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Oui, mon père, vous ne vous trompez pas ; néanmoins, j'espère que vous avez confiance en moi car dans le cadre de la grandeur de nos codes familiaux je saurai remplir mes devoirs de femme et de mère, en toutes circonstances.

Le vénérable patricien a longuement réfléchi comme s'il cherchait au fond une solution pour

consoler sa belle-fille qu'il avait toujours considérée comme sa propre fille digne et attentionnée.

Puis, comme s'il avait perçu les voix silencieuses de son cœur, il a ajouté :

As-tu déjà entendu dire que nous avons plusieurs vies sur terre ?

Comment, mon père ? Je ne comprends pas.

Oui, certains philosophes très anciens ont laissé au monde ces vérités réconfortantes. Dans ma jeunesse, dans le cadre de mes études, je les ai combattues, fidèle à nos traditions les plus respectables ; toutefois, la vieillesse et la maladie possèdent aussi de grandes vertus !... Les expériences humaines m'ont enseigné que nous avons besoin de plusieurs existences pour apprendre et nous purifier... Maintenant que je me trouve au seuil de la tombe, les plus profondes méditations me visitent l'esprit. La question des vies successives s'est éclairée avec toute la beauté de ses fabuleuses conséquences. La vieillesse me fait sentir que l'esprit ne se modifie pas seulement avec les leçons ou avec les luttes d'un siècle, et la maladie m'a fait reconnaître en ce corps un humble habit qui se défait avec le temps. Nous vivrons dans l'au- delà avec nos impressions les plus fortes et les plus sincères, et nous reviendrons sur terre pour continuer les mêmes expériences nécessaires à notre évolution spirituelle.

Percevant que sa belle-fille très surprise écoutait ses propos philosophiques, le vénérable ancien a souligné :

Ces considérations, ma fille, me viennent de l'intérieur pour t'éclairer car malgré la décrépitude porteuse de la mort, mon esprit est vivant, plein d'entrain et d'espoir. Sans la certitude de l'immortalité, la vie terrestre serait une comédie stupide et pénible. Mais je sais qu'au delà de la tombe, une autre vie fleurit et que de nouvelles possibilités illumineront notre être.

Pour cela, je m'émeus de tes douleurs d'à présent, mais je crois qu'à l'avenir la Providence divine nous accordera d'autres expériences et nous ouvrira de nouveaux chemins... Ceux qui aujourd'hui nous haïssent ou nous poursuivent, pourront être convertis au bien par notre amour vigilant et compatissant. Qui sait ? Après cette vie, nous pourrons revenir racheter nos cœurs aux vues du ciel et aider à la rédemption de nos ennemis. Garde la foi, la miséricorde et l'espoir, te disant que le temps doit être pour nous un patrimoine divin !... Conformément au principe élevé des vies multiples, les liens du sang nous donnent les plus sublimes possibilités de transformer la turpitude de la haine ou des sentiments inconfessables, en des chaînes caressantes d'abnégation et d'amour...

Sans forces physiques pour défendre mes chers enfants des embuscades et des dangers du monde, je garde mes tendres espoirs pour un avenir encore lointain, tout en croyant à la sagesse qui régit les travaux et les épreuves de l'existence sur terre.

Cneius Lucius était fatigué, ces paroles sages et inspirées lui sortaient de la gorge avec une difficulté considérable. D'ailleurs Alba Lucinie n'avait pas compris ses exhortations affectueuses et transcendantes qu'elle attribuait au fond à de possibles modifications mentales liées à son état physique. Se montrant un peu plus forte face à ses propres peines, elle fit sentir au vieil homme que son état exigeait du repos et qu'il devrait s'abstenir de faire des efforts prolongés et inadéquats en cet instant.

Le sage patricien qui perçut l'incompréhension de sa belle-fille, a esquissé un sourire aimant et résigné.

Quelques minutes plus tard, la femme d'Helvidius confiait aux personnes présentes ses impressions quant à l'état mental du patient, ce qui, comme l'expliqua Marcia, n'était pas une surprise depuis que le généreux vieillard avait manifesté ses sympathies pour les doctrines chrétiennes.

Seule Célia comprit la situation, accourant pour le consoler. Avec son immense tendresse, elle a étreint son grand-père, alors qu'il l'avertissait :

Je sais pourquoi tu m'embrasses et tu m'étreins ainsi... Quel dommage que tous les nôtres ne puissent comprendre les principes qui éclairent et consolent nos cœurs !... Aux autres, je ne devrais pas parler avec la franchise avec laquelle nous échangeons nos idées... à toi, cependant, je peux confesser que mon corps vit ses dernières heures. D'ici peu, je serai parti pour le monde de la vérité où cessent tous les conventionnalismes humains. Plutôt que de te confier à tes parents, je confie mes enfants à ton cœur !... Je sens qu'Helvidius et Lucinie passent par de grandes peines à Rome dont ils se sont déshabitués depuis longtemps... Sacrifie-toi pour eux, ma fille... Si des situations difficiles surviennent, aime-les encore davantage... Toi qui m'as mené à l'Évangile, tu devras te rappeler que Jésus affirmait être le remède des souffrants et des pécheurs... Sa parole miséricordieuse ne venait pas pour les sains mais pour les malades, et ses mains pour sauver les moutons égarés de sa divine bergerie... Ne crains pas le renoncement ou le sacrifice de tous les biens du monde... La douleur est le prix sacré à notre rédemption... Si Dieu s'apitoie de ma pauvreté spirituelle, je viendrai des mystères de la tombe te donner des forces avec mon amour, si cela est nécessaire.

Alors que sa petite-fille l'écoutait, sincèrement émue, mais sereine dans sa foi, le vénérable patricien continua après une longue pause :

Depuis hier, je sens que je vais pénétrer dans une vie nouvelle et différente... J'entends des voix qui m'appellent au loin et je vois des êtres lumineux et imperceptibles à ceux qui m'entourent, désolés... Je pressens que ce corps ne tardera pas à tomber dans l'agonie... mais avant cela, je veux te dire que tu seras toujours dans le cœur de ton grand-père, où que ce soit et quoi qu'il en soit.

Ses propos étaient lents et haletants, mais la jeune fille, comprenant la situation de son cher grand-père, a soutenu sa tête blanche avec le plus grand soin et plus de tendresse.

Célia - a-t-il murmuré avec difficulté, tous mes désirs afférents à la vie... matérielle... sont exprimés... dans la lettre à Helvidius. Dans le coffre de mes... souvenirs... ma conscience de pécheur... est en prières et je sais... que Jésus ne méprisera pas mes suppliques...

Mais je désirerais... que tu récites la prière au Seigneur en cette heure extrême...

Ses lèvres bougeaient encore, comme si la chute soudaine d'énergie en empêchait l'élocution, mais sa petite-fille, une âme tempérée dans la foi ardente et dans les grandes émotions des angoisses terrestres, compris le regard calme et profond de l'agonisant, et se mit à murmurer, retenant ses propres larmes :

Notre Père qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite, sur la terre comme au ciel...

Et alors que ses paroles semblaient atteindre le paradis, tranquillement elle a terminé sa prière.

L'ancien l'a fixée de son regard aimant comme si dans le silence de cette heure extrême, il avait concentré en son affection ses dernières pensées.

Avec soin, Célia a arrangé ses oreillers, après avoir déposé un baiser en larmes, et s'est dirigé à l'intérieur pour tenir sa mère informée.

Cneius Lucius était tombé dans un épuisement profond. La dyspnée implacable lui coupait la parole et il avait sombré dans une lente agonie qui allait durer plus de soixante-dix heures.

Les moyens médicaux de l'époque à base de frictions et de breuvages n'y purent rien. Le mourant perdait de son « tonus vital », peu à peu, dans les plus grandes souffrances.

Les larmes de Marcia et de Publicia se mêlèrent à celles d'Alba Lucinie et de sa fille, face aux rudes épreuves du vieillard adoré. Un serviteur fut envoyé d'urgence à Capoue, demandant la présence de Caius Fabrice et de sa femme qui pourraient, peut-être, arriver à Rome pour les derniers hommages.