Car la nuit, peine faite, devient source de prodiges!
Chaque soir ainsi je considrais mon arme prise dans l'tendue comme un navire, mais permanente, sachant bien que le jour la montrerait intacte et toute remplie comme les coqs par la jubilation du rveil. Alors, tandis que l'on quipe les montures, on entend ces clats de voix qui sonnent dans le matin frais comme des cuivres. Alors les hommes, comme enivrs par la liqueur du jour naissant, gonflent des poumons neufs et savourent l'pre plaisir de l'tendue.
Je les menais vers l'oasis conqurir. Quiconque ne comprend pas les hommes et cherch dans l'oasis mme la religion de l'oasis. Mais ceux de l'oasis ignorent leur demeure. Et c'est au cur d'un rezzou rong par le sable qu'il importe de la dcouvrir. Car je leur enseignais cet amour.
Je leur disais: Vous trouverez l-bas l'herbe odorante, le chant des fontaines, et des femmes aux longs voiles de couleur qui fuiront effrayes comme un troupeau de biches agiles, mais douces saisir, faites comme elles sont pour la capture
Je leur disais: Elles croient vous har et pour vous repousser useront des dents et des ongles. Mais il vous suffira pour les dompter de votre poing nou dans les boucles bleues de leur chevelure!
Je leur disais: Il vous suffira d'exercer votre force dans sa douceur pour les retenir immobiles. Elles fermeront encore les yeux pour vous ignorer, mais votre silence psera sur elles comme l'ombre d'un aigle. Alors enfin elles ouvriront leurs yeux sur vous et vous les emplirez de larmes.
Vous aurez t leur immensit, comment vous oublieraient-elles?
Et je leur disais pour conclure et les enivrer vers ce paradis:
Vous connatrez donc l-bas des palmeraies et des oiseaux de toutes couleurs L'oasis se rendra vous parce que vous portez dans le cur la religion de l'oasis alors que ceux que vous en chassez n'en sont plus dignes. Leurs femmes elles-mmes, lavant leur linge dans le ruisseau qui chante sur de petites pierres rondes et blanches, croient accomplir un triste devoir universel quand elles clbrent une fte. Mais vous, qui vous tes racornis dans le sable et desschs dans le soleil et sals de la crote brlante des salines, vous les pouserez et, les poings sur les hanches, les regardant laver leur linge dans l'eau bleue, vous savourerez votre victoire.
Vous durez aujourd'hui dans le sable la faon du cdre grce aux ennemis qui vous cernent et vous durcissent, vous durerez, l'ayant conquise, dans l'oasis si l'oasis pour vous n'est point l'abri o l'on s'enferme et o l'on oublie, mais une victoire permanente sur le dsert.
Ceux-l, vous les avez vaincus, car ils s'enfermaient dans leur gosme, satisfaits par leurs provisions. Ils ne voyaient dans la couronne de sable qui les assigeait qu'un ornement pour oasis, riant des importuns qui cherchaient les mouvoir afin qu'au seuil de cette patrie de fontaines l'on relevt les sentinelles qui s'endormaient.
Ils croupissaient dans l'illusion du bonheur qu'ils tiraient de biens possds. Alors que le bonheur n'est que chaleur des actes et contentement de la cration. Ceux qui n'changent plus rien d'eux-mmes et reoivent d'autrui leur nourriture, ft-elle la mieux choisie et la plus dlicate, ceux-l mmes qui, subtils, coutent les pomes trangers sans crire leurs propres pomes, jouissent de l'oasis sans la vivifier, usent des cantiques qu'on leur fournit, ceux-l s'attachent d'eux-mmes leurs rteliers dans l'table et, rduits au rle de btail, sont prts pour l'esclavage.
Je leur ai dit: L'oasis une fois conquise, rien d'essentiel n'a chang pour vous. Ce n'est qu'une autre forme de campement dans le dsert. Car mon empire est menac de toutes parts. Sa matire n'est qu'un assemblage familier de chvres, de moutons, de demeures et de montagnes, mais si se rompt le nud qui les noue ensemble, il n'en restera rien que matriaux en vrac et offerts au pillage.
VIII
Il m'apparut qu'ils se trompaient sur le respect. Car je me suis moi-mme exclusivement proccup des droits de Dieu travers l'homme. Et certes le mendiant lui-mme, sans m'exagrer son importance, je l'ai toujours conu comme un ambassadeur de Dieu.
Mais les droits du mendiant et de l'ulcre du mendiant et de sa laideur honors pour eux-mmes comme idoles, je ne les ai pas reconnus.
Qu'ai-je ctoy de plus repoussant que ce quartier de ville bti au flanc d'une colline et qui coulait comme un gout jusqu' la mer? Les corridors qui dbouchaient sur les ruelles versaient par bouffes molles une haleine empeste. La racaille n'mergeait de ces profondeurs spongieuses que pour s'injurier d'une voix use et sans colre vritable, la faon des bulles molles qui clatent, rgulires, la surface des marais.
J'y ai vu ce lpreux, riant grassement et s'pongeant l'oeil d'un linge sordide. Il tait avant tout vulgaire et se plaisantait soi-mme par bassesse.
Mon pre dcida l'incendie. Et cette tourbe qui tenait ses bouges moisis commena de fermenter, rclamant au nom de ses droits. Le droit la lpre dans la moisissure.
Ceci est naturel, me dit mon pre, car la justice selon eux c'est de perptuer ce qui est.
Et ils criaient dans leur droit la pourriture. Car, fonds par la pourriture, ils taient pour la pourriture.
Et si tu laisses se multiplier les cafards, me dit mon pre, alors naissent les droits des cafards. Lesquels sont vidents. Et il natra des chantres pour te les clbrer. Et ils te chanteront combien grand est le pathtique des cafards menacs de disparition.
tre juste, me dit mon pre, il faut choisir. Juste pour l'archange ou juste pour l'homme? Juste pour la plaie ou pour la chair saine? Pourquoi l'couterai-je, celui-l qui vient me parler au nom de sa pestilence?