Soumettez-moi au sacrifice ! Ordonnez ma mort !... Cela soulagera en quelque sorte mon infâme conscience !... Du ciel, ce Jésus aimé, qui a promis d'offrir son aide sacrosainte à tous les pratiquants de la vérité, tiendra compte de mon repentir et consolera mes peines en m'accordant les moyens de me racheter avec sa miséricorde !...
Et alors, face à la perplexité de tous trois, Hatéria se mit à révéler le sinistre drame de sa vie. Elle leur a raconté ses premières rencontres avec Claudia Sabine, leurs intrigues, la vie particulière de Lolius Urbicus, le funeste plan pour souiller l'image d'Alba Lucinie auprès de sa famille et de la société romaine ; la participation de Plotina et l'épilogue du tragique projet qui finit avec le sacrifice de Célia dont le souvenir saisissait sa voix de larmes abondantes lorsqu'elle se rappelait sa bonté, sa candeur, son sacrifice... Un long et pénible récit... Pendant plus de deux heures, elle retint l'attention de Fabius Corneille et des siens qui l'écoutaient stupéfaits.
Alba Lucinie qui entendait et réfléchissait aux détails de sa confession, a senti son sang se glacer dans ses veines, prise d'une singulière épouvante. Helvidius avait la poitrine oppressée, étouffée, il essaya en vain de dire un mot. Seul le censeur, dans son inflexibilité terrible et fière, restait ferme, bien qu'éprouvant une terreur intime avec une expression désespérée qui prédominait sur son visage.
Malheureuse ! - a murmuré Fabius Corneille avec beaucoup d'effort - jusqu'où nous as-tu conduit avec ton ambition méprisable et mesquine !... Criminelle ! Maudite sorcière, comment n'as-tu pas craint le poids de nos mains ?
Sa voix, néanmoins, semblait également asphyxiée par la même émotion qui suffoquait ses enfants.
Je me vengerai de tous !... - s'est écrié le vieux censeur d'une voix étranglée. À cet instant, Hatéria s'est agenouillée et a murmuré :
Faites de moi ce que vous voudrez ! Après m'être confessée, la mort sera pour moi un doux soulagement !...
Tu mourras donc, infâme créature - dit le censeur en dégainant un poignard qui a brillé à la clarté du soleil à travers une fenêtre haute et étroite.
Mais à l'instant où sa main droite allait frapper, Alba Lucinie, comme poussée par une force mystérieuse, a retenu le bras paternel, s'exclamant :
En arrière, mon père ! Que cesse pour toujours la tragédie dans nos destinées !... À quoi bon un crime de plus ?
Et comme Fabius Corneille cédait, stupéfait, une pâleur de marbre a brusquement envahi le visage de la malheureuse femme qui est partie à la renverse, tombant sur le tapis, sous le regard atterré de son mari qui s'empressa de la secourir.
Jetant, alors, un regard de profond dédain à Hatéria qui aidait le tribun à installer la pauvre femme sur un grand divan, le vieux censeur a ajouté :
Courage, Helvidius !... Je vais immédiatement appeler un médecin. Laisse cette maudite sorcière livrée à son sort ; mais, aujourd'hui même, j'ordonnerai d'éliminer l'infâme qui a empoisonné notre vie pour toujours.
Helvidius Lucius voulut parler, mais il ne savait plus s'il devait conseiller la pondération à son beau-père impulsif ou secourir sa femme dont les membres étaient froids et durs, par suite du traumatisme moral.
Soutenant Alba Lucinie sur le divan, pendant qu'Hatéria se dirigeait vers l'intérieur de la demeure pour prendre les premières mesures nécessaires, Helvidius Lucius a vu partir son beau-père, foulant le sol d'un pas déterminé.
Quoiqu'il fasse, le tribun n'arrivait pas à coordonner ses idées pour résoudre l'angoissante situation. Maintenant alitée, Alba Lucinie semblait sous l'emprise d'une force destructrice et absolue qui ne lui permettait pas de récupérer ses sens. En vain le médecin lui donnait des potions et faisait l'éloge de ses précieux remèdes. Les frictions médicamenteuses ne donnèrent pas les moindres résultats. Seuls les mouvements convulsifs de la torpeur léthargie accusaient une pléthore d'énergies organiques. Ses paupières continuaient fermées et sa respiration oppressée était celle des malades prêts à sombrer dans l'agonie.
Pendant qu'Helvidius Lucius multipliait les soins et cherchait à se calmer, Fabius Corneille se rendait à son cabinet où il fit appeler Silain en privé et lui dit sur un ton austère :
Plus que jamais, aujourd'hui, j'ai besoin de ton dévouement et de tes services !
Dites ! - répondit l'officier, empressé.
Aujourd'hui, je dois prendre des mesures punitives pour éliminer une ancienne conspiratrice de l'Empire. Il y a plus de dix ans déjà que j'observe ses manigances, néanmoins, ce n'est que maintenant que j'ai réussi à avoir la confirmation de ses crimes politiques et j'ai décidé de te confier cette tâche d'une singulière importance pour mon administration.
D'accord - s'exclama le jeune homme calmement -, dites-moi ce dont il s'agit et j'accomplirai toujours vos ordres avec zèle.
Tu prendras avec toi Lydien et Marc, car tu dois être assisté par deux hommes de notre entière confiance.
Et, d'une voix discrète, il a indiqué au préposé le nom de la victime, sa résidence, sa condition sociale et tout ce qui pouvait faciliter l'exécution du sinistre mandat.
Finalement, il a souligné d'une voix caverneuse :
J'ordonnerai que quelques soldats encerclent la demeure afin d'empêcher toute tentative de résistance de la part des employés, et après avoir ordonné l'ouverture des veines de cette femme infâme, tu diras que la sentence émanait de mon autorité au nom des nouvelles forces de l'Empire.
Il en sera fait selon vos ordres - rétorqua l'émissaire résolument.
Tu devras agir avec la plus grande prudence. Quant à moi, je retourne maintenant chez moi où l'on requiert ma présence. Dans l'après-midi, je serai ici pour savoir comment cela s'est passé.
Tandis que Silain rassemblait les assistants qui allaient l'accompagner, Fabius Corneille retournait à son foyer où les moyens médicaux manquaient pour réveiller Alba Lucinie de son étrange torpeur. Activant tous les employés, Helvidius Lucius faisait tout ce qu'il pouvait pour réveiller sa compagne. Comme fou, son cœur se diluait amèrement en un torrent de larmes et c'était en vain qu'il faisait appel aux promesses silencieuses des dieux domestiques. Alors qu'Hatéria s'asseyait humblement au chevet de son ancienne patronne, le tribun multipliait des efforts inédits. Quant à Fabius Corneille, il se promenait de long en large, agité, dans un cabinet tout proche, tantôt attendant une amélioration de la patiente, tantôt comptant les heures afin de connaître le résultat de sa sinistre commission.
Et effectivement, dans l'après midi, l'émissaire du censeur, entouré de soldats et de deux compagnons de confiance qui devaient pénétrer dans la résidence de Claudia, sont arrivés dans l'agréable site boisé et fleuri où l'ancienne plébéienne se livrait à ses méditations, à l'automne mélancolique de sa vie.
La veuve de Lolius Urbicus avait passé sa journée livrée à des réflexions amères et angoissantes. Comme si une force mystérieuse la dominait, elle ressentait les sensations les plus tristes et les plus incompréhensibles. En vain, elle s'était promenée dans les délicieux jardins de sa résidence princière où les allées gracieuses et bien soignées étaient saturées des forts parfums du printemps. Des sentiments étranges et intraduisibles l'étouffaient intérieurement, comme si son esprit était plongé dans de sombres présages. Elle avait cherché à fixer sa pensée sur quelque point de référence sentimentale mais son cœur manquait de foi, tel un désert brûlant.