Le lendemain, le fils de Cneius Lucius a entamé les premières démarches pour effectuer son excursion dans les meilleurs délais.
Et avant que la galère ne quitte Ostie, il se mit à concentrer tous ses espoirs sur ce frère Marin, dont les célèbres vertus étaient vénérées dans toutes les communautés chrétiennes et était considéré comme l'émissaire de Jésus, destiné à soutenir dans le monde les traditions divines des temps apostoliques.
DANS LE JARDIN DE CÉLIA
Dans la banlieue d'Alexandrie, la fille d'Helvidius jouissait d'une grande renommée bien méritée pour l'amour et la bonté qu'elle témoignait à son prochain.
Transférée dans cette région de gens pauvres et humbles, elle avait converti ses souvenirs les plus chers, ainsi que ses douleurs les plus profondes, en hymnes de charité pure qui s'élevaient au ciel parmi les bénédictions de tous les pauvres malheureux.
La souffrance et la nostalgie avaient tellement transformé ses traits angéliques que son visage calme exprimait un air indicible de vision céleste... Sa vie d'ascétisme, d'abnégation et de résignation lui avait donné comme un nouveau « faciès » qui laissait transparaître dans ses yeux sereins et brillants, la pureté inouïe de ceux qui s'apprêtent à atteindre les clartés d'une autre vie.
Depuis longtemps, elle était devenue phtisique, néanmoins, elle n'avait pas abandonné sa besogne apostolique auprès des malades. L'après midi, elle lisait l'Évangile, en plein air, pour ceux qui venaient chercher auprès d'elle un soutien spirituel, elle expliquait les enseignements de Jésus et de ses divins adeptes, donnant l'impression que dans ces moments- là une force divine prenait possession d'elle. Sa voix, habituellement faible, prenait des tonalités différentes, comme si ses cordes vocales vibraient au souffle d'une divine inspiration.
Elle était restée dans la même chaumière au fond du jardin où elle n'avait jamais cessé de prodiguer l'attention nécessaire aux travaux rudes de la terre. Tous les frères du monastère, excepté Epiphane, cherchaient maintenant sa présence, respectant ses élucidations évangéliques et participant à ses efforts.
La jeune romaine, transformée en un frère attentif aux malheureux, gardait les mêmes dispositions intimes toujours pleine de foi et d'espoir en la bonté et en la sagesse du Seigneur.
Le petit enfant abandonné par Brunehilde, après avoir soulagé sa solitude pendant quelques années de son affection et de ses sourires était décédé, la laissant plus que jamais désappointée et abattue. Impressionnée par cet événement, une nuit alors qu'elle était livrée à la solitude de ses méditations, Célia se mit à prier avec ferveur et c'est ainsi qu'elle vit à ses côtés le visage de Cneius Lucius, la regardant avec une infinie tendresse.
- Ma fille chérie, que cette nouvelle séparation de l'être idolâtré ne meurtrisse pas ton cœur ! Continue dans ta foi, rempli la mission divine que le Seigneur a bien voulu accorder à ton âme sensible et généreuse ! Après avoir parfumé, pendant quelques années, ton sentier sur terre, l'Esprit de Cirus est à nouveau retourné dans l'au-delà pour se remplir de nouvelles forces ! Ne te laisse pas décourager par la nostalgie qui blesse ton cœur si sensible, car notre âme sème l'amour sur terre pour le voir fleurir dans les cieux où n'arrivent pas les éprouvantes inquiétudes du monde !... En outre, Cirus avait besoin de ces épreuves qui tempéreront sa volonté et ses sentiments pour les glorieux desseins de son avenir spirituel !...
À cet instant, cette entité aimante s'est penchée presque intentionnellement pour observer l'effet que ses paroles avaient sur Célia.
En larmes, elle lui parlait mentalement comme si elle discutait avec son grand-père au plus profond de son cœur :
Je ne doute pas que toutes les douleurs nous sont envoyées par Jésus, afin que nous apprenions le chemin de la rédemption divine, mais quelle est la raison de ces vies temporaires de Cirus sur terre ? S'il est arrivé à vivre dans l'environnement humain, nécessiteux qu'il était encore de vivre des expériences terrestres, pourquoi est-il mort annihilant nos espoirs ?
Oui - a répondu l'entité aimante -, ce sont les lois des épreuves qui régissent nos
destins.
Mais Cirus, il y a quelques années de cela, n'en est-il pas arrivé à mourir pour le Divin Maître, par le martyre et par le sacrifice ?
Fille, parmi les martyrs du christianisme, il y a ceux qui se détachent du monde dans une mission sacrosainte et ceux qui meurent pour les plus terribles rachats... Cirus est parmi ces derniers... Lors des siècles passés, il fut un despote cruel qui fauchait sans pitié les espoirs de ses prochains et empoisonnait les cœurs... Puis plongé dans la lutte expiatoire, il a renié les douleurs sanctifiantes et a parcouru les chemins ignominieux du suicide. Il est juste, donc, que maintenant il apprécie les bénéfices de la lutte et de la vie par la difficulté à les réacquérir pour sa rédemption spirituelle, soucieux de s'y soumettre de façon adéquate. Ces échecs doivent valoriser son avenir de réalisations et de dignes efforts. En raison de toute la douleur vécue et du travail réalisé, à l'aube qui approche, son cœur aimera chacun des détails de sa lutte rédemptrice. Il saura valoriser dans l'énorme et accablant travail, les ressources sacrées de son élévation vers Dieu, en connaissant la grandeur de l'effort, de la résignation et du sacrifice !...
Consolée par les clarifications de son mentor spirituel, d'un seul coup elle aperçut une autre entité au visage noble et désolé qui la contemplait dans un mélange de joie et d'amertume.
Et comme elle trouvait étrange cette vision, elle a senti que la parole aimante de son grand-père lui disait :
Ne sois pas surprise, ne t'effraye pas ! Ta mère qui se trouve maintenant dans le plan spirituel, est venue avec moi aujourd'hui, te manifester ses sentiments d'amour et de reconnaissance !...
Une poignante émotion a soudain vibré au fond d'elle, face à ces révélations inattendues. Ses larmes devinrent plus amères et plus abondantes. Elle doutait de sa propre clairvoyance, se rappelant le passé avec ses épines et ses ombres désolantes. Mais, ange ou démon, comme submergé par un voile de tristesse impénétrable, l'Esprit Alba Lucinie s'est approché et a baisé ses mains.
Célia aurait souhaité que cette entité bienveillante dise quelque chose à son cœur affligé. Mais l'ombre maternelle restait muette et consternée. Néanmoins, elle sentit que, dans sa main droite que l'ombre baisait, persistait une sensation indicible, comme si, avec son baiser, Alba Lucinie apportait aussi une larme brûlante et douloureuse.
À ce choc inattendu, la jeune romaine a remarqué que les deux entités échappaient à nouveau à son regard.
Cette nuit-là, elle médita longuement sur le passé, plus qu'à l'habituel, confiant à Jésus ses préoccupations et ses peines, elle supplia le Seigneur de fortifier son esprit afin de comprendre et d'accomplir intégralement les desseins sacrés de sa volonté divine.
Le lendemain de ces amères réflexions concernant son passé austère, une foule vint la voir pour faire appel à ses services fraternels. C'étaient des petits vieux désolés en quête d'une parole réconfortante et amicale, des femmes des villages environnants qui lui apportaient leurs petits malades, sans parler des nombreuses personnes originaires d'Alexandrie, à la recherche d'un soulagement spirituel pour supporter les déboires de la vie.
Au fur et à mesure que les environs du monastère se remplissaient de véhicules, son apparence fragile et mélancolique redoublait d'efforts inédits pour tous les consoler et les éclairer.