Conformément à sa confession chrétienne, le vieux de Minturnes eut une sépulture plus que modeste que la fille du patricien remplit des fleurs de sa tendresse et se plongea dans l'ombre d'une solitude presque absolue.
Quelques jours plus tard, le préteur lui remit la petite somme que Marin lui avait laissée, et qui représentait un peu plus que ce dont elle avait besoin pour faire le voyage jusqu'à la lointaine Afrique. Par un radieux matin de printemps, portant en elle sa sérénité triste et inaltérable, la jeune femme chrétienne, après une prière longue et angoissante sur les humbles tombes du petit et de l'ancien à qui elle demandait leur protection et leur assistance, elle prit place sur une galère napolitaine qui emportait périodiquement des passagers en partance pour l'Orient.
Le visage mélancolique dans ses vêtements masculins, elle attirait l'attention de ceux qui lui tenaient éventuellement compagnie pendant sa grande croisière en Méditerranée, mais profondément désenchantée du monde, la jeune fille gardait un silence presque absolu.
Le débarquement à Alexandrie se fit sans incidents majeurs. Néanmoins, suivant les recommandations de son bienfaiteur, elle apprit auprès de ses connaissances en ville que le monastère se trouvait à quelques miles de distance et elle dût prendre un guide pour arriver jusqu'au lieu de recueillement.
Le monastère isolé était à plus ou moins dix lieues de la ville, soit un jour de marche presque, malgré les bons chevaux attelés au véhicule.
La fille d'Helvidius se retrouva devant le grand et silencieux édifice à l'heure crépusculaire, enthousiasmée par la vision de sa grandeur parmi la végétation en friche. Elle a ressenti alors un singulier repos mental face à cette imposante solitude qui semblait accueillir tous les cœurs désolés.
Elle tira la corde qui retenait la barrière d'entrée el au même instant elle entendit au loin les sons de lourdes sonnettes dont le bruit étrange semblait vouloir réveiller un géant endormi.
Quelques instants plus tard, les vieilles charnières grinçaient lourdement, laissant entrevoir un homme qui portait une tunique gris-sombre, il avait un visage grave et sombre et ce fut en ces termes qu'il interpella la jeune fille à la physionomie morose transformée en jeune homme :
Frère, que cherchez-vous dans notre retraite de méditation et de prières ?
Je viens de Minturnes et j'apporte une lettre de mon père, adressée à Monsieur Aufide Priscus.
Aufide Priscus ? - a demandé le portier admiratif.
N'est-ce pas lui votre supérieur ?
Vous faites référence au père Épiphane ?
Cela même.
Écoutez-moi - a réfléchi le frère portier complaisant -, n'êtes-vous pas, par hasard, le fils de Marin, le compagnon qui est parti d'ici il y a environ deux ans afin de vous ramener à notre retraite ?
C'est vrai. Mon père est arrivé, il y a bien longtemps dans les ports d'Italie, où nous nous sommes retrouvés, cependant, toujours malade, il n'a pas eu le bonheur de m'accompagner pour revenir à la solitude de vos prières.
Il est mort ? - a demandé l'interlocuteur très surpris.
Oui, il a rendu son âme au Seigneur, il y a plusieurs jours.
Que Dieu le garde sous sa sainte protection !
Une fois qu'il eut dit cela, il s'est mis à réfléchir un instant comme plongé dans de ferventes prières. Puis, il a dévisagé avec beaucoup de tendresse le jeune humble et triste, et s'exclama éloquent :
Maintenant que je sais d'où vous venez et qui vous êtes, je vous salue au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ !
Que le Maître soit loué - a répondu la fille d'Helvidius Lucius avec ses manières simples.
Pardonnez-moi si je vous ai reçu avec prudence, à première vue... Nous traversons une phase intense de pénibles persécutions et les serfs du Seigneur, dans l'étude de l'Évangile, doivent être les premiers à remarquer si les loups viennent à la bergerie portant l'habit de l'agneau.
Je comprends...
Je ne veux pas vous ennuyer avec des questions inconvenantes mais vous prétendez adopter la vie monastique ?
Oui - a répondu la jeune fille timidement -, et le faisant, je n'obéis pas seulement à une vocation innée, mais je satisfais aussi l'une des plus grandes aspirations de mon père.
Etes-vous informé des exigences de cette maison ?
Oui, mon père me les a révélées avant de mourir.
Le frère portier a balayé du regard les alentours et observant qu'ils se trouvaient seuls, il lui dit d'une voix discrète :
Si vous apportez en ces lieux une vocation pure et sincère, je crois que vous n'aurez pas de difficultés à respecter nos disciplines les plus rigides ; néanmoins, je dois vous avertir que le père Épiphane qui est le directeur de cette institution, est l'esprit le plus dur et le plus arbitraire qu'il m'ait été donné de connaître dans toute mon existence. Cette retraite est le fruit d'une expérience qu'il a initié avec votre digne père, il y a plus de vingt ans. Au début, tout allait bien, mais ces dernières années, le vieux Aufide Priscus abuse largement de son autorité, surtout depuis le départ du frère Marin pour l'Italie. Le père Épiphane est devenu despotique et presque cruel. Peu à peu, il transforme cet abri du Seigneur en une caserne de discipline militaire, là-même où il a fait son éducation.
La petite-fille de Cneius Lucius l'écoutait profondément étonnée.
D'après ce que disait le portier, son vif esprit a immédiatement compris que la retraite des enfants de la prière était également pleine des plus lourdes intrigues.
Toutefois, alors qu'elle réfléchissait à ses considérations, le frère Philippe continuait :
Imaginez-vous que notre supérieur change l'ordre de tous les enseignements, créant les plus incroyables extravagances religieuses. À l'opposé des enseignements de l'Évangile, il nous oblige à l'appeler « père » ou « maître », des noms que Jésus lui-même s'était nié à accepter dans sa mission divine. En plus d'inventer toute sorte de travaux pour les quarante deux hommes désenchantés du monde qui vivent ici, il applique à sa manière les leçons de Jésus. Si bien que pour le bien de notre communauté chrétienne, nous ne pouvons rien révéler à l'extérieur. Il est lamentable d'observer que l'enceinte est pleine de symboles qui nous rappellent les cérémonies matérielles des dieux cruels. Et nous ne pouvons rien dire sur un ton de critique ou de censure puisque le père Épiphane règne sur nous en roi.
La jeune fille n'avait pas encore réussi à donner son avis vu l'aisance avec laquelle le portier s'exprimait, que le bruit de pas forts qui approchaient est monté à eux, Philippe se tut, habitué qu'il était à des scènes comme celles-ci, et modifiant l'expression de son visage, il s'est exclamé d'une voix étouffée :
-C'est lui!...
Dans ses habits étranges et pauvres, Célia n'a pas réussi à dissimuler son étonnement.
Sur le seuil d'une large porte est apparue la figure d'un vieil homme d'environ soixante-dix ans dont les traits physionomiques présentaient la plus profonde expression conventionnelle et une fière sévérité. Il s'habillait comme un prêtre romain à l'apogée des temples polythéistes et se soutenant à une robuste canne, il promenait de toute part son regard fulgurant comme pour chercher des motifs d'exaspération et de mécontentement.