Выбрать главу

Mère !... ma mère !...

Dans ces mots, il y avait un mélange de sentiments indéfinissables et profonds ; ils s'étaient échappés de sa poitrine comme un cri de satiété affectueuse après plusieurs années d'inquiétude et de tourments.

Recevant cette suprême et douce manifestation d'affection à l'heure extrême, la condamnée, dont la voix s'éteignait, lui dit :

Mon fils, pardonne mon passé vil et ténébreux !... Les dieux me punissent en me faisant périr par les mains de celui à qui j'ai donné la vie !... Mon fils, mon fils, malgré tout, j'aime ces mains qui m'apportent la mort !...

Le pupille de Cneius Lucius s'est penché sur le tapis taché de sang. Dans un geste suprême qui démontrait toute sa détresse et l'oubli de l'abandon maternel, pour ne penser qu'à ce lugubre destin qui l'avait conduit au matricide, il a pris dans ses mains la tête inerte de la condamnée dont le regard semblait, maintenant, se réjouir des pensées énigmatiques et criminelles de son âme.

Un phénomène intéressant, c'est alors opéré. Comme si elle avait complètement satisfait son dernier désir, l'organisme spirituel de Claudia Sabine a abandonné son corps terrestre. Sa volonté psychique satisfaite, le sang se mit à gicler en un jet intense et rouge de son pouls ouvert...

Se sentant dans les bras de l'officier qui la regardait halluciné, elle dit à nouveau d'une voix entrecoupée :

- Ainsi... mon fils... je sens... que tu... me pardonnes !... Venge-moi !... Fabius... Corneille... doit mourir...

Les sanglots de l'agonie ne lui permirent pas de continuer, mais ses yeux envoyaient à Silain les plus singuliers messages que le jeune homme interpréta comme des appels suprêmes de vengeance.

Une pâleur de cire avait alors couvert son front contracté dans un rictus de terreur angoissée. Le messager du censeur a ouvert les portes, se présentant à ses compagnons, le visage bouleversé.

Son regard fixe et terrible semblait être celui d'un fou. Au fond, les plus fortes perturbations mentales subjuguaient son esprit désemparé. Il se sentait le plus petit et le plus malheureux des êtres. Il prononça un mot d'ordre à peine et se remit en chemin, de retour au centre urbain, tandis que les serviteurs dévoués de Claudia, en larmes, enveloppaient son cadavre.

Bien que Lydien et Marc, tout comme d'autres amis prétoriens fassent leur possible pour attirer son attention sur tel ou tel détail concernant les événements passés, Silain Plautius gardait un silence inflexible et sombre.

L'idée que Fabius Corneille puisse connaître son terrible passé et qu'il n'ait pas hésité à faire de lui l'assassin de sa mère, ainsi que les histoires calomnieuses de Claudia Sabine, à sa dernière heure, concernant le censeur et ses pratiques dans le passé, provoquèrent en lui une perturbation cérébrale intraduisible. La pensée que jusqu'à la fin de ses jours, il doive se considérer comme un matricide le tourmentait terriblement et lui suggérait les plus horribles projets de vengeance. Dominé par de vils sentiments, il caressait un poignard qui reposait dans son étui, jouissant antérieurement de l'instant où il se sentirait vengé de toutes les offenses vécues dans sa vie.

Il faisait nuit quand il a pénétré dans l'imposant édifice où Fabius Corneille l'attendait, dans un magnifique cabinet suffisamment illuminé.

Le vieux censeur le reçut avec un visible intérêt et, cherchant à s'isoler des personnes présentes, il lui a demandé dans un coin de la pièce :

Alors, quelles nouvelles m'apportes-tu ? Tout va bien?

Silain le regardait le regard glacial, comme prisonnier des plus atroces perturbations.

Mais que se passe-t-il ? - a insisté le censeur extrêmement mal à l'aise - es-tu malade? !... Qu'est-il arrivé?...

Fabius Corneille n'a pas pu continuer, parce que sans dire un mot, tel un halluciné pris d'une crise extrême, l'officier a rapidement dégainé son poignard et l'a enfoncé dans la poitrine du censeur qui est lourdement tombé en appelant à l'aide.

Avec sur le visage l'expression d'un fou, Silain Plautius regardait sa victime sans manifester le moindre signe de responsabilité... Dans son indifférence, il fixait le sang du vieil homme politique qui s'échappait de ses blessures à la gorge et à l'omoplate, tandis que le blessé, aux râles de la mort, lui adressait un terrible regard. C'est à cet instant que les nombreux gardes ont encerclé l'ex-protégé de Cneius Lucius, l'éliminant également en quelques secondes. En vain, l'officier voulut résister aux prétoriens et aux autres amis de l'assassiné mais en quelques minutes, il était abattu par les coups d'épée, il payait ainsi l'affront fait à l'État en perpétrant son crime.

La nouvelle a rapidement parcouru toute la ville.

Assisté par les amis qui lui étaient les plus dévoués, Helvidius Lucius eut besoin de rassembler toutes ses forces pour ne pas chanceler sous des coups aussi rudes.

Étant donnée la situation délicate de sa femme, il prit toutes les mesures nécessaires pour que les restes sanglants fussent transportés à sa résidence avec tous les soins requis, afin que le sinistres et douloureux tableau n'aggrave pas la maladie d'Alba Lucinie, dans l'hypothèse où elle se rétablirait après sa syncope prolongée.

Un messager fut rapidement envoyé à Capoue pour appeler immédiatement Caius Fabrice et sa femme à Rome.

Plongé dans les tourments les plus poignants et ne pouvant parler du poids qui oppressait son cœur à qui que ce soit, étant donnée les tragiques circonstances familiales en jeu, le fils de Cneius versait des larmes douloureuses aux côtés de sa femme entre la vie et la mort, tandis que Marcia assumait la direction de tous les protocoles sociaux dans la résidence et s'occupait de ceux qui visitaient les restes des deux personnes disparues.

Alba Lucinie se réveilla mais une expression d'aliénation balayait son regard.

Elle prononçait des paroles inintelligibles alors qu'Helvidius Lucius aurait donné sa vie pour les comprendre. On percevait qu'elle avait perdu la raison pour toujours. En outre, les syncopes se renouvelaient périodiquement, comme si les cellules cérébrales se brisaient lentement, une à une, sous la pression d'une force incoercible...

Obéissant aux impératifs de la situation, le tribun envoya des ordres pour que les enterrements de son beau-père et de son frère adoptif s'effectuent le plus rapidement possible, de sorte qu'une semaine après, Helvidia et son mari arrivèrent de Campanie sans avoir pu assister aux cérémonies funèbres. Ils n'entrèrent dans le foyer paternel que pour s'agenouiller au chevet d'Alba Lucinie qui, depuis la veille, avait sombré dans une affligeante agonie...

La présence de ses enfants apporta au tribun une douce consolation mais, à son esprit lacéré, il se disait qu'il ne pouvait y avoir aucun réconfort possible pour apaiser son cœur humilié et blessé.

Touché dans ses fibres les plus sensibles, il voyait lentement agoniser sa femme comme si un sicaire invisible avait crevé son cœur avec un poignard acéré. Face à la mort, tous ses pouvoirs cessaient, tous ses tendres dévouements s'envolaient. Submergé dans un océan de larmes, tenant les mains froides de sa compagne, Helvidius Lucius n'abandonnait pas la chambre, pas même pour s'occuper de ses enfants qui venaient d'arriver. Pressentant que la mort allait bientôt lui ravir sa femme idolâtrée, il restait à son chevet dominé par les pensées les plus atroces.

De temps en temps, il émergeait de l'abîme de ses réflexions et s'exclamait amèrement comme s'il avait la conviction qu'il était entendu par la mourante :

Lucinie, alors toi aussi tu m'abandonnes ? Réveille-toi, illumine à nouveau ma solitude !... Si je t'ai parfois offensée, pardonne-moi. Mais je n'ai fait que beaucoup t'aimer !... Allez. Réponds. Je vaincrai la mort pour te garder dans mes bras ! Je combattrai tout le monde! Près de toi, j'aurai la force de vivre en réparant les erreurs du passé ; mais que ferai-je seul et abandonné si tu pars pour l'inconnue ? Dieux du ciel ! Les ruines de mon foyer et les ravages de mon bonheur domestique pour me racheter à vos yeux, tout cela ne suffit-il pas ? Compatissez de mon malheur ! Qu'ai-je fait pour payer un si lourd tribut ?