Les grands nuages fouettés par le soleil se dissipaient peu à peu, laissant place aux premières étoiles.
La route de l'amertume
Après avoir débarqué dans un port de Campanie, à proximité de Capoue, Helvidius Lucius s'est adressé à ses parents afin de préparer ses enfants à la réalisation de ses volontés.
Les révélations inattendues concernant Celia furent Un rude coup pour Caius Fabrice et sa femme et obéissant aux décisions du tribun, ils ont créé les conditions nécessaires pour que les cercles aristocratiques de la Ville reçoivent la nouvelle venant de chez eux, tandis que les prêtres du temple, sans dédaigner les larges Compensations financières qu'Helvidius leur offrait, facilitaient les modalités en gardant ainsi pour toujours les Souvenirs de la jeune fille dans une poignée de cendres.
Après avoir reçu les hommages de la société patricienne de Capoue qui n'a pas manqué de trouver étrange le mystérieux événement, Fabius Corneille et tous les membres de la famille retournèrent rapidement à Rome où ils ont réalisé l'enterrement dans la plus grande simplicité, selon les usages de l'époque et les exigences de la tradition familiale.
Néanmoins, alors que les prétendues cendres de Célia venaient à peine d'être déposées dans le sarcophage, une nouvelle douleur vint accabler le cercle domestique de nos personnages.
Profondément blessée dans les fibres les plus sensibles de son cœur maternel, Julia Spinter ne réussit pas à supporter un aussi profond chagrin, venant s'ajouter aux nombreux autres qui minaient son existence. Elle quitta la terre inopinément, sans que ses proches puissent au moins prévoir l'approche de sa mort qui eut lieu pendant la nuit, d'un seul coup et faisant suite à une crise cardiaque.
Ce nouveau deuil qui touchait la maison d'Helvidius provoqua chez Alba Lucinie les plus atroces souffrances. À cette époque, compte tenu de la disparition de Lolius Urbicus, Fabius Corneille avait reçu de nouvelles fonctions auprès de l'Empereur, charges qui lui accordaient de grands pouvoirs et de graves responsabilités pour résoudre les problèmes financiers existants.
Le décès de sa femme avait rempli son cœur de singuliers regrets. Il chercha, néanmoins, à réagir face aux forces qui le déprimaient, exerçant toujours son autorité avec le même orgueil qui le caractérisait.
Se sentant très seuls, HeMdius Lucius et sa femme auraient souhaité retourner à la tranquillité provinciale de la Palestine, mais le brusque décès de la noble femme les empêchait de réaliser à nouveau l'exécution des projets si longtemps caressés, concernés par l'isolement dans lequel se retrouverait le vieux censeur dont le cœur fier et froid leur avait toujours donné les plus grandes preuves d'amour et de dévouement.
Clarifiant la situation de tous les personnages, nous devons évoquer le cas de Claudia Sabine après les singuliers résultats des événements pénibles qu'elle avait elle-même funestement engendrés. Une fois son mari mort et se sentant frustrée par l'échec de tous ses plans, elle chercha en vain à voir Hatéria, qui, élevée à une position de confiance accrue au sein du foyer d'Helvidius Lucius, était disposée à ne jamais abandonner la demeure, craignant des représailles. En possession de la large somme que le tribun lui avait donnée en échange de son silence, la vieille employée a appelé son gendre et sa fille à la résidence de ses maîtres, pour leur livrer une partie de la petite fortune avec laquelle ils ont acquis, à son nom, un beau site à Benevento, organisant ainsi la vie de ses enfants jusqu'à ce qu'elle fût disposée à partir pour la vie rurale.
Malgré ses efforts, Claudia Sabine n'avait pu lui parler puisque Hatéria ne s'absentait jamais de la maison de ses maitres. De plus, Fabius Corneille détenait des pouvoirs de plus en plus puissants dans la ville impériale, l'obligeant indirectement à rester silencieuse et à distance.
C'est ainsi que l'ancienne plébéienne a quitté Rome pour Tibur, accompagnant les futilités de la cour d'Hadrien, dont les derniers temps de son règne se caractérisèrent par une cruelle indifférence.
Entourée de domestiques mais dans un complet ostracisme social, la veuve du préfet des prétoriens acquit une demeure tranquille où elle dut passer de longues années alimentant sa haine dans de détestables réflexions.
Après ces brèves observations, reprenons les pérégrinations de Célia pour accompagner sa pénible errance.
En quittant le pont Fabricius, elle avait marché au hasard voulant atteindre l'île du Tibre où se concentrait la plupart des pauvres.
Aux dernières lueurs de l'après-midi, elle chercha à traverser le pont Cestius, trouvant sur un bout de chemin une femme du peuple au visage humble et joyeux. Célia s'assit un moment pour accommoder le petit. Mais elle sentit que le regard de l'inconnue pénétrait doucement son cœur.
Finalement, éprouvant une secrète confiance inspirée par cette femme simple, elle a tracé par terre avec la main droite dans la poussière, un petit signe de croix, grâce auquel tous les chrétiens de la ville se reconnaissaient.
Toutes deux ont alors échangé un regard expressif de sympathie, pendant que l'inconnue s'approchait lui disant gentiment :
Tu es chrétienne ?
Oui - a murmuré Célia en sourdine.
Tu es perdue ? - a demandé discrètement l'inconnue révélant dans ces quelques mots la plus grande prudence afin de ne pas être surprise en tant qu'adeptes du christianisme.
Oui, Madame - a répondu Célia, quelque peu consolée par cet intérêt spontané -, je suis seule au monde avec ce petit.
Alors viens avec moi, il est possible que je te sois utile.
Dans l'océan d'incertitudes où elle se trouvait, avide de protection, la petite-fille de Cneius Lucius l'a suivie. Elles ont calmement traversé le pont Cestius comme de vieilles amies qui se seraient retrouvées, se dirigeant vers un ensemble de maisons pauvres.
Loin de la foule, la femme du peuple, toujours affectueuse, se mit à parler :
Ma bonne enfant, je m'appelle Orphilia et je suis ta sœur de foi ! Dès que je t'ai aperçue, j'ai compris que tu étais seule et abandonnée en ce monde ayant besoin de l'aide de tes frères ! Tu es jeune et Jésus est puissant. J'ai surpris des larmes dans tes yeux, mais tu ne dois pas pleurer quand tant de nos frères ont souffert d'atroces sacrifices par les temps amers que nous traversons...
Célia l'écoutait réconfortée, mais au fond, elle ne savait pas comment procéder dans de si difficiles circonstances quand une compagne de croyance se révélait à elle en toute sincérité.
Alors qu'Orphilia se tut un instant, la fille d'Helvidius la remercia en quelques mots :
Oui, Madame, je suis émue et je ne sais pas comment vous remercier.
Je suis blanchisseuse - a continué la plébéienne avec sa simplicité de cœur -, mais j'ai le bonheur d'avoir un mari miséricordieux et chrétien qui ne cesse de me fournir au travail et au sein de notre foyer les témoignages les plus sacrés de notre foi ! Tu vas le connaître !... Il s'appelle Horace et il sera heureux de savoir que nous pouvons t'être utiles en quoi que ce soit... J'ai aussi un fils du nom de Junin, qui est notre espoir pour l'avenir quand dans notre pauvreté matérielle nous ne serons plus en mesure de travailler !...
Et s'approchant de plus en plus de la pauvre maisonnette, elle ajouta :
Et toi, ma sœur, que t'est-il arrivé pour porter sur ton visage tant de tristesse et de désillusion ?... Si jeune et avec un enfant dans les bras, si belle et si malchanceuse ?...
Je suis veuve et abandonnée - s'exclama Célia les yeux en larmes -, mais j'espère que Jésus m'aidera à trouver le nécessaire pour mon fils et moi...
Elle n'avait pas encore fini ses explications timidement formulées qu'elles se trouvèrent sur le seuil d'une salle très pauvre, presque dégarnie.
Deux hommes parlaient à la faible clarté d'une torche et immédiatement ils se sont levés pour les recevoir.
Dûment présentée au père et au fils, Célia a remarqué qu'Horace semblait effectivement bon et sérieux, mais remarqua chez son fils quelque chose qui lui déplu beaucoup, il avait le regard des jeunes gens frivoles et inconstants, plein de fantaisie et très loquace.