Philippe ! - s'exclama-t-il sur un ton intempestif.
Maître - répondit le frère portier, avec la plus feinte humilité -, je vous présente le fils de Marin que son cœur de père n'a pas pu accompagner jusqu'ici, étant donné son décès brutal à Minturnes.
Entendant ces éclaircissements inattendus, Épiphane a marché vers le jeune qui lui était complètement inconnu et prononça presque sèchement la salutation évangélique comme un lion se faisant agneau :
Paix au nom du Seigneur !
Célia répondit comme son vénérable ami le lui avait enseigné avant sa mort et elle remit au supérieur de la communauté la lettre paternelle.
Après avoir rapidement parcouru le parchemin, Épiphane a souligné avec austérité :
Marin doit être mort avec tout son idéalisme de cigale.
Et comme s'il avait émis cette idée rien que pour lui, il a ajouté avec une expression sévère, s'adressant à la jeune fille :
Veux-tu vraiment rester ici ?
Oui, mon père - a répondu le supposé jeune homme, à la fois timide et respectueux. - Poursuivre les traditions de mon père a toujours été mon désir, depuis mon enfance.
Ce ton humble a satisfait Épiphane qui lui a parlé moins agressivement :
Tu sais, néanmoins, que notre organisation csi constituée de chrétiens convertis qui peuvent coopérer dans nos efforts non seulement avec les valeurs spirituelles mais aussi avec les recours financiers indispensables à nos réalisations ? Ton père ne t'a pas laissé quelque pécule avant de descendre dans sa tombe à Minturnes ?
Mon héritage ne s'est chiffré qu'au capital nécessaire au voyage jusqu'à Alexandrie. Néanmoins - a-t-elle ajouté innocemment -, mon père m'a révélé, il y a quelques temps que sa petite fortune avait été employée ici, m'assurant que l'administration de cette maison saurait m'accueillir en souvenir de ses services.
Et bien - a répondu Épiphane, manifestant une certaine contrariété -, en matière de fortune, sache que tous ceux qui reposent dans cette retraite en ont eu en ce monde et remirent aussi leurs plus grandes valeurs à cette maison.
Mais mon père - a imploré Célia avec une sincère humilité -, s'il existe ici ceux qui se reposent, il doit exister également ceux qui travaillent. Si je n'ai pas d'argent, j'ai des forces pour servir l'institution. Ne me niez pas la réalisation d'un idéal si longtemps caressé.
Le supérieur sembla ému et répondit avec emphase :
C'est bon. Je ferai pour toi ce qui est à ma portée.
Et renvoyant Philippe à l'intérieur chercher un grand livre de notes, il a initié son minutieux interrogatoire :
Ton nom ?
Le même que celui de mon père.
Où es-tu né ?
À Rome.
Où as-tu reçu le baptême ?
À Minturnes.
Et après lui avoir posé des questions plus détaillées, investi de son austère supériorité Épiphane lui dit sur un ton sec :
Répondant à ta vocation et en mémoire d'un vieux compagnon, tu resteras avec nous où tu travailleras aux services de la maison. Je veux, néanmoins, t'informer qu'ici entre ces murs, je fais rigoureusement respecter l'Évangile du Seigneur, conformément à ma volonté inspirée du ciel. Après plusieurs années d'expérience, j'ai admis l'idée que la pensée évangélique devait s'organiser selon les lois humaines ou ne pourra pas survivre à la mentalité de l'avenir. Les chrétiens de Rome, comme ceux de Palestine, souffrent d'une hypertrophie de liberté qui les mène, instinctivement, à la diffusion de toutes les absurdités. Ici, cependant, la discipline chrétienne se caractérisera par l'abdication totale de la propre volonté.
La jeune fille l'écoutait calmement, gardant au fond d'elle ses impressions particulières d'après ce qu'elle pouvait observer, pendant qu'Épiphane la conduisait à l'intérieur pour la présenter aux autres compagnons.
Transformée en frère Marin, Célia se mit à vivre sa vie nouvelle singulière et anonyme.
Le vaste monastère, où se trouvaient plus de quarante riches chrétiens désabusés par les plaisirs du monde, était bien l'un des points de départ du second siècle pour le catholicisme et pour la prêtrise organisée sur des bases économiques, qui éliminerait tous développements du messianisme.
Elle remarqua qu'en ces lieux, la simplicité des catacombes n'était pas de mise. La symbologie païenne semblait envahir tous les coins de la demeure. Les Romains convertis n'avaient pas dispensé les prières formulées à leurs anciens dieux. De toute part, des croix grandes et petites étaient accrochées, taillées dans le marbre ou dans le bois, elles étaient sculptées dans différents moules. Il y avait des salles de prières où reposaient des images du Christ en ivoire et en cire argentée posées inertes sur de vraies touffes de rosés et de violettes. Le culte polythéiste semblait renaître, indestructible et inévitable. Pour la conservation de ces croyances, la même intrigue des flamines de Rome était pratiquée, on aurait dit que l'Évangile n'était en fait qu'un simple prétexte pour galvaniser les croyances mortes.
L'esprit formaliste d'Épiphane avait cherché à doter l'établissement de toutes les conventions en vigueur à l'époque.
Une cloche annonçait le changement des méditations, l'heure du travail, des prières, des repas, et du temps consacré au repos de l'esprit.
L'idée de spontanéité des leçons du Seigneur sur le lac de Tibériades pour concilier les possibilités et les besoins des croyants avait disparu. Les principes implacables d'Épiphane réglementaient tous les services.
Le plus intéressant était que dans ces monastères lointains en Afrique et en Asie où étaient accueillis les chrétiens craignant les persécutions inflexibles de la métropole, les célèbres heures du Chapitre existaient déjà, il s'agissait d'une réunion intime à laquelle participaient tous les membres de la communauté pour alimenter les intrigues et le débat des points de vue individuels.
Célia trouva étrange qu'à l'intérieur d'une institution chrétienne par excellence, puissent être stimulées des aberrations de ce type qui venaient directement des collèges romains où pontifiaient des flamines ou des vestales ; mais elle était obligée d'accepter les ordres supérieurs sans laisser transparaître son désappointement. Bien que condamnant de telles manifestations néfastes de culte, la fille d'Helvidius sut conquérir rapidement l'admiration et la confiance de tous par la rectitude de ses manières à s'illustrer par les actes les plus élevés d'humilité et de compréhension de l'Évangile. Ses façons très douces et l'enchantement de ses paroles délicates et amicales faisaient que le frère Marin devenait l'objet de toutes les attentions, générant les amitiés les plus pures dans cette singulière convivialité.
Cependant, il y avait là quelqu'un qui gardait la plus funeste jalousie face à la pureté de sa vie. C'était Épiphane, dont l'esprit despotique et original s'était habitué à commander les cœurs avec brutalité et rudesse. Le fait de ne rien trouver chez le fils de son ancien compagnon qui ne puisse être censuré, irritait son esprit tyrannique. Dans la salle du Chapitre, à l'occasion de l'étude, il observait que l'avis du frère Marin triomphait toujours par la sublime compréhension de fraternité et d'amour dont il donnait un vrai témoignage. Avec toute sa candeur spirituelle, la jeune fille ne pouvait définir la raison des gestes rudes du supérieur, bien que trouvant étranges ses attitudes.
Un beau jour, à l'heure consacrée aux discordes et aux interrogatoires qui précédaient dans le catholicisme naissant l'institution de la confession auriculaire, Épiphane, plein d'une austérité artificielle, fit un long discours sur les tentations du monde, il a parlé des chemins abominables et des ténèbres qui inondent le cœur de tous les pécheurs, incluant toutes les choses de la vie dans sa condamnation et dans sa furie religieuse.
Une fois la fanatique conférence terminée, il a sollicité, à la manière des premières assemblées chrétiennes, que tous les frères se prononcent sur ses propos, mais alors que tous approuvaient les idées évoquées, sans restriction aucune, Célia, dans son innocente sincérité, a répliqué :