Il était possible qu'elle n'arrive pas jusqu'à Naples, ni même en Campanie où elle gardait le souvenir de sa sœur et de Caius Fabrice domiciliés à Capoue. Inutile d'espérer l'aide de sa sœur puisque Helvidia et son mari, certainement informés de ce qui s'était produit à Rome, ne pourraient absolument pas lui pardonner.
Néanmoins, elle était disposée à partir, pleine de confiance en Dieu. Au moment opportun, Jésus saurait bénir ses pas les guidant vers le bon chemin. Dans la complexité de ses méditations, elle se rappelait sans cesse les paroles de son grand-père le jour du sacrifice de Cirus et de Nestor, attendant que les messagers du Seigneur ou les âmes des êtres chers reviennent de la tombe pour guider leur cœur dans le dédale des anxiétés angoissantes.
Craignant des complications, la jeune fille ne sortit jamais de l'humble quartier du Trastevere où elle avait été accueillie, jusqu'à ce qu'un jour, aux premières clartés de l'aube elle dit adieu à ses amis les larmes aux yeux.
La voiture de Junin avait été préparée la veille, de sorte que leur départ eut lieu à l'aube. Orphilia et Horace étaient également émus, mais obéissant à l'impératif des épreuves sur terre, Célia se blottit dans le véhicule fabriqué conformément aux diligences de l'époque, où elle rangea son sac de vêtements et une importante provision d'aliments qu'Orphilia n'avait pas oublié de préparer pour le petit avec amour.
Après de tendres étreintes et des vœux de bonne chance, quelques instants plus tard sous le froid intense du matin, Junin faisait claquer le petit fouet sur le dos des animaux traversant les voies publiques.
Célia priait Jésus de fortifier son esprit angoissé en lui donnant le courage d'affronter les routes tortueuses de la vie... En quittant Rome, les yeux remplis de larmes, sentant son cœur flagellé par les souvenirs impitoyables, son profond martyre lui sembla plus intense. Regardant, cependant, le bébé presque endormi dans ses bras, elle ressentait une force irrésistible qui la soutiendrait dans tous les sacrifices.
Les premiers rayons de soleil commençaient à envahir le vaste ciel quand la voiture traversa la porte Caelimontana7, et les chevaux partirent au trot sur la voie Appienne... Face à la campagne romaine sur la route où s'élevait l'admirable aqueduc de Claude, la fille d'Helvidius s'extasiait à la contemplation de la nature, l'esprit plongé dans de douces prières et de profondes méditations.
(7) Porte Caelimontana a été appelée, plus tard, porte de Saint-Jean. - Note d'Emmanuel.
Il était à peine dix heures quand ils ont passé Albe-la-Longue avec ses maisons simples et coquettes.
Avec une expression énigmatique dans le regard, Junin fit en sorte que sa compagne de voyage et le bébé prennent un léger repas avant d'initier l'ascension des monts du Latium.
Poursuivant leur route sur les chemins bordés d'arbres et de fleurs sauvages, ils sont ainsi parvenus à Aricia entourée de jeunes oliviers et de jardins immenses. Plus tard, ils atteignaient Genciano8, un village gracieux et agréable au pied du lac Nemi où fleurissaient d'interminables roseraies sur les bords de la route.
(8NT): Gensano (Gentiano, Genciano, Genzano), petite ville à 29 km au sud de
Rome.
Célia avait l'esprit plongé dans de douces réflexions en raison de l'enchantement merveilleux du paysage dont la beauté dépassait tous les tableaux de la Palestine gardés en mémoire pour toujours. De toute part, des oliviers généreux, des orangers en fleur, des jardins immenses et bien soignés, des rosiers parfumés et des détails précieux que les hommes de la campagne avaient organisés.
Que ce soit l'influence caressante de l'air embaumé d'arômes ou en raison de la fatigue de sa longue excursion, l'enfant s'était endormi dans les bras de la Jeune maman que le ciel lui avait donnée, alors qu'elle caressait son visage minuscule avec le plus tendre amour.
Et comme l'ombre des bois atténuait les rayons chauds du soleil crépusculaire, Junin, qui ne restait jamais silencieux, attirant l'attention de sa compagne de voyage sur tel ou tel détail en chemin, se mit à lui parler d'un étrange sujet. La jeune fille a rougi et lui a demandé de se rappeler de la tradition chrétienne de ses parents qui l'avaient traitée généreusement, le suppliant de la laisser tranquille avec son pénible veuvage, au gré de son sort. Elle remarqua, néanmoins, que le jeune homme était plein des vices de son temps et se dit que le fils de ses protecteurs serait insensible à ses prières les plus ardentes. Repoussé dans ses intentions indécentes, laissant alors transparaître Sur son visage une dégoûtante expression de vautour blessé, le fils d'Horace dit à sa victime :
- Nous sommes près de Velitrae où nous passerons la nuit et comme tu devras continuer avec moi jusqu'à Gaète, j'espère te convaincre demain. Sinon...
Tout en se rappelant qu'elle devait prier et rester Vigilante, Célia avala l'insulte tout en conservant sa pensée plongée dans un fervent recueillement afin que le Divin Maître, par ses messagers, lui inspire la meilleure chose à faire.
Quelques instants plus tard, ils entraient dans la belle ville construite en des temps reculés par les Volsques et qui fut le berceau du grand Auguste. Velitrae, puis plus tard Velletri, se trouve sur une grande colline, offrant de très belles perspectives topographiques au voyageur. Ses crépuscules sont empreints d'une douce et d'une merveilleuse beauté... En contemplant l'orient, on voit les montagnes de la Sabine reliées par les précipices profonds où se trouve la ville, et en fin de journée, quand le soleil disparaît, la neige des montagnes se mêle au brouillard de la nuit, offrant des prismes visuels aux plus éblouissants effets.
Junin posa les rênes devant une auberge en apparence très simple. Reçu avec des démonstrations de joie par ses anciennes connaissances, immédiatement un logement pour Célia avec l'enfant fut mis à leur disposition et les animaux furent rentrés dans l'étable.
Après le repas, la jeune chrétienne se recueillit dans sa chambre pour réfléchir et prier. Junin avait prévu de repartir à l'aube. Mais elle était prise d'angoisse et d'incertitude. Le fils de ses bienfaiteurs ne semblait pas partager les mêmes sentiments élevés de ses parents. Ce regard intraitable semblait présager de la malice d'un serpent. Ses gestes étaient intrépides, ses idées indifférentes aux notions du devoir et de la responsabilité.
Tard dans la nuit, une employée de maison est venue s'informer si son hôte avait besoin de quelque chose, elle la trouva inquiète et angoissée à se demander ce qui pourrait bien lui arriver en ce lendemain menaçant.
Après d'amères réflexions, inspirée par ses amis de l'invisible, elle décida de quitter l'auberge dès les premières heures de l'aube et de fuir la perversité de l'ennemi de sa paix intérieure.
C'est ainsi qu'à l'aube, apeurée, elle s'est éloignée de la grande maison inconnue. Serrant le bébé contre sa poitrine, elle sentait son cœur battre à vive allure. Jamais, elle n'avait affronté de situation aussi difficile et, néanmoins, elle se disait que Jésus l'aiderait par de précieuses suggestions.
Laissant Velitrae à sa gauche, elle prit courageusement un large chemin, portant le petit et son pauvre bagage, elle marcha jusqu'à l'aurore et se retrouva dans l'ancien village de Cora, célèbre pour son temple à Castor et Polux. Là, une femme du peuple l'accueillit chez elle pendant quelques minutes et lui offrit de nouvelles provisions compatissant de sa dure journée avec le petit dans ses bras.
Poursuivant sa marche, possédée par une étrange force comme si quelqu'un guidait ses pas, malgré l'itinéraire incertain, elle s'est bientôt retrouvée sur les bords de l'Astura à traverser des petits villages où il y avait toujours un bon cœur pour lui prodiguer une gentillesse fraternelle.
Avant midi, elle rencontra de simples conducteurs de charrettes, employés par de riches propriétaires de la région qui travaillaient au transport, dont l'un d'eux ayant l'allure d'un patriarche, lui offrit une place à ses côtés pour soulager la douleur de ses pieds.