Dans la matinée du troisième jour d'une agonie douloureuse, comme cela se produit avec les personnes d'un âge avancé, Célia perçut que son grand-père vivait les derniers instants de son existence terrestre., sa respiration était presque imperceptible, un froid intense commençait à envahir ses pieds et ses mains.
Toute la famille comprit que l'instant suprême était arrivé... Avec une expression de désolation résignée, Marcia s'est assise auprès de son vénérable père, prenant sa tête sur ses genoux affectueusement, alors que Célia tenait ses mains froides et ridées... Priant avec ferveur, elle demandait à Jésus de recevoir son grand-père dans la lumière de sa miséricorde. Dans l'extase de sa foi, la jeune chrétienne sentit que la chambre spacieuse se remplissait d'une clarté inconnue et indéfinissable. Elle crut pouvoir distinguer des êtres lumineux, aériens, croiser l'alcôve dans toutes les directions... Parfois, elle arrivait à fixer leur physionomie, bien qu'elle ne puisse les identifier, surprise par la vision des tuniques immaculées semblables à de grande toge de neige translucide...
Cependant, parmi ces êtres radieux, elle distingua quelqu'un qu'elle connaissait. C'était Nestor qui la consolait avec un sourire chaleureux. Elle comprit alors que les bien-aimés qui nous précèdent dans la tombe viennent souhaiter la bienvenue à ceux qui ont atteint leur dernière heure sur terre. À cet instant lumineux, son cœur se remplit de joie et de radieux espoirs... Elle voulut parler à la vision de Nestor et lui demander des nouvelles de Cirus, mais elle s'est abstenue de prononcer un seul mot craignant que sa vision bénie ne se défasse... Toutefois, comme si ses pensées les plus intimes avaient été entendues par l'ami désincarné, elle perçut que l'ex-esclave lui parlait et étrangement elle entendit sa voix, comme si le phénomène obéissait à un nouveau mode d'audition intracérébrale.
- Ma fille - semblait lui dire l'Esprit Nestor, affectueusement -, Cirus est déjà reparti et tu le verras bientôt !... Calme ton cœur et garde ta foi sans dédaigner le sacrifice !... Au revoir!... Avec quelques amis dévoués, nous sommes venus chercher ici le cœur d'un juste !...
Les yeux en larmes, la fille d'Helvidius a remarqué que Nestor a étreint le mourant alors qu'une force invincible l'arrachait de l'extase la faisant retourner à la vie ordinaire.
Comme si elle arrivait d'un autre plan, elle entendit que Marcia et sa mère sanglotaient et s'assura que le mourant avait poussé son dernier soupir.
La conscience édifiée par les profondes épreuves d'une longue vie, Cneius Lucius est parti à l'aube quand le merveilleux soleil romain commençait à dorer les collines de l'Aventin avec les premiers baisers de l'aube...
Alors un pénible deuil s'est abattu sur le palais qui, pendant tant d'années, avait servi de nid à ses grands sentiments. Pendant huit jours, ses restes furent exposés à la visite publique où se confondaient des nobles et des plébéiens qui venaient tous lui témoigner leur reconnaissance.
La nouvelle du funeste événement fut envoyée à Helvidius par les messagers de l'Empereur, alors que Caius et son épouse arrivaient de Campanie afin d'assister aux derniers hommages de l'illustre et cher défunt.
Cneius Lucius n'eut pas le réconfort de la présence d'Helvidius, mais Corneille fit son possible pour que toutes les mesures nécessaires fussent prises et pour qu'il reçoive les honneurs de l'État. Ainsi, le vénérable patricien, légitimement connu et estimé pour ses vertus
morales et civiques, avant de descendre dans sa tombe reçut les hommages de la ville en grande pompe.
CALOMNIE ET SACRIFICE
Helvidius Lucius se trouvait entre la Thessalie et la Béotie quand arriva la nouvelle du décès de son père. Il était inutile de penser faire une visite à Rome pour consoler les siens, non seulement parce que plusieurs Jours étaient déjà passés mais aussi parce qu'il avait beaucoup de travail dans les nouvelles fonctions qui lui étaient confiées au gré des caprices de l'Empereur.
Entre les marbres et les préciosités de l'ancienne Phocide dont les ruines requéraient ses talents dans le choix des matériaux utilisables dans les oeuvres de Tibur, 11 ressentit en lui un immense vide. Son père était à ses yeux un soutien et un symbole. Son départ remplissait son âme d'une infinie nostalgie.
Les longs mois de séparation loin de l'ambiance domestique s'écoulaient lentement.
En vain, il se jetait dans le travail pour fuir le découragement qui, souvent, envahissait son cœur.
Bien que la suite impériale soit restée à Athènes auprès d'Hadrien, il n'était pas débarrassé des conventions sociales et politiques dans l'environnement de ses activités quotidiennes. Claudia Sabine surtout ne l'abandonnait jamais dans la poursuite de l'effort en commun, coopérant à sa tâche avec décision et avec succès, elle cherchait à reconquérir son affection et son amitié d'antan. Et si Helvidius Lucius admirait sa capacité de travail, il ne pouvait transiger quant aux devoirs conjugaux qui pour lui étaient sacrés et gardait l'image de sa femme dans le sanctuaire de ses souvenirs les plus chers avec loyauté et vénération. Il recevait ses lettres affectueuses et confiantes comme une stimulation indispensable à son comportement et caressait l'espoir de retourner à Rome rapidement comme quelqu'un qui attendrait anxieusement qu'un jour de paix et de liberté arrive.
Depuis longtemps, cependant, le généreux patricien vivait le cœur plein d'inquiétudes et d'idées sombres.
La femme de Lolius Urbicus, modifiant ses modes de séduction, se présentait maintenant, à ses yeux, comme une amie dévouée et fidèle, sœur de ses idéaux et de ses tourments. Au fond, l'ancienne plébéienne avait gardé cette passion débordante de toujours, accompagnée des mêmes intentions de vengeance envers Alba Lucinie qu'elle considérait comme l'usurpatrice de son bonheur.
Mais le tribun qui observait son dévouement réitéré et apparemment sincère, se mit à croire en son désintéressement, remarquant la réconfortante transformation de ses sentiments loin de sa profonde capacité à paraître artificielle. Claudia Sabine, néanmoins, ne cessait de le vouloir éperdument. Le constant ajournement à ses espoirs endiguait sa passion avec plus de violence. Au fond, elle ressentait les souffrances d'une lionne blessée, mais la vérité était qu'à chaque manifestation de son affection, Helvidius lui faisait percevoir le caractère sacré de leurs obligations matrimoniales, indifférent à son regard sombre et à ses aspirations inavouables. La femme de Lolius Urbicus désirait être aimée avec tant de fidélité et de dévouement, mais les sentiments bruts de son cœur l'empêchaient de percevoir les vibrations les plus nobles de l'esprit. Elle ne savait qu'une chose, elle aimait Helvidius Lucius avec toute l'impulsion de son tempérament lascif. Pour réaliser ses projets indignes, elle ne reculerait devant rien. Elle haïssait Alba Lucinie et n'hésiterait pas à lui imposer sa vengeance la plus cruelle dès qu'elle réussirait à revivre les délices de son ancien amour, fait d'exclusivité et de violence.
Claudia perçut que le tribun, attaché aux principes du devoir, ne pourrait être vaincu que par une dissimulation à toute épreuve et pour cela elle entourait Helvidius d'attentions aimantes et d'un constant dévouement. Quand accidentellement, il lui arrivait de se rapporter à sa femme absente, elle prenait soin de faire son éloge s'efforçant de nuancer ses idées avec la plus grande sincérité.
De cette manière, le fils de Cneius Lucius se laissa à nouveau prendre par les enchantements de cette femme, lui accordant une attention indue, touché dans les fibres les plus profondes de son cœur bien que n'arrivant jamais à oublier ses obligations les plus sacrées.