Maître Épiphane, vos paroles sont extrêmement respectables pour tous ceux qui travaillent dans cette maison, mais, si je peux me permettre, il me semble que Jésus ne désire pas la mort du pécheur... Je suppose qu'il est juste que nous nous réfugions dans cette retraite jusqu'à ce que passe la vague sanguinaire des persécutions des adeptes de l'Agneau ; néanmoins, une fois la tempête calmée, je trouve qu'il est indispensable de retourner dans le monde pour nous plonger dans les pénibles luttes, parce que, sans ce terrain de souffrance et de travail, nous ne pourrons pas donner le témoignage de notre foi et de notre compréhension de l'amour de Jésus.
Le directeur spirituel lui a lancé un terrible regard, alors que toute l'assemblée semblait satisfaite par cette clarification.
À l'occasion du prochain Chapitre nous continuerons donc avec les mêmes études - a dit Épiphane sur un ton presque rude visiblement contrarié par l'argument indiscutable présenté contre son innovation despotique au détriment des enseignements évangéliques.
Le lendemain, le frère Marin fut appelé au cabinet du supérieur qui lui a adressé la parole en ces termes :
- Marin, notre frère Dioclèce, fournisseur de cette maison depuis plus de dix ans, est invalide, il est malade et j'ai besoin de confier cette charge à quelqu'un dont la notion de responsabilité me dispense de la gestion et des soins particuliers consacrés à cette tâche. Ainsi, à partir de demain, tu seras chargé d'aller au marché le plus proche, deux fois par semaine, afin de t'occuper correctement des petites provisions du monastère.
La jeune fille accepta cette demande et le remercia de la confiance qu'il lui témoignait par une telle mesure. Ainsi les paroles d'Épiphane, les jours du Chapitre, ne seraient plus dérangées par ses commentaires simples et porteurs de précieux éclairages évangéliques.
Le marché était à une distance d'environ cinq lieues du couvent puisqu'il était situé dans un grand village sur la route d'Alexandrie. Portant deux énormes paniers sous le bras, la fille d'Helvidius faisait sa randonnée à pied, elle était obligée de passer la nuit dans l'unique auberge existante car elle devait attendre une bonne partie de la matinée du lendemain que le marché expose ses produits.
Au début, ces journées hebdomadaires la fatiguaient excessivement, mais, peu à peu, elle s'est habituée aux nouvelles contraintes de ses obligations. Profitant de la solitude en chemin pour faire ses exercices spirituels, elle ne relisait pas seulement de vieux parchemins qui contenaient les principes de l'Évangile et les récits des apôtres, mais elle exerçait aussi les plus saines méditations qui élevaient son cœur dans de douces prières au Seigneur.
Au monastère tous les frères la respectaient. Par ses actes et ses paroles, elle ralliait la sympathie en général qui entourait son esprit de considération et d'une réelle affection...
Trois années passèrent sans la moindre marque de découragement ou de révolte, d'indécision ou d'amertume, consolidant ainsi chaque fois davantage ses marques de vertu irréprochable.
Auprès de la population la plus proche, là où les services du marché l'amenaient à réaliser sa tâche, tout le monde appréciait également les généreux dons de son âme, principalement dans l'auberge où elle passait la nuit deux fois par semaine.
Mais il se trouva que Ménénius Tullius, l'hôtelier, avait une fille appelée Brunehilde qui avait remarqué les délicats traits du frère Marin, prise de singulières impressions. Bien que s'efforçant d'attirer son attention toujours tournée vers les sujets spirituels, elle finit par s'irriter au fond de son indifférence affectée, toujours cordiale et fraternelle.
De longs mois passèrent sans que Brunehilde puisse démasquer le mystère de cette âme esquivée, pleine de beauté et d'une délicate masculinité à ses yeux, tandis que le frère Marin, par ses dispositions spirituelles élevées, n'avait jamais perçu les pensées et les intentions dégénérées de la jeune fille qui si souvent accumulait les tendres gentillesses à son égard.
Un beau jour, désabusée dans ses intentions inavouables, Brunehilde se mit à fréquenter un soldat romain, ami de son père et de la famille, qui venait d'arriver de la capitale de l'Empire, plein d'audaces et d'attitudes sournoises.
Rapidement, la fille de l'aubergiste s'achemina vers les dangers de la perdition, au point que le séducteur de son âme inquiète et versatile s'absenta exprès et retourna à Rome, après avoir obtenu l'accord de ses supérieurs.
Abandonnée à cette dure épreuve, Brunehilde chercha à déguiser l'angoisse de ses secrètes pensées. L'âme prise d'inquiétudes en raison de la sévérité des principes familiaux, elle désira mourir afin d'éliminer toutes traces de ses erreurs et disparaître pour toujours. Néanmoins, le courage lui manquait pour réaliser un crime aussi odieux.
Mais le jour arriva où elle ne put plus cacher la réalité aux yeux de ses parents.
A la veille de recevoir le fruit de ses amours, elle fut obligée d'en informer Ménénius. Pris d'une douleur sauvage, le père obligea sa fille à se confesser afin de pouvoir se venger. Mais quand elle dut révéler le nom de celui qui lui avait volé sa virginité, Brunehilde ressentit toute l'horreur de sa situation et accusa calomnieusement :
Mon père, pardonnez mon erreur qui déshonore votre nom respectable et immaculé, mais celui qui m'a amenée à transiger aussi douloureusement avec les principes sacrés familiaux que vous nous avez enseignés, est le frère Marin avec sa délicatesse capricieuse.
Ménénius Tullius eut l'impression que s'ouvrait dans son cœur une plaie vive. Jamais il n'aurait pu imaginer une telle chose. Le frère Marin représentait à ses yeux les espoirs les plus réconfortants, il avait confiance en lui comme en son meilleur ami.
Mais devant l'évidence des faits, il dit sèchement :
Puisqu'il en est ainsi, ma maison ne gardera pas cette tache indélébile. Ta prévarication ne déshonorera pas le nom de ma famille, car personne ne saura que tu as accédé aux intentions criminelles de cet infâme ! Je porterai moi-même l'enfant à Épiphane, afin que ses partisans considèrent l'énormité de ce crime ! S'il le faut, je n'hésiterai pas à lever mon épée pour défendre le cercle sacré de ma famille, mais je préfère les humilier en renvoyant au séducteur le fruit de sa lâcheté !...
Et effectivement, dissimulant la douleur immense de son cœur et de son foyer, le lendemain à l'aube, Ménénius Tullius marchait vers le monastère emportant avec lui un petit panier dont le singulier contenu était un misérable petit.
Alors que le soleil brillait haut dans le ciel, afin de répondre à l'insistance du visiteur à l'entrée, le frère Philippe fit appeler le supérieur de la communauté qui dut entendre les indécences de Ménénius qui avait le cœur glacé de rancœur.
Au courant de toutes les confessions de Brunehilde concernant Marin, le maître Épiphane a ordonné de le faire appeler en sa présence, avec toute la brutalité de ses gestes sauvages.
Frère Marin - s'exclama le supérieur à la fille d'Helvidius qui l'écoutait, blessée et surprise -, alors c'est ainsi que tu démontres la gratitude que tu dois à cette maison ? Où se trouvent donc tes idées avancées sur l'Évangile qui ne t'ont pas empêché de pratiquer un délit aussi infâme ? En te recevant dans ce monastère et en te confiant cette mission de travail dans cette retraite du Seigneur, j'ai déposé en tes efforts la confiance sacrée d'un père. Néanmoins, tu n'as pas hésité à jeter le scandale sur notre nom, offensant cette institution si vénérable à notre esprit !
Observant le pauvre enfant que tenait l'aubergiste qui ne répondit pas à son salut, pendant qu'Épiphane faisait une pause, la jeune fille a demandé :