Néanmoins, elle prit la ferme décision de ne pas laisser transparaître ses doutes et ses inquiétudes. Son cœur ne pouvait croire que sa mère ait agi de la sorte, mais même ainsi, elle réfléchissait avec ses sentiments chrétiens et se disait que si Alba Lucinie prévariquait un jour, ce serait le moment pour elle en tant que fille de lui témoigner son ineffable amour avec les sublimes démonstrations d'une résignation suprême.
Se rappelant les précieux enseignements de Jésus, son esprit aimant s'est senti consolé, investi de nouvelles dispositions.
Toutefois, sans que sa fille ait pu entendre ses paroles indignées, après une longue pause, la femme d'Helvidius a répondu énergiquement :
Monsieur, j'ai toujours toléré vos insultes avec résignation et charité, non seulement pour la relation qui vous lie à mon père, tout comme pour la manifestation de cordialité existante entre vous et mon mari ; mais la patience aussi a ses limites.
Comment votre dignité de patricien a-t-elle pu tomber à un niveau aussi bas, inconcevable chez les plus vils malfaiteurs de l'Esquilin ?! Dans l'environnement provincial où je me trouvais, je n'aurais jamais supposé qu'à Rome les hommes du gouvernement se valent de leurs prérogatives pour humilier des femmes désarmées de toute l'horreur des passions inavouables.
N'avez-vous pas honte de votre conduite en essayant d'entacher la réputation d'une maison honnête et d'une femme que se veut digne de cultiver les vertus domestiques les plus élevées ? Comment pouvez-vous oser un crime aussi incroyable ! Vos effarantes déclarations en l'absence de mon mari valent pour une infâme trahison et la plus vile des lâchetés !...
Considérez-vous bien vos incroyables propos ! Les portes accueillantes de cette maison qui se sont constamment ouvertes pour vous recevoir comme ami, sont aussi ouvertes pour vous expulser comme un monstre !...
Dans un moment aussi dramatique, le visage en feu, Alba Lucinie manifestait fermement son état d'esprit. Indignée, elle indiquait la porte au conquérant, l'invitant à se retirer.
Madame, c'est ainsi que vous recevez mes sentiments si sincères ? a murmuré Lolius Urbicus d'une voix sourde.
Je ne connais pas le code de la prévarication et je n'ai jamais pu comprendre l'amitié déguisée d'injure - a déclaré la noble femme avec l'héroïsme de toute son énergie féminine.
À l'entendre et percevant sa vertu indomptable, le préfet des prétoriens a ouvert la porte pour se retirer, s'exclamant en colère :
Vous m'écouterez avec plus de bienveillance en d'autres circonstances. Ma patience est inépuisable !
Puis il est sorti précipitamment s'engouffrant dans les ombres de la nuit qui s'était déjà posée sous le ciel grisâtre.
Se retrouvant seule, la patricienne laissa libre cours aux larmes amères qu'elle retenait dans son cœur. L'absence de son mari lui pesait, les préoccupations morales, les insultes du conquérant impitoyable, le manque d'un cœur amical qui aurait pu écouter et partager ses amertumes, tout contribuait pour accumuler les nuages qui brouillaient son raisonnement.
En vain, sa fille essaya de la consoler de ses angoissantes inquiétudes. Trois jours passèrent tristes et amers.
Célia, qui pouvait à peine mesurer les tourments de sa mère, ne réussissait pas à comprendre la cause de sa détresse, se sentant encore troublée et confuse par les déclarations du préfet. S'abstenant, cependant, de toute pensée qui aurait pu infirmer la dignité maternelle, elle voulut oublier le sujet, multipliant ses marques d'affection.
Alba Lucinie, à son tour, réfléchissait avec amertume à la funeste influence que Lolius Urbicus et sa femme exerçaient sur le destin de sa famille, suppliant aux dieux du foyer toute leur compassion et miséricorde avec ferveur.
Dans les mêmes circonstances déplaisantes, la situation se poursuivait, quand, un jour, le vieil employé Bélisaire qui avait la confiance de Cneius Lucius et de sa famille, est venu leur annoncer que l'état de santé du vieillard s'était aggravé inopinément. Marcia les en informait, espérant qu'ils se rendraient de toute urgence à sa demeure de l'Aventin.
Une heure plus tard, la litière d'Helvidius était en chemin.
Peu après, Célia et sa mère étaient devant le gentil vieil homme qui les reçut avec un large sourire malgré son état de faiblesse évident. Sa tête vieillie reposait sur des oreillers d'où il ne se pouvait plus se lever, mais ses mains ridées caressaient sa belle-fille et sa petite-fille avec une merveilleuse tendresse. Alba Lucinie remarqua avec surprise son état d'épuisement général. La fulgurance étrange de son regard laissait entrevoir les plus tristes perspectives.
Aux premières questions, le patient répondit avec sérénité et lucidité :
Rien ne justifiait tant de craintes de la part de Marcia... Je pense que dès demain j'aurai retrouvé le rythme normal de la vie. Le médecin est déjà venu et a pris toutes les mesures nécessaires et opportunes...
Et remarquant l'abattement profond de la femme d'Helvidius, il a ajouté :
Qu'y a-t-il, ma fille ? Tu viens voir un souffrant, plus malade et plus accablée que lui ?... Ta faiblesse requiert des soins... Tes yeux sont profonds et tristes, tes joues sont pâles !...
À cet instant, percevant que son grand-père désirait s'adresser en privé à sa mère, Célia s'est éloignée et s'est approchée de Marcia qui lui confia ses appréhensions sur l'état de santé du vieillard.
Alba Lucinie, s'asseyant au bord du lit, a embrassé la dextre du vieil homme avec amour et tendresse.
Elle voulut s'excuser de l'impression qu'elle causait, prétextant une mauvaise migraine ou alléguant une toute autre banalité qui pourrait justifier son état de faiblesse, mais une singulière tristesse s'est emparée d'elle. En plus de ses peines, quelque chose dans son cœur lui disait que son vieux beau-père, aimé comme un père, était en train de partir pour les brumes de la tombe. À cette éventualité, ses yeux le dévisageaient avec la tendresse miséricordieuse de son cœur féminin. En vain, elle chercha une excuse en son for intérieur pour ne pas le déranger avec ses réalités désolantes mais le regard étrange et fulgurant de Cneius Lucius semblait scruter la vérité en elle-même.
Tais-toi, ma fille ?... - a-t-il murmuré, après avoir attendu quelques minutes la réponse à ses douces interpellations. - Quelqu'un a blessé ton cœur généreux et aimant ? Ton silence me laisse entrevoir une douleur morale très grande...
Sentant qu'il discernait exactement son état d'âme, Alba Lucinie laissa couler une larme signalant combien son cœur était lacéré.
Mon père - ne vous inquiétez pas pour moi et ne vous effrayez pas de mon émotion ! Je me sens prisonnière des pensées les plus étranges et les plus torturantes... L'absence d'Helvidius, les problèmes du foyer et maintenant votre état si fragile, forment un tout qui suscite en moi des pensées amères et indéfinissables !... Mais les dieux auront pitié de notre situation, ils protégeront Helvidius et vous rendront votre précieuse santé !...
Oui, ma fille, mais il n'y a pas que cela qui t'afflige - répliqua Cneius Lucius de son regard calme et pénétrant -, d'autres peines contrarient ton cœur !... Depuis quelque temps déjà, je réfléchis à la vie contrastée que tu avais en province, et à celle que tu as ici, dans le gouffre de nos conventions sociales... De toute évidence, ton esprit sensible doit être blessé par les épines des sentiers rugueux de notre époque de décadence et de fâcheux contrastes !...
Et comme si son analyse la sondait plus avant encore, il a ajouté :
J'ai l'impression aussi que certaines personnes de notre entourage social ont profondément déchiré ton cœur... N'est-ce pas la vérité ?...
Fixant ses yeux calmes et lumineux dont la réponse n'admettait pas de subterfuges, la femme d'Helvidius a répliqué avec un soupir d'angoisse :