Ces enseignements du prophète galiléen ont rempli mon cœur... Il semblerait qu'il n'y ait que dans les grandes douleurs que l'âme humaine peut sentir la grandeur des théories de l'amour et de la bonté. Je suis retourné chez moi sans mettre mes funestes projets à exécution et considérant l'innocence de ma fille dont l'affection infantile m'incitait à vivre, je suis allé à la rencontre chrétienne où j'ai eu le bonheur d'entendre de valeureux prêcheurs des vérités divines.
Il y avait là des hommes souffrants et humiliés parmi lesquels certaines de mes connaissances que les furies politiques avaient jetées dans la souffrance et l'ostracisme. Des créatures humbles écoutaient la Bonne Nouvelle, où se mêlaient aussi des membres de l'aristocratie que les circonstances du destin avaient conduits à l'adversité... Pour tous, la parole de Jésus était une douce consolation pleine d'une énergie mystérieuse... Sur tous les visages, à la triste clarté des torches, apparaissait une expression de vie nouvelle qui s'est communiquée à mon esprit fatigué et blessé... Cette nuit-là, je suis retourné chez moi comme si je renaissais pour affronter la vie !
Le lendemain, cependant, alors que je m'y attendais le moins dans la tranquillité de mon âme, un peloton de soldats entourait ma résidence et me conduisait en prison sous la plus injuste des accusations... Dans la nuit, le misérable Flavius Hilas avait été poignardé dans de mystérieuses circonstances. Devant son cadavre, ma propre femme a juré que j'étais son assassin. Souffrant de calomnie, j'ai fait en sorte que mes relations d'amitié s'interposent pour retrouver ma liberté et pouvoir m'occuper de ma pauvre fille recueillie alors par des mains généreuses et humbles de l'Esquilin ; mais mes amis m'ont répondu que seul l'argent pouvait faire avancer l'appareil judiciaire de l'Empire en ma faveur et je n'en avais plus...
Abandonné en prison, ne pouvant me justifier, vu que j'étais allé à l'assemblée chrétienne cette nuit-là, j'ai préféré me taire plutôt que de compromettre ceux qui avaient apporté la consolation à mon esprit abattu... Piétiné dans mes sentiments les plus sacrés, j'ai attendu la décision de la justice impériale pris d'une indéfinissable angoisse. Quand finalement, deux centurions sont venus me notifier du jugement inique. Considérant l'extension du crime, les autorités me privaient de tous mes titres et prérogatives, me condamnant à mort, car le juge assassiné était un homme de confiance de César... J'ai reçu cette sentence presque sans surprise bien que désirant vivre pour servir Jésus dont les enseignements grandioses avaient été une lumière pour moi dans les ombres épaisses de la prison mais aussi pour accomplir mes devoirs paternels envers ma chère fille abandonnée par la tendresse maternelle...
J'ai attendu la mort plongé dans mes prières, mais à cette époque, il y avait à Rome un homme juste, un peu plus jeune que moi, dont le père était un camarade d'enfance du mien. Cet homme savait que mon caractère avait bien des défauts, mais que j'étais loyal. Il s'appelait Cneius Lucius et il est allé personnellement voir Trajan, défendre la cause de ma liberté. En affrontant la colère d'Auguste, il n'a pas hésité à solliciter sa clémence pour mon cas et réussit à faire en sorte que l'Empereur change ma peine et me bannisse de la cour avec la suppression de tous les avantages accordés à mon nom...
Pendant que le vieillard faisait une pause, la jeune fille se mit à pleurer prise d'émotion, en raison de l'allusion faite à son grand-père dont le souvenir remplissait son être des plus vifs regrets.
- Une fois libre - a continué le vieux de Minturnes -, Je me suis rapproché de mes anciens compagnons qui avec moi avaient goûté au même calice lors des persécutions d'ordre politique et qui partageaient déjà la même foi en Jésus-Christ... Bannis de Rome et humiliés, nous sommes partis pour l'Afrique où nous avons fondé un refuge solitaire, non loin d'Alexandrie afin de cultiver l'étude des textes sacrés et d'y conserver les trésors spirituels des apôtres.
En quittant la capitale de l'Empire, j'ai confié mon Unique fille à un couple d'amis dont la pauvreté matérielle ne ternissait pas leurs nobles sentiments. Pourvoyant à l'avenir de mon enfant avec tous les moyens à ma portée, je suis parti pour l'Egypte plein de nouveaux idéaux, à la lumière de la nouvelle croyance ! Grâce aux sévères méditations et aux austères exercices spirituels auxquels je me suis soumis, je suis arrivé à oublier les grandes luttes et les pénibles afflictions de ma destinée !...
Le repos de l'esprit en Jésus me soulagea de tous mes regrets. Le seul lien qui me retenait encore à la péninsule était justement ma fille, jeune à l'époque, et que je désirais faire venir auprès de moi en Afrique... Après vingt ans au sein de notre communauté en prières et en méditations salutaires, j'ai demandé à notre directeur spirituel l'autorisation nécessaire pour faire venir un parent dans notre retraite. Je nie suis rapporté à un parent car je désirais convaincre ma pauvre Lésia de m'accompagner dans des vêtements masculins, prenant en considération l'enseignement de Jésus qu'ils existent au monde ceux qui se font eunuques par amour de Dieu...
Les statuts de la communauté ne permettaient pas la présence de femmes auprès de nous par décision d'Aufide Priscus qui était vénéré comme un chef, et portait le nom d'Épiphane... Il n'était pas dans mon intention de mépriser les lois de notre ordre mais de ravir mon enfant à l'environnement de séductions de ces temps de décadence où les intentions les plus sacrées sont récoltées par les loups de la vanité et de l'ambition qui hurlent en chemin... Je désirais la garder, près de moi, dans le plus saint des anonymats jusqu'à ce que je réussisse à modifier les dispositions d'Épiphane concernant les règlements de notre ordre et relatifs aux circonstances particulières de ma vie !...
Une fois que j'eus obtenu l'autorisation requise pour venir sur la péninsule, j'ai accosté ici, voilà presque deux ans maintenant. J'ai éprouvé une si grande douleur à retrouver ma Lésia aux derniers instants de sa vie... Te décrire ma souffrance vécue par la séparation de ma chère fille après tant d'années d'absence à caresser tant d'espoirs est une tâche au dessus de mes forces.. J'ai accompagné ses restes dans la tombe où je l'ai fait enterrer peu après ceux de mes chers amis qui lui avaient servi de parents, aussi emportés par la peste qui, à cette époque-là, flagellait toute la population de Minturnes !...
Pauvre de moi, qui n'ai mérité que des angoisses et des tourments sur les routes difficiles de l'existence face aux crimes innommables commis dans ma jeunesse !... '
Il me reste toutefois l'espoir de l'amour de l'Agneau de Dieu dont la miséricorde est venue en ce monde pour nous ravir de rhumiliation et du péché...
Approchant de la tombe, je prie le Seigneur qu'il ne m'abandonne pas... Au-delà de la mort, je sens que brille la lumière de ses enseignements dans un royaume de paix miséricordieuse et compatissante ! C'est certainement là que m'attendent ma fille idolâtrée et mes amis Inoubliables. La terre fleurie de Campanie, je le pressens, recevra bientôt mon corps accablé ; mais au-delà de mes forces épuisées de la vie matérielle, j'espère trouver la vérité réconfortante de notre survie ! Je recevrai volontiers le jugement le plus sévère de mon passé délictueux et renonçant à tous mes sentiments personnels, j'accepterai complètement les desseins de Jésus dans sa justice équanime et miséricordieuse !...
L'ancien de Minturnes parlait ému, d'un regard lucide, il fixait le ciel comme s'il était devant une assemblée plénière céleste soutenu par la sérénité de sa foi robuste et ardente.
Mais arrivant aux termes de ses pénibles confidences, il remarqua que Célia avait les yeux pleins de larmes au point de ne pouvoir parler, telle était la commotion qui étranglait sa voix dans sa poitrine accablée.