Tous deux se sont étreints avec attachement poursuivant leurs échanges sur des faits relatifs à la province ou à la cour.
Dans la soirée, le vénérable patricien reçut la visite de Fabius Corneille auprès de qui il sollicita que des mesures favorables fussent prises à l'égard de son fils adoptif.
Très sensible aux circonstances solennelles dans lesquelles cette demande était faite, le censeur a examiné le sujet avec le plus grand intérêt, de sorte que peu de temps après, il obtenait le transfert de Silain pour Rome, et le prenait à son service dans le cadre même de sa gestion administrative, faisant de lui un fonctionnaire de son entière confiance.
Considérant l'admission de ce nouveau personnage dans la sphère de ses relations familiales, Alba Lucinie s'est souvenue des confidences de Tullia, mais prit soin de mettre de côté ses impressions personnelles, acceptant volontiers l'amitié respectueuse que Silain lui témoignait.
Au foyer d'Helvidius Lucius, néanmoins, la situation morale se compliquait de plus en plus, en raison des avances de Lolius Urbicus qui, d'une certaine façon, ne se décidait pas à abandonner ses prétentions criminelles.
Un beau jour, dans l'après-midi, alors qu'Alba Lucinie et Célia revenaient d'une de leurs promenades habituelles sur l'Aventin, elles reçurent la visite du préfet des prétoriens dont la physionomie torturée démontrait une grande agitation et un profond découragement.
La jeune fille se retira dans sa chambre, alors que la noble patricienne engageait une conversation amicale et digne. Le préfet, néanmoins, après quelques minutes, presque halluciné, s'adressa à elle en ces termes :
Pardonnez mon audace réitérée et impertinente, mais je ne peux échapper à la force des sentiments qui domine mon cœur. Vous serait-il possible de m'accorder un petit espoir?!... En vain j'ai cherché à vous oublier... Le souvenir de vos vertus attrayantes et exceptionnelles est gravé dans mon esprit en caractères puissants et indélébiles !... L'amour que vous avez éveillé en moi est une lumière indestructible, brûlante, allumée dans ma poitrine pour l'éternité !...
Alba Lucinie écoutait ses déclarations aimantes prise de crainte et d'étonnement, se sentant incapable de traduire la répugnance que ces affirmations lui causaient.
Aveuglé par sa passion, le préfet des prétoriens continuait :
Je vous aime profondément et follement... Depuis longtemps et bien jeune encore, j'ai tout fait pour vous oublier, obéissant aux lignes parallèles de nos destins ; mais le temps n'a rien fait d'autre qu'augmenter cette passion qui m'envahit et annule toutes mes bonnes intentions. J'ai aujourd'hui confiance en votre magnanimité et je veux garder dans cette misérable poitrine un léger espoir !... Répondez à mes suppliques ! Accordez-moi un regard !
Votre indifférence me blesse le cœur face à la pénible perspective de ne jamais réaliser le rêve divin de toute ma vie... Je vous adore ! Votre image me poursuit de toute part comme une ombre. Pourquoi ne pas correspondre à ce dévouement sublime qui vibre dans mon âme? Helvidius Lucius ne pourra jamais être le cœur destiné au vôtre pour ce qui est de la compréhension et de l'amour !... Brisons le cercle des conventions qui nous séparent, vivons les désirs ardents de notre âme. Soyons heureux de notre union et de notre amour !...
Stupéfaite, Alba Lucinie se taisait, sans émettre de réponse précise, telle était la torture qu'elle vivait.
Néanmoins derrière les rideaux, une scène significative avait lieu.
Se dirigeant distraitement vers la salle de réceptions, Célia avait surpris les attitudes d'Hatéria qui, telle une ombre, se tenait dans le couloir à l'écoute des paroles du préfet prononcées à voix haute avec imprudence.
S'approchant des lieux, prise d'une terrible surprise, elle devint brusquement toute pâle car elle entendit, elle aussi, les dernières phrases passionnées du mari de Claudia.
Malgré cela, elle remarqua que sa mère gardait un étrange silence. Une telle affection serait-elle possible sous ce toit ? Son cœur innocent ne désirait pas abriter ces pensées dégradantes, outrageantes pour la chasteté maternelle. Elle ressentit le besoin de prier avant que son esprit ne cède à des jugements précipités et moins dignes ; mais elle devait d'abord éloigner la servante à tout prix pour que la situation ne se complique pas au point de susciter la médisance et la curiosité des autres domestiques.
Hatéria, que fais-tu ici ? - a-t-elle demandé gentiment.
Je suis venue apporter les fleurs de la patronne - a-t-elle répondu feignant l'insouciance - ; mais j'ai crains de déranger la tranquillité de ma maîtresse et de Monsieur le Préfet qui s'apprécient tant.
La complice de Claudia Sabine avait souligné ces derniers mots avec une telle simplicité, que même Célia, dans la pure naïveté de son âme sensible ne perçut aucune malice,
C'est bien. Donne-moi les fleurs, je les apporterai moi-même à ma mère.
Hatéria s'est immédiatement retirée pour éviter d'éveiller des soupçons, pendant que Célia plaçait les rosés dans un vase de l'antichambre et se retirait dans sa chambre le cœur oppressé, vidant dans sa prière sincère toutes les larmes de son âme inquiète.
Le silence de sa mère l'avait profondément impressionnée. Serait-il possible qu'elle aime cet homme ? Des divergences intimes si profondes entre ses parents seraient-elles apparues pour qu'une hécatombe sentimentale vienne s'abattre sur cette maison toujours bercée d'une affection si pure ?... Elle n'avait pas entendu sa mère répondre à son conquérant avec toute l'énergie requise. Ce mutisme terrifiait son cœur. Serait-il possible que les passions du monde aient dominé sa mère si digne et si sincère en l'absence de son père ? Les plus pénibles conjectures peuplaient son esprit surexcité et affligé.